Almanach Mezenc

Depuis plusieurs années maintenant, je prends des notes pour un projet d'almanach calendaire qui se déploierait à partir d'un territoire particulier : le plateau volcanique qui se situe à la frontière de la Haute-Loire et de l'Ardèche. Il s'agit d'une ligne de frontière(s) qui court entre deux départements, deux versants présentant des reliefs très différents (le plateau basaltique de la Haute-Loire vs les paysages aux vallées profondes et contournées de l'Ardèche), et finalement deux eaux puisque le plateau est traversé par la « ligne de partage des eaux » de la méditerranée et de l'atlantique.

Ce territoire est avant tout un lieu auquel je suis profondément attachée, le fait que j'ai choisi Mézenc (le Mont sur lequel circule cette ligne de partage) comme nom d'auteur en témoigne.
Il se trouve qu'entre temps un récit a surgi de ces notes et que, pour les besoins de ce récit, je me rends régulièrement sur le plateau où je continue ce travail de repérage, d'observation, de rêverie dans le paysage qui alimente tout aussi bien le récit en cours que l'almanach que je poursuis en parallèle et en lien.

Consacrer une résidence de création à ce projet d'almanach, à cette forme très ouverte, populaire, ancienne et même désuète, me permettrait d'avancer concrètement dans sa réalisation tout en l'ouvrant à la collaboration avec des artistes, écrivains, paysagistes qui auraient le désir de contribuer à leur façon à ce projet... ainsi qu'avec des enfants qui seraient plus ou moins familiers de ce territoire à part. 
Parcourir avec eux cette région de sucs volcaniques, d'eaux, de vents et de frontières, en rendre compte dans ce cadre à géométrie variable qu'il s'agira de réinventer avec eux, s'interroger ensemble sur ce qu'est ou ce que représente ce paysage en particulier pour chacun de nous, tout cela réactive mon désir d’agencer des textes, des images et des sons qui n’ont a priori pas grand-chose à voir les uns avec les autres (indications astronomiques, recettes filmées, récits brefs, rumeurs rurales, cartes orographiques, micro-utopies concrètes, captation d'images 3D, liste de choses à défaire, itinéraires de marche subjectifs etc.), si ce n'est qu'ils seront ancrés dans un lieu et rythmés par les saisons, par le calendrier, ce qui n'est pas rien. 
Les productions des artistes invités et des élèves participants au projet seront mêlées aux miennes d'une façon qui reste à définir entre nous. 
Place serait également laissée aux notes du lecteur/visiteur du blog.

La forme de l'almanach me paraît suffisamment ouverte pour se prêter à un travail collectif, suffisamment contraignante pour que l'on puisse s'appuyer sur ce cadre qu'il s'agira de réinterroger et bousculer, ne serait-ce que par les possibilités des nouvelles technologies qui seront convoquées, autant pour capter du matériau que pour diffuser les réalisations.

J'y vois aussi une façon d'irriguer le récit évoqué plus haut et comme surgi ou tombé des notes prises pour l'almanach, « De espèces de dissolution » : l'histoire d'un homme qui, parti pour se fondre dans un paysage, découvre le plateau ardéchois. Il est question de le suivre au plus près, sur cette ligne de fuite qui est une ligne de désir, un désir aussi têtu que vague, sur les trajectoires géographiques et psychiques que le récit se propose de tracer. Il s'agira de traverser avec lui des strates de réalité, d'aucunes que l'on aurait tendance à croire plus communes, plus ordinaires, habitées qu'elles sont par des vaches, des graminées et des patrons de bistrot, d'autres qui seraient plus proches du rêve ou encore de l'hallucination contaminée par la pratique du jeu-vidéo.
J'envisage également d'intégrer ce récit à l'almanach, le découper en 12 mouvements correspondant aux 12 mois de l'année étant tout à fait pertinent puisqu'il suit de très près les saisons qui accompagnent les transformations du personnage.

Avec ces questions sur la table commune : qu'est-ce qu'un paysage ? Un territoire ? Comment un corps et un territoire se rencontrent ? Qu'est-ce qu'ils ont en commun, qu'est-ce qu'ils ont à faire ensemble ? Qu'est-ce qu'ils font l'un à l'autre ? Comment cette rencontre les change, les métamorphose, l'un comme l'autre ? 
Avec cet enjeu de défaire l'identité d'un lieu (montagnes à vaches, à randonneurs, à chasseurs, à éco-touristes etc.) et la refaire pour la porter à une puissance nouvelle. 

« La politique commence quand il y a rupture dans la distribution des espaces et des compétences. Elle commence quand des êtres destinés à demeurer dans l’espace invisible du travail qui ne laisse pas le temps de faire autre chose prennent ce temps qu’ils n’ont pas pour s’affirmer copartageants d’un monde commun, pour y faire voir ce qui ne se voyait pas, ou entendre comme de la parole discutant sur le commun ce qui n’était entendu que comme le bruit des corps. »
Rancière, Le Spectateur émancipé

Ressources, liste non exhaustive :

Almanachs classiques et contemporains (Vermot,  PLM, Vassilliou, Groland…)
Revue Les cahiers du Mézenc, Guide des Volcans de France, Atlas des Plantes des Champs des Prairies et des Bois etc.
Les carnets du paysage : http://www.actes-sud.fr/sites/default/files/AbonnementCarnetsPaysage.pdf
Anthropologie de l’espace, Françoise Paul-Lévy et Marion Segaud, Centre Georges Pompidou 1983
Les travaux et les jours de Hésiode
Logiciels de cartographie : 
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_logiciels_SIG 
- https://www.geoportail.gouv.fr/
Série de conférences sur Cités et frontières, parcs et paysages mise en ligne sur remue.net 
Travaux d'artistes contemporains sur la cartographie : http://www.lecfc.fr/new/articles/205-article-10.pdf
Espèces d'espace et Tentative d'épuisement d'un lieu parisien de Georges Pérec
Les adolescents troglodytes d’Emmanuelle Pagano
Paysage fer de François Bon
Tanganyika project de Sylvain Prudhomme
De la marche de Thoreau
Mille Plateaux de Guattari et Deleuze, plus particulièrement la partie « Devenir-intense, devenir-animal, devenir-imperceptible... »
Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll
Les Métamorphoses d'Ovide
La tortue du conte de la Comtesse de Ségur