La Grande Toile est le projet d'une œuvre construite à partir de tissus aux matières, formes et tailles différentes. Elle s'apparentera à une vaste surface textile, qui pourra être déployée au sol, suspendue, pliée, enroulée selon que l'on souhaite s'y reposer, la disposer dans le paysage, la transporter, la ranger.
La conception et la fabrication seront accompagnées d'expériences et d'exercices menés avec un groupe d'enfants à la découverte des matières textiles.
Une fois la Grande Toile construite, elle sera transportée avec toute la classe pour être installée dans différents lieux. Ce dispositif accueillera des formes d'échanges et de rencontres : des jeux improvisés, le partage d'un repas, une lecture, des moments de discussion ou de repos.
Je décide de construire une sorte d'espace allusif à la possibilité de jeu et à la liberté d’interprétation du lieu. [Dans un tel espace], n’importe quelle réalisation d’un appareillage fonctionnel pour le jeu n’aurait aucun sens, puisque il conduirait à limiter la liberté de l’enfant.
Enzo Mari
Le titre la Grande Toile fait écho à l'œuvre The Big Stone Game d'Enzo Mari, une aire de jeu qu'il réalisa à Carrare en 1965. A l'instar d'Enzo Mari, nous souhaitons créer un dispositif souple qui se prête aux appropriations. Nous travaillerons avec des matières textiles, pour leur malléabilité et leur sensualité. Notre projet est de construire un objet vaste, mobile et praticable. Au fur et à mesure de la construction, nous élaborerons divers scénarios d'activation et de mise en jeu de l'oeuvre.
Nous désirons travailler à une grande échelle : concevoir un objet qui échappe à un contrôle d'ensemble, à des usages programmés, et qui dans le cadre de recherches menées avec un groupe d'enfants se prête à des trouvailles inopinées et polyphoniques.
Une vaste surface textile permet d'accueillir des gestes, des jeux, des temps construits et vécus en expérience collective. Mais elle ouvre aussi le champ à l'existence simultanée d'expériences individuelles, à une multiplicité de ressentis. Ne serait-ce que parce que l'on n'entend pas tout ce qui se dit à l'autre bout de la Grande Toile. Et d'ailleurs, un pli peut vite y devenir une grotte ou une cachette. Il ne pourra pas y avoir un récit exclusif d'une activation du dispositif.
Le désir de travailler à grande échelle posera des contraintes. Comment transporter cet objet qui, même replié ou enroulé, sera encombrant, lourd et inerte ? Les participants, porteurs solidaires, devront se coordonner et convenir ensemble des gestes du transport. Ce sera un corps-à-corps où nous nous mesurerons collectivement à l'œuvre.
La question du ou des lieux de déploiement de la Grande Toile sera également très importante. S'installer dans un lieu isolé, à l'abri des regards, ou choisir de s'implanter à proximité d'un lieu fréquenté ? Les manières d'occuper et d'habiter l'œuvre seront forcément affectées par l'espace environnant. On peut imaginer une première activation qui donne lieu à des formes de recueillement (sieste, lectures, écoute), et une seconde beaucoup plus festive, orientée sur les échanges et l'hospitalité, où l'on accueillerait le public pour un pique-nique.
Enfin, à chaque implantation, en fonction des caractéristiques du site, se posera la question de la disposition de la Grande Toile. Elle pourrait être étendue au sol, mais aussi repliée, suspendue, déposée par-dessus d'autres éléments (végétation, mobilier urbain) ou encore enroulée en un long boudin sur lequel on s'assoie ou auquel on s'adosse.
Ces réflexions autour du champ des possibles activations de l'œuvre accompagneront nos recherches tout au long de la résidence et du travail réalisé avec les enfants. Nous éprouverons ensemble, étape par étape, le déploiement de cette grande étendue textile.
Le choix des matières textiles
Nous choisissons pour ce projet de travailler avec des matières textiles. Nous avons déjà eu l'occasion dans nos pratiques respectives, et dans nos créations en collaboration, de mettre en œuvre des tissus. Plusieurs raisons viennent ici conforter notre appétit pour les matières textiles.
D'abord, la ressource : l'industrie mondialisée du textile tourne à plein régime, et dépose sans trêve ses productions dans nos chaumières. Nous souhaitons extirper la matière qui constituera la Grande Toile de gisements textiles discrets : les maisons, les vestiaires, les placards, en quête d'une diversité de matières, de formats, de motifs et des textures. Nous partirons de cet ensemble de matières et d'objets, en prêtant attention aux éventuelles histoires qui pourront en surgir : intimes, familiales, socio-économiques, technologiques, pour composer et fabriquer la Grande Toile.
Les propriétés constructives des tissus permettent une forme de mobilité. Cette donnée est une des bases de notre travail car elle nous permet de déplacer l'œuvre, de l'installer temporairement, de la replier... C'est aussi un potentiel de surprise car la matière textile échappe à un contrôle total : elle se laisse entraîner par le vent et les actions de ceux qui s'en emparent.
Nous choisissons les matières textiles parce qu'elles engagent une approche multisensorielle. Il y a bien sûr la dimension visuelle : le tissu attire notre œil, les jeux de lumière le transforment. Mais c'est par le toucher que l'on comprend la construction du tissu et qu'on l'appréhende plus sensuellement. On peut se parler à travers un tissu, sans se voir. Cette attention portée à la sensualité nous amènera à des expériences tournées vers l'intime, propices à des formes d'attention flottante et de rêverie.
En regard des formes d'art performatives et transitoires que nous développeront, la photographie nous accompagnera tout au long de la résidence comme outil de documentation et d'investigation sur les possibles représentations de la Grande Toile.
Par le(s) artiste(s)
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.