Cartes postales, graviers multicolores, ressorts et autres objets aussi banals qu’incongrus sont abandonnés sur le sol, à l’extérieur de l’école. Ils constituent les vestiges, tout juste découverts, d’un pique-nique dont on ne connaît rien.
Adoptant la forme d’une fouille archéologique, notre projet propose aux enfants de dénouer et raconter le récit de ce repas. Le déplacement de ces objets hors de leur contexte sera l’occasion d’aborder des questions d’anthropologie (quels processus de lecture s’engagent dans la réception d’objets étrangers ? comment les interpréter ? que nous disent-ils de ceux.celles qui les ont utilisés ?) et de design (comment les montrer et se les approprier plastiquement ? comment transmettre l’enquête ?)
Par un dialogue constant entre formes visuelles et récits, il s’agira de trouver un sens à un événement qui n’en a, à priori, pas, «comme une bande de fourmis coloniserait, sans rien y comprendre, les détritus abandonnés par des pique-niqueurs au bord d’un chemin».
«Un pique-nique. Imaginez : une forêt, un chemin, une clairière. […] apparaissent des jeunes gens, des paniers à provisions, des jeunes filles, des transistors, des appareils photos et des caméras… […] Et le lendemain matin, ils repartent. Les animaux, les oiseaux et les insectes qui la nuit, épouvantés, avaient observé le cours des événements, sortent de leurs abris. Que voient-ils?»
Extrait de Stalker : pique-nique au bord du chemin, Arcadi et Boris Strougatski, 1972
Nous proposons un projet qui croisera démarche artistique, archéologique et anthropologique et qui donnera l’impulsion à une nouvelle fiction, imaginée par les élèves.
Les enfants seront amené·e·s à découvrir, au bord d’un chemin, des objets que l’on ne retrouverait pas, à priori, autour d’une nappe de pique-nique. Ils sont pourtant les vestiges d’un déjeuner sur l’herbe dont on ne connaît rien et constituent les prémices d’une enquête qui sera menée par les enfants pour tenter de comprendre et de raconter l’histoire de ce repas partagé. Après une observation minutieuse du lieu et des objets, ces derniers seront apportés en classe. Leurs formes, leurs tailles, leurs couleurs, leurs prises en main, leurs matériaux, leurs usages… seront autant d’éléments à explorer et permettront de soulever des hypothèses quant à cette mystérieuse découverte.
DÉCOUVRIR, ANALYSER, EXPÉRIMENTER
Au fil des séances, les élèves interrogeront les objets : à qui (ou quoi) ont-il appartenu ? à quoi ont-il servi ? sont-ils les restes d’un repas ? des outils ? des fragments ? des objets tombés d’une poche ? abandonnés ou méticuleusement placés ?
La démarche scientifique, inspirée de méthodologies archéologiques, appliquée au contexte insolite de la découverte, servira à élaborer un processus de création artistique, qui prendra place au sein de petits ateliers dont les résultats épouseront de multiples formes:
Topographie
Représenter l’espace et le paysage environnant en imaginant de nouveaux codes cartographiques (dessins grands formats, collages…)
Typologie
Définir plusieurs classements pour les objets : usages, propriétaires, matériaux… (photographies, dessins de schémas et silhouettes)
Penser un dispositif de classement et de monstration (design d’objet)
Reconstitution
Inventer les parties manquantes des objets découverts (dessin, sculpture)
Contextualisation
Mettre en perspective des documents relatifs au site exploré et aux objets (grands formats)
Analyses approfondies
Certains objets nécessiteront les compétences de spécialistes. Par petits groupes, les élèves s’improviseront graphologues (cartes postales), géologue (graviers multicolores), archéozoologue (yeux de poupée)…
ÉCRIRE, RACONTER, RESTITUER
Après l’étude approfondie des éléments récoltés, vient ensuite l’étape de la narration imaginée par les enfants en réponse aux diverses expérimentations plastiques. Ils·Elles élaboreront différents scénarii tentant d’expliquer l’événement, ou la suite d’évènements, qui ont précédé la découverte. Le «pique-nique au bord du chemin» prendra forme petit à petit, par des anecdotes, des bribes de micro-récits ou par l’invention d’une histoire plus large. À la manière de Perec qui use des jeux d’écritures, de réécriture et de styles rédactionnels, les enfants s’amuseront avec les mots et leurs compositions.
RASSEMBLER, COMPOSER, EXPOSER
Les différentes productions seront agencées pour composer une grande nappe imprimée, qui donnera les clefs du mystérieux pique-nique. De la même manière que le pique-nique est un repas où chacun·e apporte sa contribution, la nappe compilera les multiples contributions des enfants.
Il s’agira ici de mettre en avant les enjeux de la pratique du designer graphique qui, par ses choix, agit sur la réception et la transmission des données. Les élèves devront être attentif·ve·s à la sélection et à la composition des contenus afin que l’ensemble rende compte au mieux de l’histoire qu’ils·elles auront imaginée.
La fin de la résidence pourra prendre la forme d’un nouveau pique-nique qui se tiendra autour de la nappe réalisée. Cet objet final, trace du travail collectif et des moments partagés, pourra rester à l’école après notre départ.
Par le(s) artiste(s)