Dans ma recherche plastique, une place essentielle est réservée à l’écriture, à la littérature, ainsi qu’au monde du théâtre. En effet, j'écris textes et dialogues qui, par la suite, viennent donner une unité à mes installations, voire être « mis en scène » (c’est ainsi, par exemple, que j’ai réalisé une installation mettant en jeu un dialogue entre objets). Ce qui motive mes différents projets, c'est en quelque sorte l’idée de créer un paysage venant unir littérature et formes plastiques, et permettant de mobiliser plastiquement les ressources du théâtre. L'installation sonore, appelée Nakoja, (que l'on traduit en français par « non-où », « nonlieu ») questionne le rapport qu'entretient un être avec son monde (i.e. l'arrière plan sur la toile de fond duquel il apparaît) par le moyen d'une histoire fictive. La question reste sans réponse et tourne en boucle.
J'aime, par l'écriture, donner vie aux choses, leur donner la voix qu'elle n'ont pas, et partant, les restaurer en leur qualité d'êtres pensifs interrogeant le monde (le monde entier, ou ne serait-ce que les détails qui font la richesse, la trame de leur vie de chose).
Alors, ce qui se réserve et se cache dans l'angle-mort de notre quotidien (à l'ombre de l'« aujourd'hui et demain comme hier »), la face cachée des choses et du monde en quelque sorte, peuvent enfin se manifester.
S'agissant de la transmission, il serait donc très important pour moi de sensibiliser les élèves à la richesse de ce qui les entoure, de la même manière qu'un poète parvient à enchanter le quotidien, à montrer que l'ordinaire est en vérité plein de merveilles et de mystères. Qu'il y a là du sens et de quoi s'étonner. Tout l'enjeu est donc d'apprendre à voir ce qui est pourtant sous nos yeux (et qu'on ne remarque même plus à force de le fréquenter). Dans le travail que je souhaite développer avec les élèves, une place importante sera donc faite à la fiction. Il s'agira d'abord de regarder, d'observer ce qui nous entoure au quotidien – ou plutôt, ce qui entoure les élèves et fait le décor de leur vie – et dont on tirera des histoires à raconter, des fictions. Car les choses aussi ont leurs aventures, leurs péripéties. Les questions qui se posent seront celles-ci : Comment une chose, un objet pense-t-il ? Quelles imaginations, quelles états d'âme, secrètement les habitent ? De là, quel langage attribuer aux choses ? Et qu'est-ce que les choses ont-elles à nous dire ? De quoi serons-nous les porte-voix ?
Ce projet de transmission, fortement articulé avec mon propre projet artistique, tout en étant adapté à un jeune public, se déroulera en cinq étapes :
1- Choix de l'objet : Chacun des élèves (selon les effectifs et possibilités, la constitution de petits groupes, binômes voire trinômes,mais pas au-delà, peut être envisagée) devra élire un objet à « faire parler ». Une grande liberté sera laisser aux élèves quant à ce choix : cette liberté poétique nous paraît essentielle au projet (étant entendu que liberté n'est pas licence). Cet objet pourra aussi bien être une chose à laquelle l'élève est attaché ou non, singulière ou banale, petite ou grande, se trouvant à la maison ou dans l'espace public (par exemple dans l'environnement de l'école), être un artefact, un objet technique aussi bien qu'un élément naturel (une montagne dans le paysage tout autant qu'un ballon),
quelque chose de maniable, qui tient dans la main, aussi bien que quelque chose d'inaccessible (comme un nuage ou la lune).
Une discussion, un échange autour de leur choix et de ses raisons pourrait être particulièrement riche aussi bien pour les élèves que pour moi.
2- Écriture : Cette phase sera assez progressive (elle est somme toute la partie la plus
difficile, mais certainement la plus stimulante et enthousiasmante, aussi bien pour les élèves que pour moi ), et procédera par des « exercices » de l'imagination. Il s'agira de se mettre à la place de l'objet, de penser la vie qui peut être la sienne, bref, de se mettre à sa place, de cultiver la « sympathie ». Par exemple : se demander ce qu'il voit, ce qu'il ressent, ce que cela fait d'être une montagne, un radiateur ou un ballon. D'imaginer le genre d'histoires (de même que l'on raconte sa journée d'école ou de travail), de souvenirs, d'aventures marquantes, voire de récits des origines (de roman familial) que de tels objets seraient susceptibles de raconter (s'ils étaient doués de paroles). Bien-sûr, une large place sera faite à l'imagination et à la poésie : il ne s'agit nullement d'une restitution technique ou documentaire. Cette phase « imaginative » donnera lieu à la rédaction d'un court texte pour chaque objet. Une collaboration, une interaction étroite avec le professeur, selon les possibilités, serait assurément importante.
3- Fabrication/création plastique : Chaque élève (ou petit groupe d'élèves) réalisera un
« double », une représentation en volume, de l'objet choisi. Là encore, une grande liberté sera laissée à l'élève dans cette création. Surtout, ce n'est pas une représentation exacte, une copie parfaite, qui sera recherchée : place sera faite aux déformations, variations, afin que cette restitution soit celle de l'élève, en résonance avec le texte qu'il aura écrit. Ainsi du choix des matériaux, des couleurs, de l'échelle de la représentation, de la taille, etc (bien-sûr dans les limites des possibilités et moyens). Un atelier préliminaire de dessin sera organisé, venant précéder et anticiper la réalisation en volume.
4- Lecture : Chaque élève (ou groupe d'élèves : en ce cas, une alternance des voix et une
lecture collective pourra être envisagée, afin que chaque élève soit néanmoins investi et participe au projet) lira le texte écrit, à la manière d'un apprenti comédien : il sera souhaitable, si possible en collaboration étroite avec le professeur, de travailler le lecture, les intonations, etc. Chaque performance de lecture sera enregistrée (de manière audio, non pas vidéo).
5- Mise en scène : C'est la dernière phase, l'ultime étape venant clore le projet. Elle
consistera en la création d'une petite scénette : chaque élève (habillé en noir sur fond noir, à la manière d'un marionnettiste, avec un jeu de lumière qui focalise sur l'objet) ou groupe d'élève (en ce cas, la performance sera collective afin que chaque membre du groupe soit impliqué dans le projet) manipulera, animera, mettra en mouvement sa sculpture, et improvisera un court tableau. Ce très court spectacle/performance sera filmé. Au montage, le texte lu par l'élève et enregistré, à la manière d'une voix-off, viendra accompagné l'image.
Par le(s) artiste(s)