Notre crâne est une carte céleste qui se déploie la nuit

Notre crâne est une carte céleste qui se déploie la nuit

Publié par Maxine Reys et Audrey Bersier

Journal du projet

Projet radiophonique / Étape de recherche et d’écriture

« Peut-être y’aura une grosse chaleur, parce que les dinosaures ils sont morts comme ça.

– Et la terre elle va fondre, elle va fondre, elle va fondre, et hop ! on va tomber !

– Parce que les dinosaures, à un moment, y’a eu une grosse chaleur, et du coup ils ont eu trop chaud et ils sont tous morts. À part l’oiseau !

– À part l’oiseau ?

– Ouais, l’oiseau-dinosaure il peut voler.

– Tu penses qu’il va se passer la même chose avec les humains alors ?

– Oui. À part, euh… l’oiseau. »

Les enfants de Marles-les-Mines nous ont parlé des oiseaux comme d’une entité animale presque surpuissante pouvant survivre à toutes les grandes extinctions terrestres. Ça nous a donné envie d’écrire du point de vue de l’oiseau. De lui confier nos cauchemars et de le laisser voyager ainsi, spectateur de nos peurs.

RÊVE 1.

« La terre est recouverte d’une fine couche de poudre blanche, comme de la cendre de volcan. Un épais brouillard nous empêche de voir à plus de deux mètres devant nous. Au cœur de cette matière lourde, une silhouette noire et massive se dessine. C’est un sanglier. Nous le voyons à peine, en semi-transparence, mais il est là – très grand, élancé, en tout cas effrayant.

Nous nous couchons le plus silencieusement possible sur un monticule de pneus crevés, en essayant d’y voir un peu plus clair. L’énorme sanglier ne nous a pas vus. Il ne nous sent pas et se dirige ailleurs. Lentement, le plus silencieusement possible, nous nous déplaçons sur notre protection de caoutchoucs recouverts de blanc. Le sanglier s’avance vers ce qui ressemble à une petite place, dont les contours sont difficilement identifiables.

Nos yeux sont soudainement attirés, comme projetés vers l’avant, vers des masses informes et mouvantes au centre de la place. Un lapin est en train de dévorer un loup. Le loup est éventré, ses muscles sont à vif, ses os cassés ressortent de sa cage thoracique. Il semble avoir gelé, tout est gris, rose pâle et blanc. Le lapin le bouffe et le maintient fermement quand le loup est prit d’une dernière secousse de survie.

Soudain, le sanglier réapparaît. Face à cette masse imposante et majestueuse, nous nous enfonçons complètement dans nos pneus. Nous n’y voyons presque plus rien. Entre le brouillard et la couche de cendres, des silhouettes, plus petites, apparaissent. Le sanglier a rejoint ses marcassins. Ils l’entourent, le caressent et lui grimpent dessus. Ils s’y frottent, le sentent, le lèchent, ils s’emballent… Les petits l’écrasent, et subitement les tendres retrouvailles se transforment en un rituel de meute de carnassiers affamés, et les petits commencent à manger le gros sanglier. Doucement et sans bruit, dans ce paysage recouvert de blanc qui étouffe les cris comme la neige, les marcassins bouffent le sanglier jusqu’à la dernière miette.

Au milieu de ce festin, un corps nu est allongé sur un traineau. L’homme se relève, nous voyons distinctement ses os blanc et rose pâle sortir de son cou et de son thorax. Il s’approche de nous, peut-être l’avons nous déjà connu, dans un vieux souvenir. Il nous a vu, lui. Il sait que nous sommes là mais ne réagit pas. Alors que ses os tendent dangereusement vers l’extérieur, sans que cela ne semble le gêner, il s’arrête à quelques pas de nous et dit : « Tout ça, c’est à cause de moi. »

Alors tout s’arrête dans le paysage, tout se gèle, comme si quelqu’un avait appuyé sur pause. Nous regardons ce monde immobile. L’homme, serein, passe devant nous et s’enfonce lentement dans le brouillard. Nous sommes là, dans ce blanc, au milieu des restes d’un repas dionysiaque, et nous sommes perdus. »