Image de répétition, crédit Antoine Raffalli

COURT-MÉTRAGE

Publié par Antoine Raffalli

Journal du projet

Ou on expérimente subitement la réalisation de court-métrages improvisés...

Au cours de notre résidence, nous avons compris que l’écriture cinématographique de Dagerman méritait - si nous voulions faire des court-métrages pour évoquer certains passages du roman où plusieurs personnages se croisent - un véritable traitement. 

Comment filmer ces scènes, avec quel angle, quels moyens, quelles actrices et acteurs ?
Autant de questions que nous nous sommes posés et que nous nous posons encore. 

Pour essayer d’intégrer ces court-métrages à notre résidence, nous décidons un samedi, de réunir quelques amis à Paris dans un appartement afin de filmer, munis de deux caméras, des petites séquences à intégrer au projet. 

Nous prenons un acteur pour jouer le père, je jouerais à l’occasion le fils, et deux actrices pour jouer la nouvelle amie du père et la fiancée du fils.

Ce sont des comédiens que nous connaissons depuis longtemps. Ils ne connaissent pas l’histoire, nous la racontons brièvement. Munis de repères sur les situations à jouer, nous improvisons. Avec des repères rapides sur les situations à jouer, nous les explorons alors en improvisation.   

Les comédiens et comédiennes se révèlent très vite, extrêmement brillants. Morgane décide de filmer. Nous discutons ensemble d’une réalisation nerveuse, où la caméra peut alterner gros plans et changement d’axe sans découper la séquence. Il n’y a donc pas de montage. Nous n’avons ni le temps, ni les capacités professionnelles pour le faire. L’idée d’une caméra ou plutôt d’un caméscope “voyeur” donne une dimension “amatrice” à la réalisation. Nous évoquons l’idée que ce soit Bengt qui filme la séquence… finalement c’est une caméra subjective mais extérieure qui filme les scènes comme un invité surprise qui se glisserait dans les conversations et l’intimité des personnages. 

Nous décidons de tourner trois séquences dans l’après-midi. 

La première est celle qui correspond au moment de la première rencontre entre Bengt, le jeune héros du roman et Gun, la fiancée du père, au cours d’un repas organisé par le père de Bengt, Knut. 

Ce chapitre intitulé Thé pour quatre ou cinq raconte le déroulé d’un repas malaisant durant lequel le fils fait sentir par sa colère sourde, mais aussi par son départ précipité de table, à quel point cette situation est violente à ses yeux. 

Nous faisons deux prises. Il y a quelque chose d’assez magique dans la simplicité avec laquelle des acteurs jouent la situation en étant presque vierges de l’histoire. Quelque chose d’une naïveté enfantine.

Dans la deuxième séquence, c’est une confrontation entre le père et le fils dans l’appartement. Le père tente de faire comprendre au fils qu’il doit passer à autre chose. 

Dépasser la mort de la mère pour envisager un futur. Un vrai futur.
Pour cette séquence nous choisissons de filmer dans une cuisine. L’improvisation nous fait employer des mots contemporains, des hésitations qui cassent la langue “ampoulée” de la traduction. La caméra est très proche, au milieu du père et du fils.

Dans la troisième séquence de la journée, nous suivons en extérieur Bengt et sa fiancée qui quittent le repas de famille. C’est une courte séquence qui éclaire sur la tension sous jacente qui anime Bengt. Ce dernier explose de rage contre sa fiancée pour un motif à priori banal. 

Au cours de nos réflexions sur la forme de nos court-métrages, nous nous sommes interrogés sur le fait de faire des films uniquement avec des adolescents. D’abord car le noeud de l’oeuvre est le passage difficile de l’enfance à l’âge adulte par l’état intermédiaire de l’adolescence. Un état où le monde devient binaire, dans lequel les zones grises de la vie ne sont pas encore éclairées sous un nouveau jour. Ou du moins pas encore acceptées. 

Avec le temps dont nous disposions, cette tentative était trop ambitieuse. 

Mais c’est une idée que nous voudrions explorer dans un futur proche...

Le lendemain sur le plateau des Ateliers Médicis, nous avons projeté nos essais de la veille. Dans l’ordre et en l’intégrant au jeu sur le plateau. Outre les difficultés liés à la technique et à son enchaînement (sons, lumières et vidéos), nous avons pu constater que ces court-métrages pouvaient apporter une vraie valeur ajoutée à la proposition scénique. En créant une superposition dans le jeu, c’est-à-dire en additionnant ce qui se passe à l’image avec la vie au plateau, nous avons pu envisager un liant entre les séquences sans vidéos et le reste. Pour exemple : si le personnage de Bengt au plateau regarde le personnage de Bengt à l’écran, il se passe un dé-doublement intéressant du personnage central, qui peut être renforcé si Bengt au plateau double vocalement ou physiquement le Bengt à l’écran. 

On a l’impression du coup d’assister à l’expression d’un ressassement mental, d’une réécriture subjective de la réalité,  ce qui correspond justement à la construction du roman. Les lettres sonnent comme l’expression d’un moi empêché, et la narration se déroule comme si le fils n’avait pas d’emprise sur l’action au temps présent mais subissait les aléas de son existence douloureuse.