Cette série a commencé en Janvier 2019 : aînée d'une fratrie de quatre, j'ai vu en ce début d'année deux de mes frères et sœurs partir vivre à l'étranger. Mon frère de 18 ans à quitté Paris pour suivre ses études à Londres, et mon père et ma petite sœur sont partis à Shanghai. De cet amour à distance est né le concept d' « Emancitées ». Mon cœur divisé en plusieurs morceaux continuait de vivre loin de moi, avec eux, de Paris à Londres en passant par Shanghai.
Construire et nourrir un discours archi-artis-tique.
J'ai appris aujourd’hui à jongler en permanence entre mon métier d'architecte et ma pratique artistique. Je cherche à nourrir et enrichir mon travail par le prisme de cette transdisciplinarité. J'essaye de bouleverser mes points de vue et je me sers de ces deux facettes pour créer cette nouvelle série. Cela permet d'aborder des thèmes qui me sont chers depuis longtemps : le voyage, l'amour à distance, les villes et leurs cartographies. À la méthode des carnets de voyages, l'ensemble de cette série me permet de retracer le parcours de mes pensées sur les traces des cheminements de mes voyages.
Un travail auto-bio-carto-graphique.
Je l'ai expliqué plus haut, si cette série a vu le jour c'est parce qu’aujourd’hui mon cœur est partagé entre plusieurs villes, plusieurs pays et que je vis un amour à distance pour mes frères et sœurs.
Les villes ….
Les cartes m'ont toujours fascinées, elles ont une façon bien à elles d’entretenir avec le réel des rapports très étroits. Elles sont schématiques, on a changé leurs échelles, on les a colorisées, on les a annotées, on les a ensuite remplies de logos et autres annotations illisibles. Le spectateur les juge d'en haut à travers une parfaite vue plongeante. On peut lire l'ensemble des éléments qui la constituent. D'un seul regard on observe alors : les routes sinueuses et nettes qui la tranchent de toutes parts, les cultures qui dessinent des motifs réguliers, ou encore l'altitude et la profondeur qui la rendent totalement abstraite. Cette représentation de l'espace est, à mes yeux, fascinante. On se sert d'un seul document pour transmettre le plus d'informations sur une ville.
Mais il y a tant de choses que les cartes ne montrent pas. Plutôt que de surcharger le dessin et de me perdre dans des représentations interminables, je décide de rompre les proportions et de sortir de cette vue en plan qui m’emprisonne. Je laisse alors un énorme vide au milieu de ma carte. Ce vide symbolise la donnée manquante du plan. Il accueille, par la suite, les phénomènes, sentiments, que je juge trop vagues ou trop complexes pour être représentés sur une simple carte.
Pendant mes voyages je suis partie à la recherche de cette zone manquante, ce trou dans ma carte, cette brèche ou il me fallait glisser. J’espérais percer au grand jour le double fond qui manquait à ce petit monde.
Pour des filles....
J'incarne cette donnée manquante par des dessins de visages. Je renoue alors progressivement avec une représentation qui ici s'approche donc de ma deuxième identité de dessinatrice. Je peins des visages féminins coupés en deux. Cette coupure me permet, dans un premier temps, d'invoquer la cassure que je ressens de savoir des êtres chers loin. Les villes ont toutes des ambiances différentes, des échelles qui n'ont rien à voir, mais elles ont en commun de regorger de souvenirs personnels. Elles sont donc coupées en deux mais elles continuent d'incarner une unité sur le dessin. J'ai cherché à étendre mon concept en le transposant à toutes les villes que j'ai visitées, des villes où j'ai vécu des éléments marquants dans ma vie, des villes où des membres de ma familles vivent. Chacune d'entre elles incarne un souvenir, une anecdote ou une histoire. J'analyse la fracture de ces femmes comme tous les morceaux de moi que j'ai laissés dans ces villes, ou ces parties de moi qui vivent encore là-bas au rythme du temps. Je suis ces femmes, j'ai été ces femmes à des moments donnés de ma vie ou bien parfois elles représentent la partie de moi que j'ai laissée pour avancer.
J'ai constaté plus tard que toutes ces villes avaient la particularité d’être coupées en deux par un cours d'eau. J'ai alors trouvé le fil conducteur à tous ces amours à distance. J'imagine symboliquement que toutes ces eaux finissent par se retrouver au même endroit à la fin. Ainsi, je conçois cette série de dessins comme une succession de villes, reliées par le fil conducteur de l'eau, peu importe leurs distances. Ces cours matérialisent également la fracture que j'évoquais plus haut et la brisure dans le visage de ces femmes. Je suis fascinée par ces villes qui ont du se développer en une seule et même unité malgré leurs importantes cassures en leurs centres.
J'ai décidé de représenter cette série en utilisant la technique de la linogravure qui m'attirait depuis longtemps. Ainsi je peux dissocier mon travail de cartographie de celui de mes portraits. Je commence donc par la plaque du plan de la ville choisie, ce qui me permet d'en connaître les moindre recoins et de me remémorer les souvenirs liés aux endroits que j'ai visités. En tant qu'architecte, la représentation en plan est quelque chose qui me parle, une vue de l'esprit que je garde en tête lorsque je me balade dans la rue. La gravure impose de réaliser une plaque par couleur utilisée. De ce fait, je réalise les visages des filles sur une plaque à part. C'est uniquement en fin de processus que les deux plaques se superposent pour former le résultat final que j'accompagne le plus souvent d'un poème rédigé lors de mon séjour.
L’inscription aux Ateliers Médicis me permet d'évoquer ces sujets avec les enfants afin de mener un travail collectif sur ces thématiques. Je souhaite, à travers ce projet artistique, les faire réfléchir sur les questions de territoire et leur rapport à leur environnement. Leur identité est façonnée par les lieux où ils vivent, où ils se rendent en vacances, etc. Je souhaite leur apprendre à sculpter leur projection sur leur contexte. On construit sa ville comme on construit son rapport au monde et donc son rapport à soi. Cette proposition sera établie de façon progressive et sensitive. Je vais proposer aux enfants d’observer l'environnement urbain autour d'eux, de le cartographier, de se remémorer les recoins insolites, les histoires associées à certains lieux, afin qu'ils puissent s’approprier leur paysage pour produire un discours. Ils seront invités à représenter la ville de leur choix, la ville où ils habitent, ou bien une ville qui compte pour eux pour une raison particulière. Ils définiront par la suite, via le mode de représentation qui leur parle le plus, que ce soit la photographie, l'écriture ou encore le dessin, les éléments qui les relient à cette ville. Chaque point de vue, chaque histoire a sa place dans la ville, le monde est façonnable à notre image. On observe le monde environnant avec nos propres yeux, notre histoire, notre perception des couleurs, notre prisme. Je souhaiterais les rendre sensibles à l'ensemble de ces questionnements.
Par le(s) artiste(s)
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.