Un vêtement sur un corps est une source de renseignements sur la personne qui le porte, et peut être une invitation à plonger dans un imaginaire foisonnant. En s'inspirant des personnages de la pièce Hasse Karlsson d’Henning Mankel, la compagnie OPOPONAX souhaite travailler sur l’imaginaire qu’un costume peut déployer, notamment avec le détournement de nos vêtements et objets du quotidien. Ces vêtements, qui peuvent nous sembler si ordinaires, comment les retravailler, les assembler, les détourner de leur fonction première afin de créer une théâtralité et un décalage avec la réalité ?
Pour cela la compagnie OPOPONAX souhaite entamer une recherche créatrice et plastique avec les élèves. Après un travail sur le costume et sur le texte, chacun et chacune choisira un personnage, imaginera son costume et le réalisera avec l’exploration de diverses techniques (couture, tricot, patchwork). Les costumes seront ensuite portés par les élèves, mis en espace à l’extérieur et pris en photo, afin de les présenter.
J'ai découvert ce texte lorsque je cherchais une pièce à destination du jeune public pour une lecture en milieu scolaire. Il aborde des sujets (tels que l'amitié, le chantage, la mort, l'amour filial, le passage à l'âge adulte durant la préadolescence ) à la fois complexes, douloureux et émancipateurs pour les personnages qui les vivent. C'est un récit initiatique, une histoire peu commune. La singularité des relations entre les personnages m'a émue.
Une fois la lecture achevée devant les élèves une discussion a eu lieu. La nature des échanges concernant toutes ces thématiques était très riche. De là est né le désir de monter cette histoire. J'ai beaucoup aimé le lien entre l'enfance et l'âge adulte, le passé et le présent, le voyage entre ces deux mondes que Mankel propose dans son récit et qui structure toute la pièce.
Pour les ateliers, j'ai décidé de me focaliser sur les personnages et toutes les complexités qu'ils portent en eux, le décor étant relégué au second plan. C'est pour cette raison que le costume de chaque personnage prend une place si importante dans mon processus de création.
L’histoire est la suivante : Hasse Karlsson adulte rentre dans son village natal pour rendre visite à sa mère mourante. Le bus menant au village tombe en panne. Hasse, perdu en pleine forêt au cœur de la nuit, se remémore alors l’hiver de ses 13 ans en 1948. À cette époque, il vit avec un père très occupé et une mère serveuse qui garde précieusement ses économies pour emmener toute sa famille à Rotterdam. Un jour, il fait la connaissance d’un étrange petit garçon: l’Hirondelle. Ce nouveau camarade exerce une force quasi magique sur lui, le poussant à participer à d'étranges défis : pour l’Hirondelle, toute personne qui passe à la nuit tombée, sous le pont de chemin de fer, est désignée comme une victime sur laquelle lui et Hasse doivent abattre leur vengeance. Même si le jeune Hasse sent bien qu’il ne doit pas suivre son nouvel ami, l’influence de ce dernier l’entraîne malgré lui.
En repensant à son enfance Hasse retrouve les différentes personnes qui peuplaient son univers : Janine, une petite fille vivant seule et sans nez, Aurélia, fervente croyante emmitouflée dans mille écharpes de laine ou encore la femme du maquignon, grande silhouette toute de noir vêtue.
Le cadre posé par l’auteur peut nous être familier : l’enfance d’un petit villageois vivant proche de la forêt.
Ce cadre reste quotidien avec toutefois l’introduction de personnages magiques et irréels. Le réalisme magique proposé par l’auteur est le point de départ de mon désir de mise en scène de ce texte.
Je souhaite axer toute la scénographie autour du costume, faire de ce dernier le support unique de l’imaginaire, de l’univers magique de la pièce.
Le costume portera l’histoire du personnage mais aussi son environnement et définira l’espace qui porte l’action. En donnant autant d’importance et de place au costume cela me permet de créer une pièce de théâtre autonome et indépendante de toute technique dite lourde (lumière ou décors trop encombrants).
Cette pièce pourra donc être adaptable, modulable en fonction de l’espace où elle se joue. Elle pourra faire corps avec la multitude d’endroits dans lesquels elle va s’installer, gagnera en liberté d’expression et en imagination spatiale.
Le costume irriguera donc toute la mise en scène et sera le support d’informations de la complexité des personnages. J'ai décidé pour cela de travailler en étroite collaboration avec Magdaléna Calloc'h, costumière que j'ai rencontrée à la Comédie-Française, diplômée de l'ENSATT.
Avec ce choix, je souhaite interroger le costume dans sa prise en charge de l’histoire de chacun, comment peut-il être l’incarnation plastique dépassant ce que le texte suggère ? Comment grâce à lui différentes temporalités peuvent se lier sur un unique corps ?
L’un de ces axes de travail concerne par exemple l’Hirondelle : Comment habille-t-on un personnage qui se nomme ainsi ? Choisit-on de l’animaliser ? Si oui comment ?
D'autres personnages, comme celui de Janine, la petite fille sans nez, permettent moult inventions :
Janine : " Quand on a pas de nez, on s'en fabrique un. Je peux mettre un nez retroussé, un nez de traviole, un long nez, un gros nez, un nez de sorcière, un nez double, un nez de clown et je peux en changer tous les jours."
Avec cette réplique nous pouvons imaginer la multitude de visages que peut prendre ce personnage en lui confectionnant tous les nez cités, afin qu'elle puisse en changer à chaque scène par exemple.
Hasse se remémore son enfance des années 1950 sur le bord de la route, il appartient davantage à notre présent qu’à notre passé.
Les costumes seront donc confectionnés avec des vêtements, des objets du quotidien de sorte à évoquer dans un premier temps le présent. Néanmoins la vision que nous pouvons avoir de notre enfance est souvent amplifiée, déformée, mythifiée, magique. Ce ne sont après tout que des souvenirs lointains, qui forment aujourd’hui en tant qu’adulte notre subjectivité face au monde. Je souhaite que le spectateur assiste à cette revisite de l’enfance de Hasse uniquement à travers le regard du personnage principal, d’où une envie également de fantaisie pour les costumes. Ces vêtements banals, ordinaires à première vue, seront assemblés, modifiés,détournés de leur fonction première et quotidienne afin de créer notre propre théâtralité et d’emmener le spectateur vers un imaginaire riche.
Le personnage de Hasse arrive adulte sur la scène et se replonge dans son enfance. Le costume dans cette mise en scène nous permettra, grâce aux changements faits à vue, de passer d’une temporalité à une autre très rapidement, de faire des allers/retours entre le présent et le passé. Un imperméable beige taille adulte pourra se transformer en vêtement coloré d’enfant des années 1950, et inversement.
D'un point de vue plastique, des couleurs vives seront utilisées, en clin d’œil aux costumes traditionnels suédois des années 1950. Mais également pour que les costumes puissent se détacher dans l'espace, de sorte à être visibles, flamboyants et magiques.
Le choix du matériel (objets, vêtements de seconde main) utilisé pour la confection des costumes me tient à cœur.
Je pense que dans la situation actuelle nous devons nous tourner vers des modes de création, de production qui tendent à récupérer et à transformer ce qui existe déjà au maximum. Comprendre qu'un objet ou un vêtement n'est pas juste un consommable bon à jeter une fois un peu abîmé et déjà utilisé, mais qu'il est toujours possible de réparer, transformer, donner une seconde vie et une nouvelle utilité à ces derniers. De plus la contrainte de la récupération et du matériel dit "pauvre" peut créer une ligne esthétique intéressante pour le projet.
Par le(s) artiste(s)