Le projet que je souhaite développer au cours de la résidence Création en Cours mettra en perspective et croisera plusieurs questionnements déjà présents dans mon travail. Le premier axe de travail sera dans la continuité de mes recherches et expérimentations sur les liens possibles entre narration et imaginaire dans mon processus créatif. Cela prendra la forme d'activités expérimentales avec les enfants visant à mettre en place différents protocoles qui solliciteront leur imaginaire et le mien de façon libre et spontanée, et de se servir de ce matériel comme d'une base narrative pour un travail d’illustration personnel. Le deuxième axe s'intéressera à la forme finale de ce travail, en s’intéressant notamment à la forme éditoriale du fanzine. L'idée serait que les enfants d'une part, et moi d'autre part, puissent s’approprier cet objet comme terrain d'expérimentation ludique et poétique, en questionnant la place de cet objet apparu dans les années 30 dans la création contemporaine.
Mon projet de création gravitera autour des champs de l’illustration et du design graphique. Il s’agira d'un projet expérimental et de recherche qui sera amené à évoluer tout au long de la résidence, et qui donnera lieu à une production finale.
Comme expliqué précédemment, mon travail de recherche s'articule toujours autour de questions liées à l’expression de l’imaginaire. Lorsque l’on est enfant, nous utilisons cet imaginaire de façon très naturelle sous forme de jeux et d’histoires que l’on s’invente, mais en devenant adultes, nous avons tendance à mettre de côté cet espace de l’imaginaire et à moins le solliciter, à perdre notre capacité d’émerveillement au quotidien. Mon travail a pour but d’amener un public, qu’il soit un public d’enfant, ou d’adultes, à (ré)investir cet espace de l’imaginaire.
Au cours de la résidence, je souhaiterais mener un travail d’expérimentation autour de la stimulation de cet imaginaire, directement avec les enfants. En parallèle de ces questions, j'aimerais travailler sur des protocoles expérimentaux qui permettent la réappropriation de cet imaginaire. La question de protocole est déjà présente dans mon travail, que ce soit dans des travaux développés pour mon diplôme que pour des projets plus récents.
Mon projet de diplôme et mon mémoire portaient sur des travaux qui expérimentaient des formes de narration interactives, participatives et ludiques. Le spectateur était alors investi dans l'oeuvre, non pas uniquement par la sollicitation de son imaginaire, mais plus directement en étant impliqué dans la création de l’œuvre en elle-même. En le faisant participer à l’élaboration de celle-ci dans certains de mes projets, j’engageais directement un dialogue avec lui, qui contribue à son tour à l’acte de création.
Le projet que je souhaiterais développer au cours de la résidence comprendrait une phase expérimentale que je souhaiterais mener en contact avec les enfants, qui viserait à solliciter leur imaginaire de façon ludique. Pour cela, mon travail s’inspirera notamment des protocoles d'écriture et de dessin développés par les artistes du mouvement surréaliste au début du XXème siècle. Ce mouvement avait pour ambition de libérer l’Homme du contrôle de la raison et de la logique, considéré comme nuisible au processus de création. Des écrivains comme André Breton ont alors développé le principe de l'écriture automatique, où le participant est invité à laisser aller son imaginaire pour construire des textes poétiques, de façon libre et très spontanée, sans chercher à créer un sens logique. Son processus n’est pas prémédité, il est exécuté le plus rapidement possible, de façon à exclure tout contrôle rationnel ou censure de l’esprit et de la logique. Ce principe est également développé par les artistes plastiques au cours de la création de cadavres exquis, dans lesquels le dessin est utilisé de façon à permettre une forme de lâcher prise et ou l’inconscient peut s’exprimer librement.
En tant qu'artiste, développer un projet au contact des enfants me permettrait d'enrichir considérablement mes recherches. En effet, l’expression de l’imaginaire chez l’enfant est souvent très riche et s’exprime facilement et spontanément. Je concevrais mon temps de résidence, et plus particulièrement mes temps de présence à l'école, comme un moment me permettant de nourrir mes questionnements dans le but de la production d’un objet final.
Les activités d'expérimentation menées avec les enfants exploreront différentes configurations et protocoles afin d’observer comment les imaginaires de chacun peuvent être amenés à se croiser et à interagir. Il pourra donc s’agir d'expériences menées en petits groupes, en classes entière ou individuellement. Les enfants seront invités à jouer avec les mots et le dessin, pour produire de courtes histoires poétiques, voire absurdes, sans chercher à créer une narration structurée et logique.
Ce court texte sera le manifeste sur lequel s’appuiera l'ensemble de ces expérimentations :
Le dessin comme expression de ce qui n’existe pas,
de ce qui est invisible,
intangible.
Le dessin comme moyen d’entrer en contact avec notre imaginaire.
Entre rêve et illusion,
mondes irréels et décors merveilleux,
étranges créatures et monstres énigmatiques,
univers poétiques et balades fantastiques.
Comme une invitation à se raconter des histoires.
A jouer avec les mots, les formes, les couleurs.
A se retrouver ailleurs, à s'échapper du présent.
Dans un monde de tous les possibles.
Ce qui m'intéressera particulièrement dans cette phase de recherche, sera comment un cadre avec des contraintes et des limites définies au préalable par un protocole, peut donner naissance à un espace d'expression libre. Les expérimentations seront donc menées de façon à jouer avec les relations possibles entre espaces de contraintes et espaces de liberté. Au fur et à mesure de l’avancée des recherches et de mes observations, je les orienterais afin de mettre en place le protocole qui visera à créer la production finale de la résidence. En effet, le but final de ces expérimentations sera d'utiliser les histoires, dessins, textes, mots et collages qui en découleront pour la production d’un objet final.
Cette production prendra la forme de fanzines. À l'origine, un fanzine est une publication imprimée, créée et produite par un amateur, sans objectif de vente, de rentabilité ou de professionnalisme, et institutionnellement indépendante. Apparu dans les années 30 aux États Unis, et d'abord produit par et pour quelques fans de science-fiction, il devient rapidement de plus en plus populaire grâce à l’apparition de nouveaux modes d’impressions et de reproduction - notamment la photocopieuse. Il devient un moyen d'expression libre incontournable dans les années 70 et 80, notamment dans les milieux libertaires et militants, notamment dans le mouvement punk, ou bien certains courants féministes. Si l'arrivée d'internet à quelque peu affaibli la production de fanzines dans les années 90 et 2000, il a été depuis peu fortement réinvesti par les artistes, y voyant un moyen d'expression alternatif et permettant de s'affranchir des canaux de diffusion institutionnels.
Le fanzine m’intéresse particulièrement dans ma pratique artistique pour différentes raisons. D'une part par sa matérialité, la question de l’édition de mon travail étant importante pour moi, car elle me permet de donner une forme tangible à mon travail d’illustration, le plus souvent entièrement digital. Il me permet de me questionner sur ma sensibilité à l’objet imprimé, au papier, à la couleur. D'autre part, il m'intéresse de par son caractère indépendant. L’édition de fanzine me permet de produire et de diffuser mon travail avec une entière liberté, me permettant de mettre en place les formes expérimentales qui sont propres à mon travail de recherche. Ce caractère expérimental du fanzine se prête particulièrement au projet que je souhaite développer au cours de cette résidence, En effet, il s’agit d'une forme imprimée qui se prête facilement à toutes sortes d'expérimentations graphiques et ludiques et à des formes d'esthétiques peu abouties.
La résidence donnera lieu à la production de deux fanzines différents, l’un créé uniquement à partir des contenus produits par les enfants, et l’autre contenant un travail d’illustration personnel.
Le fanzine des enfants présentera une sélection des résultats graphiques qui découleront de la phase d'expérimentation. Il mêlera textes et images. La sélection des contenus qui y figurera se fera dans le cadre d'un échange entre les élèves et moi-même. Le but étant de permettre aux enfants d’investir le fanzine comme espace de jeu et d’expression libre. Ce fanzine sera imprimé avec la photocopieuse de l’école, d'une part car il est un moyen rapide et accessible pour les enfants pour l’impression de leur travail, et d’autre part parce que la photocopieuse a été et est encore aujourd'hui très utilisée dans la production de fanzine. C'est une technique de reproduction qui permet également différentes formes d'expérimentations.
Le fanzine que je produirais présentera quant à lui un travail personnel de réappropriation et d’illustration plus aboutie. Il s’agira de m’appuyer sur certains contenus produits par les enfants et de m’en servir comme d'une base narrative afin de donner un nouveau sens de lecture à ces contenus, grâce à mon travail de dessin. Il sera imprimé grâce à une technique qui permet l’impression d’exemplaires multiples et de façon artisanale. Il s soit de sérigraphie, soit de risographie, car je suis très intéressée par ces techniques dans mon travail. En effet, elles me permettent d'expérimenter la question de la couleur, très présente dans mon travail de dessin. De plus, l'aspect irrégulier et unique qu'elles donnent à chaque objet imprimé me permet de prendre de la distance face à mon travail d’illustration digital, très lisse et régulier, créant un contraste intéressant.
Chacun des deux fanzines sera imprimé à une centaine d'exemplaires, distribués à la fin de la résidence à chacun des enfants y ayant participé.
Par le(s) artiste(s)
Par les participants