Se rencontrer et rencontrer la/les danse/danses

Se rencontrer et rencontrer la/les danse/danses

Publié par Louis Barreau

SESSION 1 / du lundi 29 janvier au vendredi 2 février 2018

Cette première session de travail avec les élèves de la classe de CM2 de l'école Hélène Cartier à Montmoreau-Saint-Cybard est placée sous le signe de la rencontre. Se rencontrer les uns les autres, tisser du lien, s'ouvrir à l'altérité à l'intérieur de soi et à l'extérieur de soi.

Comment c'est la danse pour vous ? Ça commence par des tutus, des chaussons, des émissions de télévision, des chignons en tout genre, la danse classique bien sûr, mais aussi le hip-hop, la samba, la zumba, la salsa, et plein d'autres danses en -a qui sont celles que tout le monde connaît, ou presque. Les deux premiers jours, en classe, il faut ouvrir les esprits au-delà des représentations, des habitudes, des zones de confort : on consacre du temps à échanger autour de la danse contemporaine, ou plutôt de ce que j'aime appeler des danses contemporaines. Autant de chorégraphes, autant d'artistes, autant de danses qui existent ici et maintenant, dans notre présent. Il faut expliquer, expliquer que la danse n'est pas forcément "rose", qu'elle n'est pas forcément "belle", qu'elle n'a pas forcément pour simple mission de permettre "d'exprimer ses émotions". Avant les tutus, les paillettes, la difficulté, le grand spectacle et le dépassement, la danse c'est d'abord des mots apparemment très simples : "corps", "espace", "temps", "geste/mouvement", "relation", "présence", "présence à soi/ présence à l'autre"... Au fil des échanges et sous l'effet du temps, les regards et les pensées se transforment et changent, petit à petit, presque imperceptiblement, mais quelque chose change. On prend conscience que tous les corps peuvent danser, qu'il n'y a pas systématiquement de la musique quand on danse, que l'on peut marcher et - en marchant - être en train de danser, que l'on peut juste être présent sans bouger, et qu'en étant présent, on est déjà en train de danser.

Les pensées s'échauffent, se confrontent, et deviennent plus malléables, plus ouvertes, d'avantage prêtes à accueillir ce qui fait "étranger", ce qui fait "autre", ce qui fait "inhabituel". En se transformant, les pensées transforment aussi les corps qui cherchent de nouvelles disponibilités, de nouvelles façons d'être au monde.

Après un très court et lacunaire état des lieux sur ce que pourrait être "l'Histoire de la danse", je montre aux enfants de nombreux extraits vidéos : Nijinski, Cunningham, Brown, Bausch, Bagouet, Ohno, De Keersmaeker, et tant d'autres. Devant l'écran les enfants ont les yeux grand ouverts, il sont médusés, séduits, perturbés, dépaysés par ce qu'ils voient en face d'eux : la danse, les danses, si loin de tout ce qu'ils avaient pu s'imaginer. C'est toute une peinture intérieure qui s'écroule en eux, tant de représentations qui s'envolent en fumée, mais aussi des milliers de portes qui se présentent, qui parfois s'ouvrent, et par lesquelles certains d'entre eux passeront peut-être un jour. Toutes ces rencontres avec la danse sont "bizarres", comme ils le disent souvent. Ça fait quoi dans le corps quand c'est "bizarre", quand on sort de ce qui nous conforte, de ce que l'on connaît très bien, de ce qui nous est acquis pour toujours ? Les enfants réfléchissent, je les vois traverser des montagnes et je les vois grandir, comprendre que ça n'est peut-être pas grave si on "ne comprend pas", si on ne "trouve pas le sens" tout de suite. Les enfants font l'expérience de "comprendre"autrement, par d'autres biais, en passant par une appréhension avant tout sensible et physique de ce qui se passe.

On peut alors commencer à danser, sortir de la salle de classe, rejoindre la salle de gym. On commence par les choses "les plus simples" : marcher, s'arrêter ensemble, repartir ensemble, ou faire un geste spontané après avoir dit son prénom - pas un beau geste, pas un geste qui veut dire quelque chose, juste un geste. On cherche comment faire pour être à l'écoute, pour être ensemble, pour se retrouver et se séparer. On comprend peut-être que la danse, ça commence ici : être à l'écoute, être ensemble, se retrouver, se séparer. On mesure que les choses apparemment les plus simples sont finalement très complexes. Sans qu'on s'en rende vraiment compte, on a déjà commencé à danser, et pourtant on n'a pas fait de grand jeté, on n'avait pas de tutu rose, et il n'y avait pas de musique.

La danse est là, déjà, dans nos corps plus ou moins habiles, plus ou moins souples, plus ou moins petits, moyens, ou grands. La danse est là, dans nos visages qui s'interrogent ou qui sourient, dans notre esprit qui change à chaque instant et qui ne cesse de faire l'expérience de l'altérité, de ce qui nous semble "étranger" à nous-même. On cherche comment faire pour être à l'écoute, être ensemble, se retrouver, se séparer, comment faire pour être plus proche de ce qui se passe en nous pour pouvoir appréhender ce qui se passe en l'autre.

On a déjà commencé à danser, et sans le savoir on s'est déjà engagé dans une recherche vers le bonheur, AD BEATITUDINEM : être à l'écoute, être ensemble, se retrouver, se séparer, être plus proche de ce qui se passe en nous pour pouvoir appréhender ce qui se passe en l'autre.