14 janvier.
La route est agréable, avec en blason, un énorme soleil aveuglant, bien avancé sur sa trajectoire matinale. Jouissif, mais rendant difficile la lecture de tout indice kilométrique. Je quitte l’autoroute, la vue gelée dans un irréductible phosphène.
Bonny a gardé à l’entrée de son bourg ses beaux platanes qui nous font rouler dans un film d’Alain Cavalier ou de Claude Sautet (?). Une coopérative de pommes me rappelle mon enfance. Je m’égare volontairement, et goûte l’embuche qui me mène nez à nez avec la gare abandonnée. Sereine, environnée de ses bus scolaires, ses bosquets et folles herbes. L’impasse et les rails courant disparaître nulle part, la porte centrale, les nombreuses fenêtres et la modénature en brique… quel lieu idéal pour un atelier… quel lieu idéal à sortir de son sommeil.
Enfin, sans peine, je trouve le pont dessus la Loire, prolongé de la passerelle sautant le canal et c’est déjà Beaulieu, qui grimpe. Un serpent de rues et par chance, l’école de fille apparaissant sur la gauche. Tout est calme, il est 10h27. J’attends un peu, regardant la cour vide, sonne, deux enfants sortent à toute volée et courent m’ouvrir le portail. À mesure que les élèves se faufilent hors des classes, la cour se remplit, l’émotion vient. Entre ces petits humains courant volant, plus semblables à des étourneaux qu’à des enfants, se déplaçant latéralement, par arabesques ou virages aéroplanés, vous frôlant de l’aile en lançant un vif regard inaperçu, accompagné parfois d’un drôle de cri « céqui-elle, céqui-elle, céqui-elle », comment ne pas se sentir plus floue, plus étourdie. Le trouble vient d’avoir été seule tout ce temps, dans la sourde attitude méditative, sur cette autoroute de l’arbre sans un chat (une buse morte sur le bas-côté), d’avoir fait la connaissance d’une petite gare à l’abandon et rêvé d’elle, d’avoir traversé la campagne feutrée, la Loire ensablée, le canal secret, le village désert, d’être arrivée devant cette école semblant presque fantôme, et se trouver soudain au milieu d'une volée de martinets.
Une école, sept classes, sept maîtresses, sept femmes. À déjeuner, autour de la table, nous sommes dix femmes, entre 25 et 65 ans. J’écoute et regarde mes compagnes, sans encore comprendre avec quelle reconnaissance. Sans elles, rien de tout cela. Sans elles pas d’école, pas de foyer flamboyant au cœur du village, pas de cris de joie ni de vols planés ni de lacets noués à double-tour. Sans elles, rien de cette vivacité, de ces possibles, de cette sociabilité et ces émotions chaque jour renouvelées.