travail d'écriture du texte

La naissance des histoires

Publié par Louise Morel

En parallèle de notre travail durant les dix jours de mai, nous avons poursuivi nos ateliers de pratique avec les enfants. Nous avons commencé par définir des groupes définitifs afin qu'ils préparent des histoires plus développées, que nous aurions le temps de répéter longuement et d'étoffer davantage, avec également un travail technique plus poussé. Même si ces histoires resteraient courtes, l'objectif était de les montrer à un vrai public à la fin de l'année. Nous avions du pain sur la planche !

tableau des groupes

Premier jour : établir les groupes et commencer les histoires

Le 20 mai, quand nous sommes arrivées, après les jeux et les échauffements, nous avons commencé par constituer les groupes. Ce qui n'a pas été évident car il s'agissait de les mettre en place de façon définitive, et nous voulions, autant que possible, que les enfants arrivent à se mettre d'accord. Exercice ardu dans ce contexte. Nous en avons discuté, avons essayé d'aller dans le sens de chacun, et au moment où il y a eu blocage, nous leur avons proposé une récréation, durant laquelle nous avons nous-mêmes tranché.
Lorsqu'ils sont revenus, nous leur avons montré notre proposition. Une main s'est rapidement levée : "Ça ne va pas marcher, elle et moi, on ne s'aime pas." Ce à quoi nous nous étions préparé, et sur quoi nous avons rebondi : "C'est parfait ! Quels sont les thèmes que nous traitons ensemble ? L'injustice, l'abus de pouvoir. Là, nous vous proposons des groupes, certains ne vous plaisent pas, vous pensez que c'est injuste ? Que nous abusons de notre pouvoir ? Et bien vous allez vous servir de ces sentiments pour écrire vos histoires." 

Tableau des thématiques

Et contre toute attente, dans la plupart des cas, cela fonctionna très bien. Les élèves n'ont pas protesté très longtemps et se sont rapidement mis au travail. Finalement, il est possible de travailler avec tout le monde, et ces enfants en ont été l'exemple parfait.

Que ce soit sous forme de notes, d'idées jetées sur le papier, ou bien d'un texte théâtral complété de didascalies et d'une distribution, chaque groupe a bien avancé sur son histoire ce jour-là.
Nous leur avions donné comme contrainte d'utiliser au moins une thématique positive (Solidarité, douceur, résistance, dialogue, compromis) et une thématique négative (injustice, abus de pouvoir, violence, terreur, exclusion/solitude) parmi celles indiquées sur le tableau, qui correspondaient à ce que nous avions vu ensemble dans le conte. Nous n'avons cependant peut-être pas assez pris le temps de les expliciter, car là où nous entendions par exemple "terreur" au sens politique de la Révolution, nous avons eu droit à une histoire d'horreur inspirée du film "Annabelle" et à une histoire de Loup-Garou. Mais en ré-orientant un peu chaque groupe, nous avons malgré tout réussi à ne pas leur faire totalement perdre de vue les thématiques importantes que nous travaillions.

Deuxième et troisième jour : mise en jeu

Le lendemain, nous avons commencé à mettre en place le travail technique avec de premiers essais de scènes en jeu. Le groupe le plus avancé dans l'écriture a commencé à passer à la lumière, tandis que les autres groupes avançaient sur leurs histoires, et sur la recherche ou la fabrication de costumes ou d'accessoires. Puis un autre groupe est passé, et chacun leur tour, ils ont pu petit à petit définir les effets qu'ils souhaitaient, les couleurs, les découpages lumineux etc. Dans certains groupes, une personne avait uniquement le rôle de régisseur(se), et se consacrait entièrement à la technique : lourde charge ! Car ils étaient dans ce cas autant techniciens que créateurs lumière. Nous avons commencé à les guider sur l'écriture des conduites lumières, à leur façon pour que cela reste clair pour eux. Chacun prenait un plaisir évident à éclairer ses camarades, et ainsi, à les faire apparaître. Peu à peu, les histoires prenaient forme, prenaient vie.

Atelier pratique ombres
Flore, donnant des indications sur l'utilisation des gélatines

Le jeudi suivant, nous avons mis en place des pôles de travail avec un adulte différent responsable de chaque pôle. D'abord les deux tables d'écriture/choix de costumes, dont je m'occupais. Il s'agissait de faire en sorte que les histoires pas encore terminées trouvent une fin, avec laquelle chacun soit d'accord, de régler les soucis s'il y en avait, d'écrire les dialogues pour ceux qui avaient du mal à le faire, ou encore de revoir l'écriture de la conduite technique. Puis, une fois que toute cette partie écriture était terminée, il était possible de fouiller dans la boîte à costumes ou de fabriquer des accessoires afin qu'il ne manque rien à la scène (tout en se rappelant évidemment que les costumes devaient nécessairement être visibles dans les silhouettes, et non pas seulement faire joli, ou "stylé", ou "marrant", étant donné que nous travaillions sur les ombres).

Le troisième pôle, avec Anita, était un espace de répétition des scènes, "en live", c'est-à-dire sans castelet, sans les ombres. Tout le monde ne pouvant pas passer en même temps derrière le castelet, et pour que ce moment soit plus efficace et consacré à la technique et non pas au jeu, il était important que les scènes soient travaillées en amont. Et cela grâce à deux regards différents puisque le quatrième pôle était également consacré au jeu, avec Charly. Lui et Anita guidaient les enfants en leur rappelant toujours leurs contraintes physiques pour qu'ils ne perdent pas de vue le fait de jouer de profil, de faire des grands mouvements etc. Leur faire répéter leur texte, clarifier leur rôle, s'adresser à l'autre, écouter son partenaire, savoir pourquoi on fait les choses, et être clair dans ses intentions... tout cela est fondamental dans le travail du comédien, et très important à traverser dans le processus de création d'un moment scénique.

Le cinquième et dernier pôle était la technique, encadrée par Flore. Là-bas, plus question de se concentrer sur le jeu, il fallait "écrire" la partition lumineuse de la scène. C'était faire le choix d'une couleur à un moment donné, d'un effet visuel, d'un zoom quelque part, d'un noir... Mais c'était également bien réfléchir à pourquoi on fait les choses et comprendre que la lumière est non seulement utile pour voir, ou pour embellir, mais elle donne également un sens à ce qui se passe. Par exemple, la couleur rouge a plusieurs fois été choisie pour représenter le danger ou la colère, la couleur bleue pour représenter la nuit. Tous les éléments visibles par le spectateur sont des signes qui donnent des indications sur ce qui se passe et sur l'histoire. À travers toutes ces étapes de travail, les enfants en ont fait l'expérience.

Tous les quart d'heures, chaque groupe avançait d'un pôle et poursuivait son travail. Un rythme effréné, pas toujours facile ni pour eux ni pour nous, mais que nous avons réussi à tenir tous ensemble et qui a porté ses fruits. 

Atelier pratique ombres
Travail technique avec le groupe des copines aux couleurs

Premier Public

La semaine suivante, le lundi, les enfants sont venus assister à une répétition du village aux mille roses (le récit en est fait dans l'article "résidence au hangar"), et nous avons pu échanger ensemble autour de notre travail, sur des questions techniques, ou des questions de sens.

Le lendemain, à l'issu de leur séance de travail, ça a été à notre tour de leur rendre visite. Pour cet atelier, nous étions deux, Naomi et moi, pour encadrer les enfants. Ainsi, le reste de l'équipe pouvait travailler en même temps, et il nous a rejoint en fin d'après-midi pour la fin de la répétition. 
Ce jour-là, j'encadrais le travail technique, et Naomi aidait les quatre groupes qui n'y étaient pas pendant ce temps, s'ils en avaient besoin. En autonomie certains revoyaient l'écriture de leur scène, d'autres travaillaient sur des accessoires. Ils ont appris ce qu'était une italienne (se dire le texte, sans jouer, pour travailler la mémoire), parfois ils répétaient également. Motivés, dynamiques et efficaces, c'était un vrai plaisir. 
Cette période de mai a laissé se développer leurs imaginaires, leur a appris les compromis et la patience nécessaires au travail de groupe sur du long terme (ça n'est pas toujours si simple de s'entendre, même si parfois le courant passe très bien), et le fait de devoir faire avec les caractères de chacun. Certains se sont révélés, au contact du travail technique, très manuels, observateurs et analystes. D'autres ont laissé parler leur tempérament de leader, d'autres, plus discrets, se sont accrochés et ont fait de leur mieux pour un super résultat. À nous d'encadrer, aider, guider ces enfants, qui savaient déjà à eux-seuls installer un peu d'équilibre. 
Nous avions encore de belles et joyeuses heures de travail devant nous !