Nuit Blanche est un projet d'édition hybride qui questionne les formes de lecture contemporaines et la place du coin dans nos sociétés. Le coin, celui qui est isolé dans un angle de la page, vide de toute substance, mais aussi celui de notre quotidien, caché au fond d'une pièce, espace oublié, sans vie, habité seulement par les ombres.
Nuit Blanche racontera leurs histoires, tentant, à travers des expérimentations graphiques de "parler pour ceux qui sont, non pas muets mais inaudibles" pour reprendre les propos de Viviane Despret.
Il présentera, dans une première édition témoin, une narration en 2D, née de la constitution méthodique d'une poétique du coin inspirée des ombres les hantant. Une base de travail à destination des élèves pour leur permettre de construire une histoire commune du coin, au fil d'ateliers expérimentaux mêlant techniques et mises en situation, et ainsi créer un récit fantastique à travers une édition collective.
Le projet Nuit Blanche est né dans le cadre de mes questionnements sur les détails qui entourent mon quotidien. C'est en découvrant l'ouvrage de Gaston Bachelard, la Poétique de l'espace, et plus particulièrement le chapitre traitant des coins, que mon attention s'est tournée vers cet espace. Un espace souvent vide, immobile, toujours dans l'ombre, habité par les toiles d'araignées. Le coin véhicule un imaginaire souvent négatif. Il fait écho à l'expression "se retirer dans son coin", à la punition de l'école, aux ombres qui hantent les souvenirs de nos cauchemars enfantins. Selon Milosz, poète rêveur dont Bachelard prend exemple, l'imaginaire prend vie dans les jeux des enfants qui ne sont pas des évènements naïfs. Il va lui-même créer Monsieur de Pinamonte, le rêveur de coin dans son roman L'amoureuse initiation. Le coin permet de faire émerger des mondes : "les coins sont hantés, sinon habités". J'ai choisi de m'intéresser aux ombres qui habitent les coins. Le titre Nuit Blanche évoque d'ailleurs les cauchemars qui nous empêchent de trouver le sommeil, ceux là même qui disparaissent aux premières lueurs du jour.
Mais pas seulement les coins de nos habitations. Les coins des choses, les angles. Très vite j'ai fait le rapprochement avec les coins des pages dans les livres, ces espaces isolés relégués au second plan qui sont très souvent vides d'encre ou d'illustration. Des coins sans aucun sens, si ce n'est la praticité de tourner une page ou de la corner. Je souhaite redonner la parole à ces espaces oubliés, raconter l'histoire de ces coins de nos quotidiens en utilisant les coins des feuille de papier. Et si ces coins devenaient habités, vivants par les ombres qui les hantent? A quoi ressemblent ces ombres? Que racontent-elles? Ces coins peuvent-ils communiquer entre eux? Autant de questions auxquelles je souhaite répondre grâce à Création en Cours.
Le projet Nuit Blanche a, pour l'instant, donné naissance à un premier prototype. Une édition hybride, muette, entre le livre et le jeu, racontant l'histoire des coins de ma chambre à travers un monde imaginaire peuplé d'ombres. Un projet de narration sur un support 2D d'images projetées dans un espace en 3 dimensions. Au fil des pages, les coins donnent à voir au lecteur, par leurs couleurs et leurs formes, une multitude de personnalités. Autant de mondes poétiques qui nourrissent l'imaginaire, démontrant que les coins ne sont pas de simples espaces anodins. Le projet Nuit Blanche s'inscrit également dans ma volonté de questionner les pratiques de lecture contemporaine. Il redonne une place décisive au dessin et à l'ingénierie papier dans la narration et la conception de l'objet. Une approche globale, du dessin à l'impression, que je souhaite continuer à développer grâce à une formation sur l'ingénierie papier suivie à la HEAR (Haute Ecole des Arts du Rhin) et menée par Arnaud Célérier, et qui m'a permis d'apprendre des techniques de pliage et d'assemblage, comme le pop up par exemple. Les formes de Nuit Blanche reflète ma pratique artistique, et l'attention que je porte aux détails. Elles sont d'abord dessinées puis réalisées en papier découpé. Chaque page est ensuite rangée dans une boîte. Les feuillets n'étant pas liés entre eux, la lecture se fait au fil des choix du lecteur qui est invité à faire appel à son propre imaginaire pour nourrir la poétique du coin.
La résidence Création en Cours me permettrait de donner une double dynamique créative à ce projet. D'abord d'approfondir ma réflexion, et de mener à terme sa réalisation en donnant vie à mes premières expérimentations. Puis de créer, avec les élèves de la résidence, une édition collective parallèle issue de leurs imaginaires, de leurs visions des coins. Ce processus de création sera rythmé par des ateliers expérimentaux ludiques qui surprendront les élèves et les inviteront à s'interroger sur leurs pratiques du geste. Cette édition, hybride, collective, se devra d'être lisible et fonctionnelle mêlant ingénierie papier et sérigraphie, afin d'être transmise de main en main, de classe en classe, comme une légende se tenant dans les coins de l'école.
La difficulté dans notre travail, est d'accorder du temps à la recherche. Création en Cours permet de disposer de cette respiration, d'être totalement concernée par le développement et la finalisation d'un projet, en l'enrichissant à travers les interventions auprès des élèves d'une école. Un public avec lequel je n'ai encore eu que peu d'occasion d'échanger et de travailler. Grâce à ma formation au CFPI (Centre de formation des plasticiens intervenants) j'ai pu me rendre compte à quel point être confrontée à un public spécifique permet d'enrichir sa propre pratique artistique et de remettre en question les chemins empruntés par un projet. Ces temps de transmission et d'échange sont fondamentaux dans mon souhait de participer à la résidence Création en Cours. Il s'agit pour moi de mettre en application des procédés pédagogiques de cocréation avec les élèves, de leur donner toute leur place dans la création artistique d'une édition commune, et donc de tenter de créer une expérience esthétique partagée par les élèves, les enseignants et l'artiste.
Je souhaite amener les élèves à reconsidérer leur regard sur leur environnement en les invitant à s'attarder sur les détails, sur les petites choses de leur quotidien. Je souhaite leur démontrer que l'art, ou plutôt les perspectives de créations artistiques, sont partout dans notre entourage et qu'il faut simplement savoir faire preuve de singularité et de sensibilité.
Par le(s) artiste(s)
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.