Vinaigre sur oeuf sur béton sur croûte terrestre

Première semaine de Résidence - Recette pour fabriquer de la colère

Publié par Marion Pastor

Journal du projet

Nous avons joué, en douce, les matins, aux mêmes jeux que les élèves...
Jeux d'écriture et improvisations verbales.

 

RECETTES POUR FABRIQUER DE LA COLERE

"Ingrédients : 1. Cadres bien rigides et infranchissables : barreaux de lits ou barreaux communs, manches croisées dans le dos, postes frontière ou miradors, les lignes à ne pas dépasser dans les dessins ou autre petites cases de mots fléchés, des chapeaux trop étroits ou boîte crânienne bien serrée" C.M.

"Préparation : Videz alors un container de bonnes intentions de la marque « Tu devrais, il faudrait, tu ferais mieux », ajoutez trois pelletées généreuses de « Moi je sais j’ai un ami qui » attrapées fraichement à leurs sorties de bouche, de préférence chez les personnes les plus ignorantes possibles du sujet débattu." M.P.

RECETTES POUR FABRIQUER DE LA COLERE

 

1 --   Ingrédients

  1. Cadres bien rigides et infranchissable : barreaux de lits ou barreaux communs, manches croisées dans le dos, postes frontière ou miradors, les lignes à ne pas dépasser dans les dessins ou autre petites cases de mots fléchés, des chapeaux trop étroits ou boîte crânienne bien serrée,
  2. Éléments à caractère immuable ou extrêmement difficilement modifiables : préceptes bibliques ou issus d’autres textes sacrés, éléments de Constitution, fatalité, destin, axes des astres, héritages familiaux et autres génétiques, horoscopes, visions de boules de cristal, lecture des lignes de mains ou autres marres de café, place géographique de naissance,
  3. Actions répétitives exaspérantes : le doigt qui tapote l’épaule, le grincement des volets sous le vent, la goutte d’eau du robinet qui fuit, le bruit du camion poubelle à 6h du matin, ronflement dans un dortoir, cri du coq et/ou aboiement du chien au passage du postier, les sirènes tous les premiers mercredis du mois, les cloches de l’Église tous les dimanches matin,
  4. Insultes : si possible à caractère racial, sexiste, ou pointant du doigt une minorité opprimée : enfant, blonde, animal, meuf, trans, homo, noirjaunemarronrouge, sans papier, extra-terrestre, extra G7, etc
  5. Dévalorisations de ta capacité à penser les choses par toi-même : annoncer une vérité générale puis son contraire, la blouse blanche des experts, les explications du type « tu verras quand tu seras grand, que t’auras vécu ce que j’ai vécu », les images choc au JT et leurs violons,
  6. Interdictions : extinction des feux, et des lumières, interdiction de circuler sans masque dans l’espace public, interdiction de tourner à droite, de stationner, de monter à bord sans billet, de pisser hors du vase, sur les plates-bandes, de pousser mémé dans les orties, de faire du bruit après 22h, de chier dans son froc, de gouter les fruits au supermarché, de ne pas ramasser les crottes de son chien, mettre de la musique dans le train,
  7. Tentatives d’abrutissement : langue de bois ou grammaire politicienne, une pincée de politiquement correct, un zeste de novlangue : « vidéo-protection » et « gestes barrières », un peu de 3, 4, 5G et autres ondes en vadrouilles entre nos cerveaux, le dentier de Patrick Poivre-D’Arvor et les commissures des lèvres dressées des présentateurices du JT, le trémolo dans la voix de Macron, la moumoute de Trump

    C.M.

2 -- PREPARATION

Pour éviter que la préparation ne déborde :

Choisissez pour récipient : un vaste champ solidement bordé de petites clôtures acérées et envahis de brebis dociles qui piquent de l’œil la voisine qui braierait trop haut,

Videz alors un container de bonnes intentions de la marque « Tu devrais, il faudrait, tu ferais mieux », ajoutez trois pelletées généreuses de « Moi je sais j’ai un ami qui » attrapées fraichement à leurs sorties de bouche, de préférence chez les personnes les plus ignorantes possibles du sujet débattu.

Mélangez le tout à coup de pieds, de crachats et d’humiliations.

Laissez reposer hors du feu quelques instants le temps que la vallée gonfle et sursaute.

Quand celle-ci tremble, rallumez le feu en utilisant, en guise de bûches, des « tu le mérites » susurrés doucement avec condescendance.

Mettez ensuite une pincée de « Vos billets s’il vous plait », et déglacez la pâte en lui demandant justification « pourquoi est-elle là ? Que vient-elle faire ici ? Est-elle légitime ? »

Quand la préparation commence à se craqueler, pelez les rires gras marinés dans des blagues misogynes battues en neige,

Si elle se met à trembler, éteignez le feu brutalement en chantant « On ne peut rien faire, le monde est déjà mort lalalala » sinon fouettez-la fort avant extinction avec des ustensiles de comparaison.

Quand la préparation tremble bien (une coloration différente devrait apparaitre, celle-ci dépend de la qualité du contenant, plus celui-ci sera indifférent et sourd, plus elle sera blême), pétrissez-la avec des mains d’évaluation, faites aller et venir la pâte entre vos doigts de notes et vos paumes de jugements subjectifs. Nappez ensuite d’une illusoire objectivité.

Laissez-la reposer en l’enfermant dans un cliché d’elle-même dont vous êtes sûrs qu’elle ne pourra pas sortir. Ce nouveau contenant doit être bien solide et se resserrer chaque fois que la pâte gonfle pour échapper à ses assignations.

Après deux siècles environ, le temps que les levures de misère sociale se reproduisent, démoulez la préparation et posez-la sur une plaque en métaux lourds radio-actifs cuite aux gaz d’échappement dans un four en terre de boues rouges, en vous assurant que personne ne vous regarde dans la cuisine. Si quelqu’un vous surprend dites « Je ne savais pas » ou, mieux encore : « Les experts disaient pourtant que »

Saupoudrez généreusement des « Cause toujours » trouvés en boutique de style « Langue de bois et démagogie »

Mettez la plaque au four pour qu’elle cuise jusqu’à explosion

Ramassez ensuite les morceaux que vous enterrerez dignement en élevant un petit monument « Morts pour rien ».

M.P.