Regards Affluents est une création artistique corrélée à un travail de mémoire autour des dernières générations de bateliers qui ont sillonné « le Canal du Midi ». Au cœur du projet, le déclin d'un mode de vie et d'un savoir-faire centenaire et la volonté de transposer leurs récits au-delà de l'ombre des platanes qui bordent les rives. Qui sont ces « barquiers », indissociables du paysage qu'ils ont contribué à façonner ?
Melody souhaite parcourir les berges de ces canaux pour aller à leur rencontre. Recueillir des témoignages sous forme de matériaux sonores et photographiques afin de faire résonner leur voix. Traduire en portraits, l'empreinte singulière des lieux sur leurs vécus.
Pour ancrer cette démarche dans une transmission inter-générationnelle, elle souhaite impliquer des enfants dans le processus de création, les invitant à prendre part à ce voyage au fil de l'eau, qu'ils s'approprient à leur tour ce pan de l’histoire locale pour se faire passeurs de mémoire.
Ce projet est né lors d’une résidence photographique ‘La France Vue d’Occitanie’ que j’ai réalisée entre 2019 et 2021 et lors de laquelle je me suis intéressée aux canaux fluviaux d’Occitanie. Mon intention était de témoigner de celles et ceux qui ont écrit, et continuent d’écrire, l’histoire de ces canaux. J'ai suivi leur cours, d'une écluse à une autre, dans le sillage des rencontres. Une mosaïque de visages, de paysages et d’ambiances a ainsi émergée au gré des méandres de ce voyage.
Le temps passé à parcourir les berges de ces canaux m’a permis de rencontrer Samuel et Catherine, un couple qui sillonne les réseaux fluviaux en transportant encore aujourd’hui des marchandises via l’association « Vivre le Canal ». Auprès d'eux, j’ai appris que depuis le XVIIᵉ siècle plusieurs générations de familles de « barquiers » ont parcouru le Canal du Midi, jusqu’aux alentours de 1980 où le déclin du transport de marchandises sur les canaux tourne la page de la batellerie du Midi et de 300 ans d'histoire. Plusieurs marins ont alors dû mettre pied à terre et se former à de nouveaux métiers.
Avec la disparition de ces métiers, ce sont aussi des savoir-faire centenaires qui sont voués à l'oubli. Les contours de ces rives se transforment. La langueur de l'acheminement fluvial d'autrefois tend à être remplacée par un tourisme parfois frénétique qui édicte de nouvelles lois pour le canal. Je me demande alors : est-il encore temps de faire un pas de côté ?
Le paysage qui défilait jusque-là sous mes yeux comme une fresque intemporelle, s'est chargé d'un sens nouveau au cours de cette résidence et c'est pourquoi j’aimerais approfondir avec « Création en cours » mon projet initial sur les canaux. Il s’agit ici de perpétuer la mémoire d’une communauté de navigants qui représentent les derniers descendants de lignées travaillant et vivant sur le canal.
En inscrivant les ateliers dans mon travail de création je souhaite, à travers une transmission inter-générationnelle, croiser nos regards; le mien, celui des jeunes et ceux des bateliers, étant aujourd’hui habitants des territoires longeant le canal des deux mers. Je tenterais de transposer la pluralité de ces regards par la mise en place de dispositifs transdisciplinaires lors des ateliers. Cela me permettrait d'éveiller les enfants à un processus créatif et personnel tout en s'appropriant au plus près ce pan de l'histoire locale et palpable pour s'en faire les dépositaires. Si je porte mon regard de photographe sur les lieux, il sera complémentaire du regard que les enfants portent sur l'environnement direct qui les entoure.
J’aimerais donner corps au récit des bateliers à travers le prisme de l’écriture, de la photographie argentique, de la vidéo et du son, en permettant à chaque enfant de trouver le média qui lui correspond. À terme, je voudrais imaginer une installation immersive autour du souvenir.
Dans un monde dont la cadence va en s’accélérant, je souhaite m’ancrer dans un territoire. J'utiliserai mon vélo pour suivre ces cours d’eau et essayer de ressentir cette lenteur propre à la navigation fluviale.
Par ailleurs j'expérimente ici une nouvelle approche artistique dans mon travail de photographe, me rapprochant d’une démarche plus plastique, qui comprendrait de la matière sonore ainsi que des textes issus de ces témoignages.
La rencontre avec les bateliers constitue la première étape de mon travail. Je les invite à m’amener sur les lieux qui ont marqué leur parcours de bateliers. Je souhaite tendre l'oreille à leurs souvenirs et récolter des enregistrements de ces moments de partage pour ensuite les partager lors des ateliers et exhumer leurs voix du silence.
Catherine et Samuel interviennent au sein de l’école pour faire découvrir l’histoire des bateliers et sensibiliser les enfants à la culture fluviale d’aujourd’hui. Ce est suivi d’une sortie découverte des berges, pour qu'ils puissent toucher, voir, imaginer et glaner des objets nécessaires à leurs créations. Puis nous montons à bord de la péniche ‘le Tourmente’ pour lier le passé au présent en découvrant l'environnement quotidien des derniers bateliers.
Je photographie le sensible de ce partage avec les bateliers ; un paysage, un portrait, un objet… Afin de constituer un archivage photographique qui me semble important.
La mémoire a un rôle prépondérant dans ce travail. Pour cette raison, je privilégie la photographie analogique : j’utiliserai le Polaroïd et un appareil 135mm. Le Polaroïd me permet de photographier les objets en lien avec le canal par la réalisation d'un transfert d’émulsion sur support. Dans le même temps j’enterre les pellicules 135mm afin qu’elles rouillent comme les péniches des bateliers soumises à l’emprise du temps. Cela permet aux images imprimées sur la pellicule de se transformer au contact de la terre et de l’humidité, telles des métaphores de la mémoire évanescente transmises oralement.
Les photos produites servent de support pour alimenter les ateliers, qui s’articulent en parallèle de ma création. Les enfants ont l'occasion de découvrir le procédé du ‘Lumen Print’ et de manipuler l'appareil photo argentique. Leurs pellicules aussi, sont enterrées.
Ils réalisent également un journal filmé, inspiré de leurs découvertes, à l’aide d’un outil intuitif, la caméra mini DV.
Enfin, nous organisons un atelier d’écriture. Cet atelier a pour objectif de solliciter les élèves à reconstituer cette expérience, individuellement ou collectivement, en la traduisant dans un langage intuitif et poétique. Nous expédions ensuite ces textes par voie postale à destination des bateliers.
Les restitutions de ce corpus de travail sont réunies dans un espace d’exposition proposant la découverte des créations des élèves tissées à ma création. Les matières diverses produites sont réparties dans l’espace pour créer une expérience sensorielle, une installation immersive : le court métrage de la création vidéo est diffusé sur un mur de l’exposition, les restitutions écrites et les expériences photographiques -les miennes incluses- sont sur les autres murs et des enceintes diffusent les récits des bateliers. Nous présentons aussi un exemplaire d'un recueil réunissant toutes les créations réalisées lors des ateliers.
À l’issue de la résidence Création en Cours, j’aimerais proposer l’installation finale dans divers lieux culturels liés aux canaux tel que le Musée du Lauragais, ainsi que dans des lieux d’art et des lieux publics tels que des MJC et des centres sociaux. En parallèle, je cherche à éditer un livre de mes photographies.
Par le(s) artiste(s)