Le projet que j'aimerais réaliser durant cette résidence est un film d'animation dont le champ de recherche et d'expérimentation serait l'Ecole même. Ce travail inclurait des techniques variées tels que le dessin, la peinture, le papier découpé. Depuis quelque temps, mon travail s'articule autour de lieux communs ou d'espaces que nous sommes amenés à fréquenter souvent et qui nous semblent d'une apparente banalité. Pourtant ces endroits de passages s'avèrent être des concentrés formidable d'humanité. A la manière d'un documentariste, je souhaite m'approprier davantage ces lieux en collectant des recueils de dessins, d'enregistrement sonore, de notes, afin de pouvoir recomposer ces éléments et d'en faire des portraits de lieux subjectifs. Cette résidence me mettrait en contact avec cet espace que nous avons tous expérimenté et vécu, cet endroit où nous avons appris, où nous nous sommes amusés (parfois, ennuyés) où nous avons découvert le rapport à l'autre. L'Ecole est un espace où le temps est fractionné et à l'intérieur duquel se forment des personnalités, des caractères, des imaginaires. C'est un formidable lieu de vie. Ma démarche serait donc de profiter de cette immersion dans l'école, de vivre pleinement cet espace bouillonnant, avec son rythme et ses acteurs, pour en réaliser un portrait animé. L'intérêt de ce projet est la création d'un véritable échange entre les ateliers organisés pour les élèves et la conception de ce court métrage animé. D'une part, les enfants seront amenés à découvrir ce médium riche qu'est le cinéma d'animation, d'autre part, cette expérience vécue me permettra de nourrir et constituera la matière première de ce court-métrage animé.
Cette résidence me permettrait de poursuivre ce projet commencé il y a un an.
L'année dernière, j'ai réalisé un court métrage en dessin animé évoquant un lieu public que j’ai été amenée à côtoyer régulièrement. Il s'agissait du bar d'un Théâtre où j'avais travaillé durant quelques années. Ce n'était pas un bar classique, dont l’unique rôle se résumait à servir des boissons, c’était au contraire un lieu-charnière entre le théâtre et la rue, le silence et le bruit, la fête et l’attente. C’était un espace qui recelait de multiples fonctions. Au-delà de l’automatisme aliénant de ce travail, j’ai découvert que la place que j’occupais pouvait être aussi une zone formidable d’observation.
Pour ce film, ma démarche n’était pas de suivre un fil narratif, ou le déroulement d’une histoire écrite d’avance mais plutôt d’évoquer ces fragments épars d’humanité qui se croisent au hasard du temps et qui donnent vie à ce lieu. Au-delà de cet espace physique, le bar devenait ainsi une scène de spectacle vivant. Durant un an, j’ai exploré ce lieu à travers des prises sons, des croquis, des notes. A partir de ces matières multiples, j’ai voulu retranscrire les ambiances différentes de cet espace, les individus et instants que j’ai été amenée à observer et à vivre.
Ce court métrage est pour moi le point de départ d’une série de films animés sur des lieux choisis, vécus et expérimentés pour en dégager une vision décalée qui mettrait en lumière la magie inattendue des rencontres et des croisements dans ces espaces.
Ce projet de résidence serait l'occasion pour moi d'expérimenter ce lieu fréquenté par les enfants depuis des générations : L'Ecole. Ce huit-clos où chaque jour le temps semble coupé en tranche : l'instant de l'étude, l'instant des récréation, l'instant de la cantine, l'instant des amitiés ou des conflits. Etant animatrice d'un atelier de cinéma d'animation et de construction en volume une fois par semaine dans une école primaire à Paris, j'ai pu me rendre compte que ce lieu se révélait être le théâtre d'une véritable micro-société.
En effet, chaque mardi après midi, je suis amenée à surveiller les élèves qui s'adonnent à tous types d'activités et de jeux au sein de la cour de récréation. Cet espace totalement habité par les élèves et sous le contrôle discret des enseignants se transforme en scène de tous genres : de la tragédie à la comédie en passant par le fantastique ou le burlesque, bref, tout y passe.
Le brouhaha continu se transforme en une gigantesque vague qui tourne et résonne sur les murs peints de couleurs vives. L'enthousiasme des enfants pour ce temps volé au travail scolaire ne s'interrompt qu'après le bruit strident de ce bruit familier : la sonnerie. Celle qui délivre ou qui au contraire marque l'arrêt brutal d'une pause, ce cri aigu qui sonne du lundi au samedi dans toutes les écoles et collèges de France (et ailleurs !) depuis bien longtemps. Lorsque les enfants quittent leurs terrains de jeux, que les fenêtre s'allument et que les livres s'ouvrent, le silence règne. La cour de récréation ressemble à un champ de bataille, des manteaux oubliés, des billes inertes, des écharpes abandonnées jonchent le sol et deviennent les témoins figés d'une agitation passée.
Ce sont toutes ces ruptures de temps, de changement d'espace, de bruits et de silence que j'aimerais notés, enregistrés, et expérimentés. De la même manière que le premier court-métrage de cette série autour de lieux vécus, ma position devient celle d'une observatrice/spectatrice de cet espace, ce véritable petit théâtre. La cour de récréation est déjà à elle seule un endroit qui raconte beaucoup de choses : découpée en plusieurs parties, elle est un lieu de socialisation et répond presque à des règles de hiérarchisation.
Au delà de la noirceur, de la cruauté et de la critique cachée, très amère et pessimiste que William Goldwin fait de la société dans son roman "Sa majesté les mouches", il décrit une véritable organisation démocratique au sein d'un groupe d'enfants rescapés sur une île âgés de 6 à 12 ans. Ce livre et l'adaptation cinématographique de Peter Brook en 1963 révèle comment des affinités vont se créer, évoluer, se renforcer ou au contraire s'entre-déchirer. Les groupes se dessinent progressivement et les fractures se creusent tout au long du roman. Ce qui m'intéresse ici c'est bien cette immersion totale dans l'univers d'un groupe d'enfants et la manière dont ils s'approprient leur environnement.
Je pense également au film animé de Roberto Catani "La tête dans les nuages". Ce court-métrage nous immerge dans une ambiance étrange, celle d'un petit garçon qui se rend à l'école. L'animation ici, permet de représenter le regard subjectif de cet enfant face à son environnement. Une séquence remarquable montre un banc de poisson dessiné évoluer dans l'espace, accompagné de cris joyeux d'enfants. Le cinéma d'animation permet ainsi ce genre de métaphore et constitue donc un médium créatif très ouvert.
Avec ce projet, j'aimerais aborder le lieu comme un endroit habité par les élèves et les enseignants. Un lieu vide, sans aucun passage, ni mouvement n'a pas de très grand intérêt, ce sont bien les croisements, les rencontres, les échanges entre des individus qui construisent l'identité d'un espace.
Cette résidence m'offrirait la chance d'approcher davantage et d'être en totale immersion dans ces espaces et ces rythmes variés que peut abriter un établissement scolaire. Je ne compte pas réaliser un film narratif dont le montage classique répondrait à un scénario écrit. Je souhaite au contraire, réalisé un court métrage qui suivrait la logique de ces instants vécus au sein de l'établissement, privilégiant ainsi le rythme du film.
Pour mon court-métrage précédent et ce futur projet, j’utilise la technique du dessin animé. Cette pratique est pour moi le médium créatif le plus adapté à mon projet. Le dessin est une qualité d’écoute, un instant d’attention qui permet de saisir l’attitude singulière, le caractère propre d’un individu. C’est une manière non intrusive d’incarner des personnages émanant d’une vision subjective. L’alliance magique du trait et de l’animation est un moyen d’expression libre et direct, qui permet de s’affranchir des contraintes techniques ou matérielles parfois trop restrictives.
Enfin, ce projet de résidence me tient particulièrement à coeur puisqu'il participe pleinement à la transmission et à l'expérience partagée de l'art, qui sont pour moi, des notions et des valeurs essentielles que j'aimerai poursuivre et approfondir. Les études d'Art que j'ai pu mener tout au long de ces années m'ont permise d'apprendre à regarder les choses et à nourrir mon rapport au monde. Aujourd'hui, cette résidence me donnerait l'occasion de faire perdurer ces enseignements précieux et de permettre l'apprentissage du Cinéma d'animation à un jeune public. Aujourd'hui, je crois sincèrement au fait qu'il est plus que nécessaire que chaque école et collège puisse profiter d'un accès à la création et favoriser ainsi le partage du sensible. De plus, j'ai la conviction qu'à travers le partage et l'enseignement, nous pouvons à la fois transmettre tout en se réinventant constamment.
Animer ces ateliers me permettrait d'accompagner et d'encourager la pensée créatrice de chaque élève en les aidant à développer un esprit de recherche et de curiosité. L'art peut être un moyen formidable d'ouverture et favoriser ainsi l'épanouissement d'un enfant.
Alpes-de-Haute-Provence
Par le(s) artiste(s)