Parler de couture et de transmission pour interroger l’identité des jeunes femmes aujourd’hui. Utiliser des images marionnettiques pour permettre un recul, s’éloigner du réel pour mieux le comprendre. Ces images seront des corps vides, vêtements suspendus à la Boltanski, mais aussi des ombres et des objets qui vont s’animer pour nous raconter leur histoire. Mélanger ces images avec des voix issues d’interviews, de documentaires, des voix bien réelles comme des témoignages qui résonnent sur scène. Enfin il s’agit de briser le quatrième mur pour qu’ensemble, artiste et spect-acteurs, nous puissions faire de ce spectacle une œuvre collective et démêler, au sens propre comme au figuré, la bobine de fils.
Une machine à coudre, sous le pied de biche la rencontre de deux fils. Tressés ensemble ils créent un maillage, la famille. C’est à la couturière que revient la tâche de faire naître d’autres fils, de les couper, de les assembler, de bâtir, en somme, sa lignée de points.
Ma grand-mère a hérité sa machine à coudre de sa mère, qui lui avait transmis la sienne également. Il s’agissait de savoir coudre pour réaliser son trousseau de mariage, pour bâtir une famille et s’occuper de son intérieur. Mais lorsqu’elle est à son tour devenue mère elle a mis fin à cette succession systématique : ma grand-mère a décidé de ne pas apprendre la couture à sa fille. Je n’ai donc jamais vu ma mère utiliser une machine à coudre. Pourtant c’est le seul cadeau que je voulais pour mes 20 ans...
La génération de ma grand-mère était forcée d'apprendre la couture, celle de ma mère s’en est émancipée et ma génération a choisi de se réapproprier cet art ménager pour déployer sa créativité. Peut-on dire que c’est un choix politique, de retour au travail fait-main contre la société de consommation ?
Couture(s) du théâtre visuel, un théâtre où des présences marionnettiques sont convoquées. La rencontre d’images fortes qui font appel à un imaginaire commun, il s’agit de les dépasser pour créer ensemble une nouvelle réalité.
Le théâtre permet un recul nécessaire pour comprendre le monde, pour comprendre notre identité. Il crée d’éphémères rencontre au temps présent : une robe et une machine à coudre, des objets du passé, qui vont venir dialoguer avec la jeune fille, qui porte en elle le futur.
La pièce traite de la transmission de la couture entre différentes générations de femmes. Elle s’appuie sur des temps d’enquête et de jeux menés dans les écoles et les maisons de retraite afin de mettre en jeu sur scène un art de faire au fil des témoignages.
L’écriture
La question de l’écriture va se résoudre à partir d’un travail documentaire (interviews, ateliers, lectures, archives,...) et des expérimentations de plateau. Ces improvisations auront comme points de départ des canevas qui me sont inspirés de romans comme Le cœur cousu de Carole Martinez et surtout de témoignages récoltés lors d’ateliers menés avec des enfants et des personnes âgées.
Il s’agit aussi de tester la littérature orale défendue par le groupe de circassiens anthropologues le GdRA « Le GdRA filme et enregistre des personnes qui font acte de récit. Une fois le propos recueillis et sous l’effet de la retranscription écrite, une partie de ce dernier devient de la littérature orale. Cette transfiguration du banal emmène le document déjà chargé de fiction ordinaire, vers un surcroit d’identité narrative et le charge encore de… fiction. ».
Une dramaturgie patchwork ? De l’image uniquement ? Peu de paroles proférées mais s’il y en a d’où proviendront-elles ? Une écriture à partir de partir de documentaire, de tutos Youtube ? de fragments de texte ? Pourquoi pas. A partir de témoignages ? Certainement.
Des effets de réel dans un univers poétique où l’image ouvre l’imaginaire.
L’esthétique plastique
Utiliser du tissu, du fil, des machines à coudre, des objets du quotidien qui vont se transformer...
Dans le travail de la couture il y a une relation à l’objet évidente, presque une délégation lorsque la main accompagne le tissu qui s’anime sous la chorégraphie de l’aiguille. Le rapport à la matière, au tissu, à l’objet... est immédiat. C’est pourquoi je souhaite utiliser des objets réels, chinés dans les greniers et les vide-greniers, qui portent déjà une histoire. Sur scène, il y aura évidemment une machine à coudre, ou peut-être trois, d’époques différentes.
Couture(s) est aussi un travail sur le souvenir, sur les thèmes de l’absence et de la présence. Sur scène on imagine une actrice bien vivante qui s’efface et une robe vide qui prend vie. Je vais jouer avec des corps marionnettiques figurés qui sont pour le moment des robes. Celles-ci nous parlent du corps féminin imposé ou idéalisé. Le vêtement est aussi ce corps vide qui peut servir à évoquer l’absence et le passé. A travers ces vêtements suspendus à la Boltanski (par exemple La salle des pendus - 2015 ), il s’agit de convoquer des présences fantomatiques pour entendre ce qu’elles ont à nous transmettre. Comment rendre cet objet vivant et marionnettique ? Comment mettre en relation l’actrice et ces différents corps marionnettiques ?
De plus, il me semble intéressant d’utiliser la technique du théâtre d’ombres pour évoquer le minimalisme de la couturière et le souvenir d’une époque passée, pour plonger dans l’infiniment grand et l’infiniment petit.
La musique et la lumière
La musique du spectacle sera acoustique, elle viendra principalement du plateau et des objets qui s’y trouveront. La machine à coudre par exemple est un véritable instrument de percussion. Qu’elle soit en fonte ou en plastique, en marche ou à l’arrêt, elle fait différents bruits qui peuvent constituer une mélodie et accompagner la voix par exemple. Si d’autres instruments interviennent, j’aimerais qu’ils soient à cordes, pour rester dans le thème de la couture...
Sur scène il y a déjà une lumière, celle de la machine à coudre. Faible lueur toujours allumée ? La pénombre permet de mettre en valeur le caractère fantomatique. Je m’interroge sur le fait que les lumières soient seulement issues de sources visibles sur le plateau, cela apporterait du réel sur scène et créerait de l’intime en rappelant la lumière d’un intérieur, comme l’espace d’une chambre.
La place du spect-acteur
Je m’intéresse à cette posture du spect’acteur, entre le spectateur qui est témoin de l’action et l’acteur qui agit, qui apporte une notion d’interactivité avec le contenu. Le spect’acteur peut, s’il le veut être entièrement intégré à l’œuvre au point d’en devenir acteur à la fin. Dans une présentation d’étape de travail de Couture(s) en décembre 2018, j’étais sur scène et je donnais un bout de fil d’une pelote de laine à un spectateur en l’interrogeant sur son rapport à la couture. Le spectateur tenait ensuite son morceau de fil et je lançais la pelote à un autre spectateur en lui posant une nouvelle question, et ainsi de suite jusqu’à former un méli-mélo de fils tendus entre les gens. Ce moment a fédéré le public présent en l’unissant physiquement. J’ai envie de tenter d'autres expériences dans cette voie, en réfléchissant à l'accueil des spectateurs.
Par le(s) artiste(s)