« Ce qui reste » est un projet qui se situe entre les champs littéraires et sociologiques. C’est une recherche sur les langues qui nous occupent, sur la place que l’on habite par les langues, et comment celles-ci se déplacent ou se transforment dans l’exil. C'est une fiction qui s’attache aux paysages intérieurs et aux voix d’extérieurs pour créer des micro-fictions poétiques, narratives ou documentaires. « Ce qui reste » se présentera sous forme de recueil même si le projet cherche à déployer la littérature « hors livre ». A travers l’exploration des langues, j’ai souhaité amener les élèves dans les formes d’écriture différentes (poétiques, narratives). En parallèle des ateliers d’écriture nous élaborons une enquête sociologique sur le terrain dans la perspective de recueillir des témoignages, nos sources pour les micro-fictions.
Je suis née en Suède d’une mère suédoise et d’un père hongrois. Enfant, je suis prise entre deux pays, entre deux cultures, entre deux langues. Adulte, je choisis un troisième pays - la France-, une troisième culture, une troisième langue pour me construire.
Je suis persuadée que nous avons plusieurs langues en nous et que chaque histoire à sa propre langue.
En effet, dans L’aliénation linguistique, Henri Gobard distingue quatre sortes de langues que nous avons chacun en nous : la langue vernaculaire c’est la langue d’environnement immédiat, maternelle ou territoriale, d’origine rurale ; la langue véhiculaire, c’est la langue utilitaire, la langue d’échange de commerce et de circulation ; la langue référentiaire, nationale et culturelle, c’est là où on crée les standards culturels pour opérer à une recollection ou une reconstruction du passé ; et finalement la langue mythique qui renvoie à une terre spirituelle, religieuse ou magique.
« Ce qui reste », souhaite ainsi développer et creuser la question de langues, de l’exil et de déplacements pour mener un projet d’écriture sur comment on se construit ailleurs, comment on se construit à travers d’une nouvelle langue. Qu’est-ce qui se passe avec la langue maternelle quand on ne la parle plus ? Qu’est-ce que vivre avec plusieurs langues ? Utilise-t-on des langues différentes en fonction du contexte ?
« Ce qui reste » cherche à connaître qui nous sommes par rapport nos origines, ce qui reste en nous à partir du moment où on quitte nos repères familiaux : que gardons-nous de notre passé, comment rebondit-on dans un nouvel environnement, que deviennent les langues que nous parlons. Où se trouve nos attaches affectives et culturelles ? Dans une langue, dans un lieu ? Et en fonction de notre langue de communication, nous ne racontons pas la même chose. La langue nous transforme, nous devenons presque une autre personne. Est-ce que la langue que nous parlons cache d’autres langues, des langues « fantômes » ?
Durant la résidence proposée par « Création en cours », je souhaite m’appuyer sur les environnements de l’école. J’aimerais aller à l’encontre des personnes pour découvrir comment, de manière diverse, on peut être habité par les langues et comment elles nous forment. La résidence y tient une place centrale, le fait de me déplacer, de m’éloigner de mes repères, d’aller en zone rurale me mettrait à nouveau dans un espace « exilé ».
Afin de me détacher de ma propre histoire, je souhaite la mettre en relation avec des enfants pour explorer avec eux leurs rapports aux langues et à leur environnement et ainsi penser la résidence comme une zone de création collective. Mon écriture étant axée sur le réel, à partir de mes propres expériences en tant qu’étrangère vivant en France, je cherche en permanence à transformer cela en objet littéraire. Comment rendre le vécu personnel universel ? Le fait de créer avec eux me permettra de sortir de mon espace intime dont mon écriture se nourrit, d’avoir accès à leur monde réel et imaginé et aux histoires qui résonnent dans leurs écrits et dans les témoignages que nous allons recueillir sur leur terrain.
Ce projet s'envisage sous forme de livre de fictions poétiques autant que narratives et documentaires, c’est une série de portraits et d’histoires qui s’appuient sur les lieux de vie et des langues qu’on y trouve. C’est une écriture qui se construit dans la rencontre avec l’autre, dans les échanges, dans la distance. Ça m’intéresse également de penser ce recueil comme un espace hybride qui peut se déployer sous différentes formes (site internet, performances…).
Ce projet désire ouvrir aux enfants un chantier de réflexion et de création autour de l’écriture et des langues, ce qui permettra un autre éclairage de ma propre recherche et de ma propre création.
Par le(s) artiste(s)