Tourisme est un spectacle de théâtre à la croisée des disciplines, à la frontière entre théâtre, musique et installation plastique. Si le texte s’apparente à une fable de théâtre, nous puisons nos influences en grande partie dans les arts visuels. Le projet se base essentiellement sur de la matière documentaire que l’on vient ensuite retravailler et transformer pour l’intégrer à la fiction.
Tourisme questionne la figure du touriste contemporain et nos façons de voyager. Nous traiterons ce sujet sous l’angle satirique. La fable se déroule dans un espace hybride entre un club de vacances situé dans une ancienne colonie française, un chantier de fouille archéologique et un plateau de théâtre.
NOTE D’INTENTION
Tourisme est une fable satirique pour quatre personnages qui se base sur des faits documentaires et forme un diptyque avec Le Palace de Rémi, notre précédent spectacle.
La pièce isole et questionne avec humour des situations touristiques typiques : la visite d’un musée, de paysages exotiques ou de monuments historiques. Nous souhaitons ramener au coeur du projet des problématiques écologiques, sociales et économiques, liées à l’activité du touriste moderne. Un exemple criant : le site de location d’appartement AIRBNB qui change le visage et la population de quartiers entiers transformant les villes en parcs d’attraction permanents.
Voyager serait synonyme d’une quête d’authenticité, d’ouverture sur le monde et sur les autres. Mais pourquoi voyage-t-on ? Que cherche-t-on ? Que conservons-nous de cette pratique sociale mise en place par l’aristocratie anglaise au XIXème siècle ?
Tourisme est la continuité d’une réflexion amorcée avec Le Palace de Rémi : comment peut-on être un humaniste sous les traits d’un diogène ou au contraire un globe-trotteur qui se regarde le nombril ? Au tourisme de masse des années 60 relativement décrié aujourd’hui, on substitue une nouvelle idéologie : celle de la rareté, du partage, de la mise en commun, du “retour à l’authentique” qui nous semble être, sous couvert de bons sentiments, une idéologie libérale et agressive.
Avec ce spectacle, nous souhaitons questionner cette quête d’authenticité ainsi que la quête d’exotisme du touriste moderne. Si le mot « exotisme » est utilisé couramment, il a en fait une réalité historique très claire : l’exotisation est un processus de construction idéologique propre aux colonies. La naissance puis l’essor du tourisme au XXème siècle sont donc pour nous inextricablement liés à cette vision de « l’exotisme » ainsi qu’à l’histoire de la colonisation.
“L’exotisme n’est pas le propre d’un lieu ou d’un objet mais d’un point de vue et d’un discours sur ceux-ci. L’exotisation est un processus de construction géographique de l’altérité propre à l’Occident colonial, qui montre une fascination condescendante pour certains ailleurs, déterminés essentiellement par l’histoire de la colonisation et des représentations. L’exotisation passe par une mise en scène de l’Autre, réduit au rang d’objet de spectacle et de marchandise.” J.F Staszak
RECHERCHE DOCUMENTAIRE
L’ambition de Tourisme est de rendre visible par l’humour les traces de nos passés impérialistes dans le tourisme contemporain, la façon dont les imaginaires exotiques se sont construits politiquement et de quelles façons ils sont encore agissants dans nos représentations et nos actions.
L’écriture du projet s’appuie sur une matière documentaire que l’on recueille (interviews, photos de vacances, compte-rendu de lieux visités, de choses vues, archives de journaux, essais, vidéos) et que l’on vient ensuite retravailler, transformer (retranscription, travail de mimétisme et décalage d’après les interviews, reproduction d’image, décontextualisation). In fine les documents dans leur matérialité auront sans doute disparu, digérés par le plateau, il restera leurs traces, dans nos fictions.
DRAMATURGIE ET PISTES DE RECHERCHE
Qui dit travail aliénant, dit vacances aliénantes ?
Dans The Tourist, Dean MacCannell décrit le touriste comme un modèle de représentation parfait pour comprendre l’homme moderne. Il analyse la quête du touriste comme une tentative d’échapper à l’aliénation de nos existences, en allant chercher ailleurs la “vie vraie”, l’authentique, autrement dit les “coulisses” de la scène touristique. Cette recherche est nécessairement vouée à l’échec puisque la présence même des touristes implique la mise en scène de ces coulisses. Là où le touriste pense voir les coulisses, il est en réalité toujours dans le décor.
L’homme moderne se retrouve donc à jouer un rôle au sein-même de cette mise en scène qui a été imaginée pour l’accueillir. Pour MacCannell, le tourisme n’est pas un voyage vers un inconnu mais un principe social de reconnaissance et de mimétisme. On y va pour reconnaître ce qui a déjà été vu et pour être reconnu comme celui qui y a été.
Le lieu de vacances est donc par essence un décor. Tout y a été disposé à dessein, avec un “effet authentique”. Cette idée du factice, de la mise en scène des choses, nous sert d’appui pour commencer à écrire Tourisme et à penser la scénographie. Un univers de carton-pâte où les relations et leurs apparences se font et se défont.
LA SCÉNOGRAPHIE : UN LIEU MULTIPLE
L’idée de la scénographie n’est pas de créer un lieu identifiable mais plutôt un lieu multiple qui pourrait être le mélange de différents endroits. On pense beaucoup aux scénographies qu’ Anna Viebrock réalise pour Marthaler. C’est une référence théorique, car elles sont souvent monumentales, et nous pensons quelque chose de beaucoup plus léger. On pense notamment au spectacle Platzmangel qui pourrait se passer à la fois dans un sanatorium, au coin d’une rue ou dans une station de ski, et qui rassemble des personnes qui ne semblent pas avoir particulièrement de liens entre eux. La scénographie est suffisamment ambiguë pour que l’espace évoque à la fois un lieu de repos, un asile, une prison. Notre idée à travers cette fusion de différents espaces est de créer des liens entre un centre de vacances (et son horizon exotique) et des espaces coloniaux.
LA MUSIQUE : PAYSAGE SONORE - TOURISME AUDITIF
La création musicale est pensée conjointement au récit ; elle fait partie intégrante de la recherche dramaturgique, comme une langue à part entière, un relai du langage. Cela nous permet de créer une théâtralité qui nous est propre, notamment en expérimentant le principe de la comédie musicale. Ou comment chanter ce que l’on n’arrive pas à dire en parlant ? Ces scènes parlées-chantées permettent une distance avec la situation qui est en train de se jouer et une adresse au public décomplexée, proche des films de Jacques Demy.
Par ailleurs, nous souhaitons travailler sur la coexistence de divers régimes du vivant dans un même espace. On imagine une musique diurne : celle des humains : agitée, bruyante, faite de métissages musicaux. Et une musique nocturne : celle des autres espèces qui la nuit se réveillent ; lorsque les plages sont désertes, les bars fermés et que l’on entend seulement le vent au travers des palmiers. La faune et la flore pourraient alors, la nuit venue, s’exprimer à travers la musique et nous faire entendre d’autres langages. En donnant aussi la parole aux végétal, on tentera de tourner en dérision l’espèce humaine et ses préoccupations. La création musicale rendra sensible les dissonances, la multiplicité ou la choralité de ces différentes voix, humaines et non humaines.
Par le(s) artiste(s)