9. Sortie de résidence… Invitation

9. Sortie de résidence… Invitation

Publié par Anaïs Lelièvre

Journal du projet

Exposition de sortie de résidence à la médiathèque de Sospel du 19 mai au 13 juin. Vernissage le samedi 19 mai à 12h. Micro-performances le 18 mai place de la Cathédrale.

La résidence Création en cours (Ateliers Médicis) de l’artiste plasticienne Anaïs Lelièvre à Sospel s’est amorcée par une phase de recherche à partir des ressources locales du village. Entre les strates géologiques, les cailloux émergeant de la Bevera, les dessins formés par les pierres sur les murs et sols pavés, les inscriptions pariétales de la Vallée des Merveilles – le dessin comme pré-écriture –, l’histoire de la route du sel (qui est un cristal)… l’attention s’est focalisée vers le minéral, croisé avec le dynamisme des flots de la rivière et des tourbillons baroques (la cathédrale, les Baroquiales…). A leur point de jonction, la découverte d’une pierre locale « cargneule » – d’origine calcaire, donc fossile (par transformation du vivant en roche) – dont les crevasses courbes ont été créées par brisure et fragmentation sous pression de l’eau. La première cargneule remarquée par Anaïs évoquait la fragilité d’un papier brûlé, gris cendre, à la lisière de l’émiettement, tout en constituant le bloc d’un mur du village. Puis, la cargneule choisie comme matrice du travail portait dans ses brèches l’intensité de la gueule ouverte, prémices du langage à construire. En déroulant la ligne d’un crayon et d’un stylo, en suivre les flux et fractures, et y inscrire des mots cherchant à transcrire l’imaginaire qu’elle ravive. Ce dessin-écrit est multiplié par photocopies pour construire, par assemblage, des maisons, puis un village telle une écriture, que l’on pourrait traverser, arpenter, habiter. Le vocabulaire décrivant cette pierre (« caverne ouverte », « cavité », « pinacle », « piton ruiniforme », « colonne émergente », « ciment »…) fait d’ailleurs écho à l’habitat, et la forme de sa structure complexe à l’architecture baroque… Et c’est une maison, pleine de plis, que Gilles Deleuze dessinait pour expliciter la philosophie baroque et ses monades, mondes clos (Le Pli : Leibniz et le baroque). Cette recherche en mouvement est aussi une recherche sur le mouvement : comment donner vie à l’inerte, auquel sont couramment associées la pierre et l’architecture ? ou, plutôt, comment rendre leurs propres dynamismes, quasi-imperceptibles ? Le projet s’oriente vers des micro-performances, animant ces maisons nomades, dont les tracés et remous vibratiles évoquent autant les fractures tectoniques des Alpes-Maritimes, menace d’effondrement sismique (la cargneule se trouve d’ailleurs souvent le long de dislocations tectoniques), que le processus d’émergence de l’architecture à partir de la matière pierre, et la vie qui la traverse, depuis les organismes en fossilisation jusqu’à leur habitation actuelle et d’autres métamorphoses à venir.

Les deux classes de CM2 de l’école de Sospel ont observé tout ce processus et pratiqué eux aussi en écho. Ils ont ainsi découvert que la création se construit dans la durée, avec des explorations, des questionnements, des tentatives, des errances, des lectures, des expériences, de la curiosité, des pistes ouvertes, mises de côtés, des choix, des mots que l’on essaie de poser, des revirements, de belles surprises, des complexités techniques, et des solutions à inventer… Aussi, le regard posé sur l’œuvre finalisée sera porté par la connaissance et l’expérience de toute cette démarche. Les réactions et inventions des élèves ont d’ailleurs même fait partie de ce cheminement : leurs mots incroyablement inspirés par les fossiles, cristaux et autres pépites récoltées en randonnée (à la suite de Roger Caillois, André Breton, Jean Arp) ; leur matérialisation sur base de pâte à sel venant faire parler les cailloux de la Bevera ; les graphismes anguleux, striés, adoucis ou tranchés par lesquels ils ont dessinés les pierres ; les mélanges de sels du monde retenant l’encre dans la colle, les grattages, recouvrements de matière évoluant au moindre geste ; les collages sur leur maison par petits bouts graphiques ou grands bouts englobants ; les agencements testés de mini-village, en ronds, par tailles, superposés, en écriture (formant « restav » de la façade de la cathédrale), sur la tête, sur deux têtes, comme des gants, en dansant, jusqu’à recouvrir tout le corps, activant des maisons nomades (comme le sel transporté), et interrogeant in fine les processus d’évolution architecturale d’un village au fil des ans.