Quel est le point commun entre une tasse, un bâtiment et un médicament ? Tous peuvent contenir le même élément : L'argile. Celui-ci a été utilisé par l'espèce humaine depuis la préhistoire jusqu'à nos jours, et possède de multiples propriétés que nous avons toujours su exploiter.
Dans le cadre de Création en cours, l'artiste Léo Sallez cherche à concevoir un dispositif permettant de mettre au jour les capacités de transformation de la glaise. Il s’agira ainsi de concevoir une installation ayant pour vocation d'activer la matière, de la rendre performative, notamment en travaillant avec sa faculté d'érosion.
Ce projet se veut en lien avec le territoire et son histoire. Il cherche à rendre visible le processus de production de l'argile, de son extraction à son utilisation finale. Cette réalisation sera l’occasion de questionner notre exploitation des ressources naturelles et notre impact sur le paysage.
Durant mes études, le projet How I built a toaster de Thomas Thwaites avait su éveiller ma curiosité sur la façon dont sont conçus nos objets et notamment sur la provenance des divers matériaux qui les constituent. Ce designer anglais a entreprit une véritable expédition pour acquérir de lui-même tous les éléments nécessaires à la réalisation de son propre grille-pain. Son voyage l'a mené en Écosse, au Portugal et en Angleterre dans d'anciennes mines pour récupérer les matières premières indispensables à la réalisation de son appareil électroménager. Il résume son aventure ainsi : « Il faut toute une civilisation pour construire un grille-pain ». Son travail m'a fait prendre conscience que s'interroger sur la matière permet d'en apprendre davantage sur nos évolutions techniques et donc de mieux comprendre le développement de la société humaine. Même si l'idée se retrouve dans la recherche de Thomas Thwaites, c'est à ma lecture de l'ouvrage Terra forma de Frédérique Aït-Touati, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire que j'ai pris conscience du lien entre la matière et le territoire. Elles y démontrent que les sols et les environnements naturels sont mouvants, que la pluie et le vent ont toujours façonné nos paysages et qu'à l'ère de l'anthropocène, l'espèce humaine a pris le relais. Ce sont là des notions qui m'animent particulièrement, car elles rentrent en résonance avec ma pratique, celle-ci étant liée à la création in situ et à la transmission des savoirs.
Pour la résidence de Création en cours, je souhaite développer un projet autour de l'argile. Cette matière possède de multiples propriétés qui attisent ma curiosité, la première étant son accessibilité. En plus de la présence de nombreux gisements en France, il n'est pas rare d'avoir de la glaise dans la composition des sols qui nous entourent. Elle fascine aussi par son utilisation : il s'agit d'une matière chargée d'histoire dont l'évolution technique est lié au développement de nos sociétés. On en retrouve des traces depuis la préhistoire jusqu'à nos jours. Actuellement, les terres argileuses connaissent un regain d'intérêt, puisqu’elles sont désormais utilisées à la fois dans la construction, la médecine, la cosmétique et les arts. Il est fort probable de trouver un objet en argile dans le foyer de chacun·e d'entre nous. Ce qui m'intéresse, c'est d'imaginer tout le parcours de cette matière avant de prendre la forme d’un objet de notre quotidien. D'où viennent notre tasse adorée, notre magnifique pot de fleur, ou encore cette sculpture qui rend si bien dans notre salon ? Mon ambition est d'orienter mes recherches sur les étapes nécessaires à leur création, de faire le lien entre le lieu d'extraction de l’argile et la forme finale de l’objet. De quel lieu naturel la glaise a-t-elle été extraite ? Quelles transformations a-t-elle subies pour être modelable ? Comment sa forme a-t-elle été travaillée ? À quels usages se prédestine-t-elle ?
Dans cette démarche, le projet Enquête de matière s'inspire des différentes phases de production de l'argile. Mon intention n'est pas d'arriver à un objet fini, mais bien de mettre en avant sa capacité à changer de forme à passer d'un état à l'autre. C'est avant tout le processus de transformation qui m'intéresse dans cette recherche. Mon objectif est de créer un dispositif qui puisse modifier la matière en se basant sur un procédé d'irrigation répondant d’un système de goutte à goutte. Le principe étant de parvenir à faire perler de l'eau sur l'argile. La terre non cuite va alors se désagréger progressivement, en se laissant littéralement sculpter par de fines gouttelettes, recréant à petite échelle le phénomène d'érosion de la roche et des sols. Pendant un instant, le bloc d'argile deviendra alors paysage.
Le choix de mon implantation pour la résidence est donc important, il se base sur des territoires possédant un lien particulier avec l'argile. Il s’agit de villes situées à proximité de gisements argileux et reconnues pour leur utilisation de la glaise. Des lieux où le travail du plus ancien des arts du feu a eu un impact significatif sur les paysages et le quotidien de leurs habitants. La glaise utilisée pour le projet devra être extraite localement. Cette recherche de la matière dans la région sera l'opportunité d'en apprendre plus sur sa relation historique avec le territoire.
Dans une approche de transmission, je propose à l'école et à la classe partenaire du programme de s'impliquer dans mon processus de création et de partir avec moi à la découverte de l'argile. Nous enquêterons ensemble sur cette matière : Où se cache-t-elle ? Comment la fabrique-t-on ? Comment a-t-elle été utilisé à travers l'histoire ?
Pour répondre à toutes ces questions, je prévois différents temps d'échanges : des ateliers pratiques, des rencontres avec des spécialistes (artisan·e·s et historien·ne·s) et des sorties dans la nature. L'histoire de l'évolution de la glaise est riche et possède la capacité de nous faire voyager entre les époques. Je voudrais transmettre aux enfants mon intérêt pour la matière et leur faire réaliser que toute matière possède une histoire permettant de nous en apprendre davantage sur l'espèce humaine. J'aimerais stimuler leur curiosité et les pousser à interroger l’environnement qui les entoure.
Mon expérience en milieu scolaire, pendant ma résidence La Fabrique Grand Est #2 avec l'association Caranusca, m'a fait réaliser l'importance de pratiquer la matière. Elle permet d'apprendre en se basant sur notre propre expérience des éléments. C'est une formidable façon de transmettre le savoir et de communiquer ensemble. Suite à des initiations de pratique de l'argile, je souhaite proposer aux élèves la réalisation d'une œuvre en commun s'inspirant du paysage. Cette création viendra s'ajouter au dispositif développé pendant la résidence.
Ma pratique artistique se concentrant sur un travail in situ, elle se heurte à des contraintes de diffusion, mes projets étant toujours dédiés à un espace précis et à un moment donnés. Mon ambition est cette fois de concevoir un dispositif transportable et adaptable à différents territoires. Je conçois cette installation comme évolutive, avec une forme se modifiant en fonction des lieux. L'ensemble sera alimenté en argile de manière locale. À la suite de présentations dans différentes régions, une version comparant une variété d'argiles pourra même être envisagée. Le programme de Création en cours me serait ainsi d’une aide précieuse : il me permettrait de consacrer le temps nécessaire à la conception de cette pièce et de m'apporter les fonds indispensables pour l'achat des matériaux de constructions et des pièces nécessaires au système d'irrigation. J’y vois donc une chance de donner à ma pratique un nouvel élan. Ainsi, votre accompagnement me donnera la possibilité de soumettre mon projet à des prix, des bourses ou des expositions, soit autant d’opportunités qui m’étaient jusqu’alors hors de portée.
Par le(s) artiste(s)