Saint-Béat (et au milieu coule la Garonne), creative commons

(DE) L’ADAPTATION POUR SAINT BÉAT : LA QUESTION DE LA REFORMULATION DU PROJET

Publié par Antoine Raffalli

Journal du projet

À l’origine : un village, un projet... et une problématique pédagogique majeure. Retour sur les débuts de l'aventure Création en Cours entre questionnements artistiques, pédagogiques et chamboulement imprévisible... 

À l’origine : un village, un projet... et une problématique pédagogique majeure. 

Le village ? Saint-Béat, petit village du Sud-Ouest, en proie dernièrement à plusieurs intempéries (crue, tempête, etc.) qui se situe à quelques encablures de la frontière espagnole. 

Le projet ? L’adaptation très libre du roman culte de Stig Dagerman, auteur Suédois, qui s’intitule l’Enfant Brûlé, écrit en 1945, et sur lequel nous nous projetons avec ma partenaire dans cette aventure, Morgane Fourcault, depuis quelques temps déjà. 

La problématique pédagogique ? Comment faire en sorte que cette histoire sensible et tragique, qui parle du processus de deuil d’un jeune adulte qui perd sa mère et met un an à s’en remettre, puisse être saisie et manipulée artistiquement par des enfants encore en primaire ? 

Après plusieurs semaines de réflexions avec Morgane, une évidence apparaît : nous devons réécrire le projet. Le reformuler, l’adapter, le contextualiser en rapport à notre lieu d’intervention et surtout à ses très jeunes participants. 

Comment ? En prenant en compte différents paramètres : quelles sont les thématiques que nous pouvons garder ? Comment rendre accessible une langue austère et sophistiquée ? Comment éviter d’aborder l’intime de manière trop frontale, plus encore lorsqu’elle traite de la question familiale ?

Ainsi, nous examinons de nouveau le roman sous toutes ses coutures et nous prenons des décisions : tout d’abord, insistons sur la thématique des quatre saisons constituant la structure du roman. Ce dernier décrit chaque saison avec précision. En parallèle, nous découvrons alors que Saint Béat a connu dernièrement plusieurs péripéties liées au dérèglement climatique : inondation, crue, et une tempête qui, cette année, a soufflé le toit de l’école ! Comme un avant-goût des rebondissements qui nous attendent...

L’idée d’intégrer ces problèmes climatiques au nouveau récit voit le jour. Relier la disparition initiale de la mère, et pourquoi pas des deux parents, à ces événements... Partir du réel, du factuel, en y ajoutant progressivement de l’imaginaire... Et si, à la place de la disparition de la mère, c’était toutes les mères qui disparaissaient à cause d’une crue ? Puis tous les pères, cette fois à cause d’une tempête ? 

Imaginez un instant, les enfants livrés à eux-mêmes comme dans Sa majesté des mouches, le roman de William Golding, par exemple...

Garder aussi l’idée de l’intime. Dans l'ouvrage de Dagerman, le jeune héros écrit des lettres tout au long du roman, comme un journal intime. Pourquoi ne pas imaginer que les enfants de Saint Béat puissent le faire également, en racontant leur quotidien ?  Leur quotidien soudainement transformé par des événements étranges... que nous pourrions intégrer progressivement lors de la réécriture. Amener ainsi leur créativité à s’exprimer à travers l’histoire de ce jeune garçon suédois tout droit sorti d’un film d’Ingmar Bergman.  

Nous décidons donc d’écrire à quatre mains une nouvelle histoire, plus chorale, plus locale, plus ancrée dans une réalité connue, mais avec un vrai pouvoir fictionnel, une bifurcation du quotidien vers le fantastique, un peu comme ce qui fait l’identité littéraire de l’auteur japonais Murakami, qui nous parle à sa manière de “réalisme magique”, d'événements hors normes, incongrus, dans une réalité simple et souvent banale. On pourrait également citer comme source d’inspiration de nombreux auteurs de l’absurde et du surréalisme comme Eugène Ionesco ou L’ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon.

Après un mois, nous avons écrit une quarantaine de pages, tout commence à prendre forme quand soudain… Le grand chamboulement ! L’arrivée d’un événement qui, dans la liste des catastrophes ayant frappées des dernières années, était difficilement envisageable pour les béotiens que nous sommes. Une pandémie mondiale ! Ionesco n’aurait pas trouvé mieux comme scénario ! 

Exit d’un coup Saint Béat, d’abord pour la première période d’avril-mai puis juin. Au fur et à mesure, jour après jour, de nouvelles incertitudes apparaissent...  Quand ce confinement insolite finira-t-il ? Les écoles vont-elles rouvrir ? Dans quelles conditions ? Pourrons-nous voyager jusqu’à Saint-Béat ? Impossible pour nous de revenir la saison prochaine pour cause de planning qui se modifie sans cesse… Les projets s’annulent, se décalent, un vrai jeu de chaises musicales !  Avec incrédulité, puis lucidité et une certaine déception, nous réalisons désormais qu’il nous faut trouver autre chose. Un autre refuge dans la tempête. Pour continuer à créer ; et rêver.