Dans le cadre du dispositif de résidence de création, de recherche et d'expérimentation « Création en cours » proposant une immersion en milieu scolaire, je souhaiterais m'emparer des objets de l'écolier, du mobilier scolaire, des éléments propres à cette institution que chacun a pu côtoyer durant sa jeunesse. En usant du principe de détournement qui est cher à ma pratique plastique, je voudrais me saisir de ce qui constitue l'école, en tentant d'en pointer les faiblesses. Récolter toutes les incompréhensions, les zones d'inconfort des élèves et faire en sorte que les choses aillent mieux. Parallèlement à mes recherches personnelles, je vous propose le projet d'atelier pédagogique et artistique d’action en classe "Objections", conçu au plus près de mes préoccupations plastiques qui tentent d’envisager la portée affective, la charge émotionnelle et symbolique que porte un objet. J’aimerais offrir la possibilité aux enfants d'expérimenter la sculpture, alors que les médiums 2D sont souvent favorisés au cours de la scolarité dans l’apprentissage des arts plastiques. J’aimerais leur faire comprendre qu’un objet du quotidien peut être à l’origine d’une œuvre d’art, que tout peut être support à la création. Il me tient à cœur de fonctionner avec eux dans une vraie logique de projet, telle qu’on la conçoit en école d’art, c’est à dire tenir une idée dans la durée jusqu’à sa concrétisation plastique et sa présentation réflective. Accompagner l’enfant dans l’appréhension de l’objet initial jusqu’à l’aboutissement plastique de son idée, en lui offrant les outils matériels et théoriques qui l’aideront dans sa démarche. Parallèlement à l’avancement des productions, un travail corporel et théâtral sera mené en vue de préparer la phase finale du projet : une vidéo à la manière d'une émission de télé-achat, entrecoupée de spots publicitaire, où chaque enfant présentera sa création et expliquera en quoi elle peut "changer le monde"... Ceci étant la consigne de travail.
PROJET DE CRÉATION, DE RECHERCHE ET D'EXPÉRIMENTATION
Je conçois cette résidence de création comme un retour à l'école, une immersion au sein d'un établissement scolaire qui abrite les générations de demain. Dans son enceinte, les enfants grandissent et gagnent en maturité, les enseignants transmettent des savoirs, des amitiés se forment… Le temps de la scolarité, de part les années qu'elle représente, demeure un aspect marquant et mémorable dans la vie de chacun. D'heures en mois, d'années en cycle, l'école accueille le quotidien de toute une nation. Les horaires ponctuent le journalier, des rituels s’opèrent, on retrouve les mêmes codes dans toutes les écoles.
La sonnerie, le porte-manteau, la craie, l'horloge, la fenêtre ou le cartable, sont autant d’éléments dont la symbolique nous renvoie directement à l'école. Je souhaiterai me réapproprier ses objets et tenter de leur offrir une nouvelle expression. Déjouer leurs archétypes, renverser leurs usages, mettre en scène tendrement la charge affective qu'ils représentent.
« Retrouvailles » représenterait un porte-manteau d'écolier, réceptionnant les vestes et sacs à mains d'adultes ayant « plus ou moins réussi dans la vie», comme le veut l'expression, symbole d'une société qui catégorise ses membres malgré elle. Un plateau de self vacillant, figé mais déséquilibré, stoppé dans sa chute vers une honte sans cesse réactivée et des moqueries assurées. Une porte glissée difficilement dans le cartable d'enfant trop souvent renvoyé de cours ou une horloge dont les aiguilles remontent le temps ? La sonnerie stridente de l'inter-classe qui retentirait sur des rythmes de batucada ? Ces quelques idées sont les prémices du travail que je souhaiterai réaliser lors de la résidence « Création en cours », trouver ce qu'il pourrait être amélioré et, par l'humour et tendrement, revisiter l'école et ses modes de conduites.
Tout en me basant sur mes propres souvenirs, je souhaiterais recueillir des témoignages des habitués de l'école. Récolter la parole de ceux qui habitent les lieux, les élèves, les enseignants, le personnel technique et administratif. Leur faire raconter des anecdotes, des histoires autour de leur relation avec ses objets, avec ce que recèle le lieu qu'est celui de l'école.
PROJET DE TRANSMISSION / « OBJECTIONS »
Tout être humain a droit à la Culture, son accès est tenu d’être encouragé et protégé des maux de notre société. Chacun a, en son intérieur, une once de sentiment artistique, l’exprimer est pour certains une nécessité alors que d’autres la taisent. Donner la possibilité et les moyens de manifester ce sentiment, aller à la rencontre de ceux que l’on met à l’écart et les inviter à expérimenter plastiquement participe à répandre l’attrait et le goût pour la Culture.
Je conçois cet atelier pédagogique comme un temps propice à nous livrer le regard de jeunes personnes sur la société dans laquelle ils évoluent. Au sortir de l'enfance, ces jeunes perçoivent les aspérités complexes du monde dans lequel ils grandiront et je crois que l'expression artistique est un excellent moyen de leur permettre d'affiner leurs réflexions et leurs sensibilités sur la société dont ils appartiennent déjà. Le terme "objection" se définit comme un avis, un argument, qui est mis en avant pour s'opposer à une proposition ou une affirmation. Je tiens à leur faire développer des points de vues, affiner leur sens critique, leur offrir la possibilité de devenir acteurs actifs et plus seulement spectateurs passifs, comme le requiert leur statut d'enfant.
Le travail sera axé autour du principe de détournement d'objet : donner une nouvelle vie à un objet, changer son apparence, l'associer à d'autres, faire évoluer sa fonction ou son utilisation... Dans le but de changer de monde. Faire en sorte que l'objet en question devienne un "outil à bonnes actions", que son utilisation puisse apporter du bonheur à autrui, qu'il contribue à améliorer un aspect du quotidien, rendre les choses plus faciles à vivre. Rendre le monde meilleur, c’est à dire plus gentil, moins dangereux, plus juste, sera la consigne de travail. Avoir le sentiment de travailler pour une bonne cause.
La première rencontre débutera par une action intitulée "Cher à mes yeux". Il sera demandé aux enfants d’apporter un objet de chez eux, choisi par leurs soins. Un objet qui aura de l’importance à leurs yeux et, qui plus est, aux yeux de leurs familles. Pour ma part, j’apporterai un grand tapis persan, qui deviendra le support des différents rendez-vous dédié à la parole, employé comme un espace invitant à la communication. Chaque enfant sera invité à raconter l’histoire de son objet à l’ensemble de la classe, sa provenance, le contexte de son utilisation, sa valeur symbolique. Ce temps introductif permettra aux enfants de saisir, au travers de prises de parole respectueuses, l'importance que l'on confère aux objets et l'impact qu'ils ont sur nous. Ce temps, je trouve, est important et permet l’installation d’un climat d’écoute qui participe à la cohésion du groupe et à la prise de conscience de l’intérêt et de l’importance de chacun. Ce premier temps de rencontre permettra à chacun de confier aux autres quelque chose qui lui est cher et à tous d’écouter les histoires de leurs camarades.
La mise en éveil plastique des élèves, par l’émergence de la situation-problème aura lieu sur le tapis, ainsi que les discussions en cours de projet, où chacun énoncera son idée et les moyens mis en place pour sa réalisation, qui seront certainement sources d'interactions entre les enfants, les uns donnant des idées aux autres. Peu à peu, leur sens critique s'affinera et ils saisiront mieux la notion de "pertinence". Ces temps de verbalisation sont essentiels et s'annoncent riches et vivants.
Des temps de recherche personnelle seront aménagés, afin de laisser aux enfants le temps de formuler leur propos, de clarifier leurs idées en les posant sur le papier, tout en étant guidé par des questions telles que : "Qu’est ce qui est très important à tes yeux ? De quoi es-tu fière ? De quoi as-tu honte ? Comment pourrais-tu créer quelque chose de positif ? Quel message as-tu envie de cacher dans la création ? Qu’est-ce qu’il dénonce ?"
La finalité du projet "Objections" étant une vidéo, il me parait important d’amorcer des jeux d’expressions au fil des séances. Mon parcours au sein du conservatoire de Limoges, m’aidera à mettre en place ces temps de rencontre entre les objets, les corps et les voix. Je sais combien il est délicat de s’assumer pleinement devant le regard des autres, qui plus est devant celui de la caméra. L’enfant ne craint pas de libérer son imagination, l’enfance abrite la spontanéité pure. Pour autant, est-ce encore vrai à l’âge de dix ou onze ans ? Je suis curieuse de voir si ces actions vont fonctionner auprès de ce public. Ce temps permettra de les familiariser avec leur pouvoir d’invention, leur faire réaliser que par la fiction, on touche à la réalité. L'introduction de l’humour est primordiale, car on cherche à raconter des histoires, si une situation est drôle, c’est qu’elle renvoie à la réalité. Il s’agit d’utiliser la fiction pour servir la vérité. Je pense que la majorité des enfants trouveront leur idée de projet lors de ce temps d’expression. La classe sera certainement bruyante, mais vivante. Le travail doit se faire par le jeu.
La dernière phase de travail sera le tournage d'une vidéo. L'idée serait de mettre en scène les création d'une manière télévisuelle, en reprenant les codes publicitaires et mercantiles, du vocabulaire mélioratif aux images léchées et attrayantes. Les enfants présenteront un à un leurs créations devant la camera, tentant de les "vendre" tout en assurant l'incroyable nécessité de leurs productions pour un monde meilleur. Un tel parti-pris donnera au projet général un aspect cynique, alliant dénonciation et humour, deux thèmes qui me sont chers et que j'engage régulièrement dans mes pièces. Les décors, les prises de paroles et les situations de la vidéo seront décidés en amont, d'un commun accord avec les enfants, qui pourront ainsi expérimenter les différentes étapes de la création d'un film, étant à la fois acteurs, techniciens et réalisateurs. Je crois que le fait de réaliser un film ensemble participera à la valorisation de chaque enfant, et qu'ils seront très enthousiastes à l’idée d’être filmés, malgré les premières appréhensions.
La résidence d'artiste intitulée "Création en cours", serait pour moi une expérience très enrichissante. J'aimerais avoir l’occasion de travailler avec une classe d’enfants, car j’apprécie leur proximité. Propres à l’enfance, l’innocence et la simplicité semblent être les plus belles armes face au pessimisme palpable actuel. Je pense que côtoyer des enfants permet de rester en dehors de toutes sortes de superficialités.
Je suis heureuse de participer à cet appel à candidature car je crois en la nécessité d’amener l’art dans les écoles élémentaires et les collèges, qui plus est les établissement les plus éloignés de l'offre culturelle. Ces lieux abritent les adultes de demain et c’est pourtant en leur sein que s’opèrent les premiers contrastes, les premières classifications. La hiérarchisation de la société débute dès le plus jeune âge et l’expression artistique peut être un moyen de déjouer une certaine fatalité. Redonner confiance à l’enfant qui n’obtient pas de bons résultats, valoriser un investissement qui a une importance même s’il ne fait pas partie du cadre scolaire à proprement parler. Lui donner envie de commencer une activité extra-scolaire, libérer du temps pour quelque chose qu’il aura choisi et pour laquelle il se sentira investi. Les activités extra-scolaires ont ponctué ma jeunesse et ont contribué à façonner la personne que je suis aujourd’hui, tant professionnellement qu’humainement. Je perçois l'expression artistique comme une nécessité, d'autant plus pour "les adultes de demain".
Corrèze
Par le(s) artiste(s)