Saint-Pons #01 - Apprivoisement 

Saint-Pons #01 - Apprivoisement 

Publié par Carol Landriot

Journal du projet

C’est la première semaine et je suis arrivée à Saint-Pons-de-Thomières, entre les Pyrénées et la mer Méditerranée, le soleil de la côte et le froid des cimes.

Le premier jour, je rencontre tous les enfants, en deux fois, pour une première prise de contact. Je visite rapidement l’école en essayant de ne pas me perdre dans la symétrie du lieu. La salle qui va me servir d’atelier pour les mois à venir fait 4 fois (ou plus !) la taille de mon appartement parisien, le cadre géographique est incroyable, j’ai les clés pour venir travailler le mercredi quand il n’y a pas école et surtout, je suis bien accueillie, autant par les élèves que par les enseignants et intervenants. Parée pour une semaine en immersion.

Bien que je travaille principalement avec les CE2/CM2 sur les piñatas, l’équipe enseignante s’organise pour que je puisse voir tous les enfants et que chacun profite de cette expérience. Les CE1/CM1 viendront faire un reportage de ma présence au sein de l’école, en passant régulièrement dans l’atelier pour voir comment il évolue en fonction de mon installation, photos et textes à l’appui, et pendant les moments d’échange avec les CE2/CM2. Je vais côtoyer l’ensemble des enfants pendant les décloisonnements, périodes où toutes les classes sont rassemblées dans des groupes pendant une heure en fin de journée pour faire des activités différentes : arts plastiques, chant, anglais, sport … Et je fais différentes interventions dans les classes en fonction des sujets abordés. Cette semaine, une présentation des piñatas chez les CE1/CM1 et une classe de maths et arts plastiques avec les CP.

Il résulte de nos premières rencontres beaucoup de questions, des plus personnelles au plus générales. Quel est mon animal préféré, est-ce que j’ai mon bac, à quoi ça sert l’art, est-ce que j'aime les enfants, quel·le est mon artiste préféré·e, comment je fais pour inventer des objets bizarres, est-ce que j'aime bien voyager, quel est mon projet le plus raté, combien je vends mes "œuvres", est-ce que je suis mariée, combien de temps j’ai mis à venir de Paris, et surtout, finalement, ce que je fais ici.

Une fois qu’on a réussi à répondre à toutes les interrogations, et que je ne suis plus si inconnue, on va pouvoir commencer à travailler sur les piñatas avec les deux classes concernées. En retraçant l’histoire de ces objets symboliques, on se rend compte qu’ils ont vocation à être des exutoires : on détruit un objet représentant le mal, ce qui nous nuit, pour en retirer un certain plaisir représenté par ce qu’il y a à l’intérieur : sucreries, paillettes, plumes, papiers colorés selon les époques et les cultures. C’est le point de départ du projet, aussi bien celui qu’on va faire avec les enfants que celui que je développe de mon côté.

Le premier exercice de cette semaine est la définition par le dessin de ce qui nous fait peur et ce qui nous rassure, puis la symbolisation de ces peurs. Une fois qu’on a mis de côté les films d’horreur et les personnages fictifs, il reste les peurs personnelles, dont on ne parle pas toujours, celles qu’on a intériorisées, celles qu’on ne peut/veut pas raconter à tout le monde. Cet exercice prend un sens particulier dans cette école où certains élèves ont une histoire personnelle complexe, et ont vécu des choses parfois difficiles. Les histoires se racontent doucement, se révèlent à moitié, et surtout s’illustrent sur le papier au fur et à mesure des discussions. On évoque des histoires familiales, on parle de la séparation au moment de rentrer à la maison d’enfants, mais aussi de la peur d’un camping car, du bruit du vent, ou des cauchemars. L’idée est de définir à la fin de la semaine un objet qu’on va construire en volume par la suite, remplir de surprises, et détruire en juin, un objet joyeux qui se nourrira de nos peurs mais permettra aussi de s’en éloigner, de dédramatiser, de se débarrasser de nos angoisses grâce à son aspect coloré et joyeux et au sens qu'on lui donne.

Jour 2 : "Et les piñatas, on pourra les casser après ?"
Jour 3 : "Mais peut être qu'on peut faire une petite trappe dedans comme ça on récupère les bonbons sans taper dedans et après je pourrais la ramener à la maison ?"

Peut-être qu'on n’arrivera pas à détruire tous les objets à la fin de l'année, peut-être qu'on se sera trop investis dans la décoration pour oser taper dessus. Quoi qu'il en soit, l’objectif est régulièrement rappelé : finir l’année dans une célébration, en espérant que ces piñatas éloignent le mal et nous portent chance pour la suite. Je reviendrai dans deux semaines pour qu’on commence à construire les structures.