Sous son apparente légèreté, le jouet cache bien son jeu. Il traite de nombreux enjeux propres au design d’objet et au design graphique. Il reflète la société dans laquelle il est né. C’est un objet où nous projetons nos émotions et nos souvenirs. Depuis 2018, nous menons un projet sur les jouets et les savoir-faire qui lui sont liés. Nous adoptons le jeu comme une méthode de création. Aujourd’hui, nous voulons partager cette démarche avec les enfants, les initier au design, susciter leur curiosité et les amener à s’émerveiller. Via une recherche sur les paysages, la faune et la flore, les habitants de la région, nous les inviterons à concevoir des jouets dans lesquels ils peuvent croiser leur propres histoires à celles de leur territoire.
LE JOUET, UN SUJET QUI CACHE BIEN SON JEU
Cela peut paraître un peu consensuel, voire dans une certaine mesure une solution de facilité de traiter de la question du jouet lorsque l’on souhaite travailler avec des enfants. Pourtant, lorsqu’en janvier 2018, nous nous posons la question du « projet idéal », le thème du jouet est apparu comme une évidence. Sous son apparente légèreté, le jouet est un sujet qui cache bien son jeu !
RÉ-CRÉATION
Septembre 2011, nous nous rencontrons tous les deux lors de nos études à l’ESAD de Reims. Une connivence artistique se fait très vite entre nos deux univers. Huit ans après, tous deux indépendants, en parallèle de nos projets professionnels, l’envie de travailler ensemble reste dans un coin de notre tête. Après quelques années d’expériences professionnelles, nous éprouvons le besoin d’une pause, d’une récréation artistique.
L’idée nous vient alors de concevoir un espace qui nous permettrait de prendre du recul sur notre pratique, de mener un projet à notre manière, de laisser du temps pour la recherche et l'expérimentation. Au cours de nos discussions, nous nous mettons à rêver, à évoquer quel serait le « projet idéal ». Celui qui nous permettrait de concevoir un terrain de jeu commun où nos deux disciplines - design graphique et design d’objet - pourraient se croiser et s’enrichir mutuellement.
Il ne nous restait plus qu’à trouver le thème de ce projet idéal.
LE JOUET PRÉLUDE À DES IDÉES SÉRIEUSES
Au fil de nos discussions, nous en venons à évoquer le territoire où nous avons décidé de nous établir, celui de la Franche-Comté. Tous deux intéressés par le patrimoine culturel, nous abordons les qualités de cette région, notamment dans le domaine de l’artisanat. Très vite, le jouet nous apparait comme une évidence. Celui-ci entretient un lien particulier avec le territoire franc-comtois. L’idée d’inscrire un projet dans son territoire, de le developper en cohérence avec les savoir-faire présents sur la région est une envie que nous avions depuis longtemps. Le jouet devient donc notre thème, notre fil conducteur dans ce temps de récréation.
« Toys are not really as innocent as they look. Toys and games are the prelude to serious ideas » déclaraient souvent Charles et Ray Eames.
Cette citation - découverte récemment lors de notre travail de recherche - résume à elle seule les qualités du jouet mais aussi les idées directrices que nous insufflons à notre projet. En plus de nous offrir l’opportunité de penser un projet mettant en valeur les savoir-faire traditionnels, d’inscrire notre démarche dans des problématiques de préservation du patrimoine, le jouet est un outil formidable pour initier aux thématiques majeures du design. La légèreté de l’univers qui l’entoure permet d’aborder de façon simple et didactique des enjeux, parfois complexes, propres au design : formes et fonctions, notions d’usage et de manipulation, inscription sur le territoire, enjeux de production…
LE JEU COMME MÉTHODOLOGIE
Au delà de proposer un projet où l’on peut s’amuser et expérimenter, l’envie motrice de notre collaboration est de faire comprendre simplement ce que sont nos disciplines respectives à un public non initié au design.
Utilisé comme méthodologie par de nombreux designer (Charles & Ray Eames, Bruno Munari, Enzo Mari), le jeu est souvent considéré dans le design comme un prélude à des idées de plus grande envergure. Il est un moyen simple d’explorer des idées et des concepts qui pourront s’appliquer à d’autres supports. Sa nécessité de cadres, de règles, de scénarios et d’imaginaire met en valeur le rôle du designer : assurer la cohérence d’un objet, d’un visuel, d’un espace.
Le jeu est un moyen didactique d’expliquer notre pratique. Il est aussi une excellente façon de développer une méthodologie commune propice à mettre en avant notre vision collaborative, expérimentale, pluri-disciplinaire du design.
De juillet à novembre 2018, nous mettons à profit cette méthodologie. De là naît une méthode de travail libre, basée sur l’intuition. L’idée est de sortir de nos ateliers, d’explorer le territoire et de partir à la rencontre de nos principaux collaborateurs : les artisans. Cette méthodologie de terrain donne naissance à notre première collection de jouet, la collection Tour-à-Tour.
DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE À L’HÉRITAGE INTIME
Riche de cette première expérience, nous nous demandons comment poursuivre notre démarche créative.
Novembre 2018, lors d’une exposition restituant l’ensemble de nos recherches, de nombreuses personnes nous racontent des souvenirs liés à leurs jouets, des histoires propres au territoire, des annecdotes sur les mots de pâtois utilisés pour baptiser chacun de nos objets.
Une dimension autour de l’intime, de la mémoire collective se dessine alors. Jusque là, attachés à la dimension plastique et formelle du jouet, nous ne nous attardons pas à sa dimension culturelle et sociologique.
Celui-ci a cette spécificité de condenser à lui seul les caractéristiques d’une époque, d’une culture, d’une société. Objet d’apprentissage, le jouet a pour vocation d’initier l’enfant aux enjeux de sa société. Il est également un excellent témoin des savoir-faire, des pratiques industrielles et des évolutions techniques de son époque.
Témoin de la mémoire collective d’un territoire, il permet également le passage à des problématiques liées à l’intime et à l’héritage familial. De tous les objets, le jouet est sans doute l’un de ceux qui invite le plus à l’imagination et à l’appropriation. Il est l’un des premiers objets que nous rencontrons, et qui nous permet de transmettre nos états d’âme. Avec le temps nous y attachons de nombreux souvenirs. Il devient le témoin de moments passés avec nos proches, nos amis. Il véhicule donc une forte charge émotionnelle qui s’ancre profondément dans notre intimité.
ENJEUX DE TRANSMISSION ET DE RÉAPROPRIATION
C’est cette dimension culturelle et sociologique que nous voulons à présent interroger.
Les ateliers en cours nous amênerons à questionner notre méthodologie à la lumière de ces nouvelles problématiques. Ils nous donnerons l’occasion de faire entrer de nouveaux acteurs dans notre projet : les enfants. Ils seront partie prenante de notre temps de création. Nous les inviterons à s’interroger sur le lien qu’ils entretiennent avec le lieu où ils vivent. La ré-appropriation de celui-ci se fera par le biais de leur histoire, familiale, personelle ou imaginaire. Ils pourront créer comme ils le souhaitent leur propre jouet et s’inscrire dans l’histoire de leur territoire.
Par le(s) artiste(s)