Mauvais augure est un projet de scénario de fiction qui met en scène des enfants en huis clos, et fait la part belle aux dialogues.
Un groupe d'enfants vient de trouver un corbeau mal en point. L'un d'eux propose de le tuer. Juste pour voir. L'idée amuse, dégoûte, révolte... mais fait son chemin et devient de plus en plus sérieuse. Comment vont-ils s'y prendre ?
Au cœur du projet, il y a l'envie de parler de la cruauté et de la mort à hauteur d'enfants. J'aimerais ouvrir le débat au sein de la classe - que feraient-ils ? - et me nourrir de nos échanges pour faire avancer l'intrigue.
Le débat conduirait à des séances d'improvisation dirigée. Une écriture par le jeu.
Mauvais augure sera un film à suspense.
En 2018, alors que j'étais en résidence pour l'écriture d'un scénario de moyen-métrage fantastique autour de la figure du loup-garou, on m'a proposé de présenter mon projet aux élèves de l'école du village. Le but était de leur raconter l'histoire, et de leur faire part de mes questionnements du moment. J'appréhendais cette rencontre, car il m'était impossible d'édulcorer le récit, où rôdent la mort et la peur. Mais leur réaction m'a beaucoup étonnée. Ils ont reçu l'histoire avec une simplicité déroutante, et m'ont suggéré tout un tas de rebondissements plus sombres les uns que les autres. C'était l'escalade du pire.
L'idée de faire un film autour de la cruauté avec des enfants a alors peu à peu germé. Mais l'écriture de ce scénario de fiction n'a de sens que si elle est menée avec eux. J'aimerais saisir et co-construire ce mécanisme qui les conduit à imaginer le pire, et questionner ainsi leur fascination pour le morbide.
La situation initiale de Mauvais augure est simple : un groupe d'enfants gagné par l'ennui, trouve un vieux corbeau. Mais l'animal, mal en point, est peu attrayant. L'un d'eux suggère alors de le tuer. Comme ça, juste pour voir. Mais comment vont-ils s'y prendre ? La question est ouverte. Le film se déroule en huis clos et sans adulte pour mettre un terme à leur entreprise. Ils devront décider seuls. Je vais raconter à la classe ce début d'histoire, et leur demander leur avis. Je suis curieuse de voir quelles seront leurs premières réactions. Vont-ils tous se ranger du même côté ? Y aura-t-il des désaccords, voire des conflits au sein de la classe ? Certaines voix émergeront-elles ? Que penseront ceux qui écouteront sans se prononcer ? Cette dynamique de groupe m'intéresse et sera le moteur de l'intrigue. Ce que je cherche ce n'est pas tant la conclusion - vont-ils le tuer ou non – que le débat suscité par cette idée, et ce qu'ils imagineront faire pour y parvenir.
Je mènerai en amont une longue phase d'écriture pour imaginer leurs réactions, des intrigues, ou encore des personnages. Comme un scénario à choix multiples qui me permettra d'alimenter le débat en leur faisant des suggestions, ou en testant en direct des rebondissements. J'imagine Mauvais augure comme un film à suspense, et j'aimerais maintenir la classe dans ce même même état de tension au cours de nos débats. Qu'ils imaginent eux-mêmes des rebondissements ou que je leur en suggère pour faire avancer l'histoire. Qu'à chaque séance, ils aient envie de connaître la suite possible. Au fil de nos rencontres, je ferai des choix scénaristiques pour que l'on puisse avancer sur des bases de plus en plus solides. Mais le but est que le film se nourrisse de leurs réactions et leurs idées.
Si les débats seront essentiels pour les impliquer dans l'écriture, c'est bien le jeu qui reste au centre de ma démarche. Je souhaite développer une écriture par le jeu. Depuis mes premiers court-métrages autoproduits, je m'intéresse au dialogue comme ressort dramatique. Comment le récit évolue grâce à l'interaction des protagonistes. Comment la parole – ou l'absence de parole – traduit les rapports de pouvoirs qui s'établissent au sein d'un groupe, et comment ils évoluent au fil de la discussion.
Par petits groupes, les enfants joueront les scènes que nous aurons imaginées ensemble, comme des hypothèses au scénario en train de s'écrire. Nous n'écrirons pas les dialogues avant de jouer. Je leur expliquerai la scène et le rôle de chacun, mais les mots viendront d'eux. Ces moments de jeu seront encadrés en improvisation dirigée. C'est-à-dire que j'interviendrai ou commenterai en direct ce qui est en train de se construire pour que la scène gagne en intensité et en efficacité. J'aime ces moments de jeu et de répétitions où tout à coup l'histoire prend corps car elle a enfin une voix. Dans ce cadre-ci, l'improvisation dirigée a un rôle encore plus fort car le film s'écrit littéralement sous nos yeux. Je veux nourrir ce film de leur spontanéité, et l'écrire avec leurs mots. Ces moments d'improvisation ne visent pas à figer une scène mais bien à ouvrir le champ des possibles. Nous mènerons ensemble un grand laboratoire d'écriture. Les enfants seront des scénaristes par le jeu.
Les enfants ont cette faculté incroyable à se fasciner pour le cruel et le morbide. Peut-être parce que la mort est abstraite quand on a 9 ans. Une simple inconnue qui attire et effraie tout à la fois. Je suis convaincue qu'il y a quelque chose de cathartique dans le plaisir à s'imaginer le pire. Comme on peut aimer sursauter au cinéma ou monter dans un train fantôme. Ce que s'imagineront les enfants restera de l'ordre du fantasme. Ils débattront de cette idée de tuer l'oiseau, et de comment s'y prendre, mais la mise en pratique n'est pas l'objet du film. Il y a d'un côté l'escalade des possibles dans le dialogue, les tensions ainsi créées entre eux, et de l'autre la frilosité de l'action. C'est ce que ce plan machiavélique révèle comme tensions entre les individus qui m'intéresse, et ce qu'il dit de leur rapport aux choses, aux autres, et au monde.
Je ne m'interdis pas d'introduire une dimension fantastique dans ce scénario. La légende et le mythe sont souvent à la base de mon écriture. J'aime ces récits qui nourrissent notre imaginaire collectif. Ici, le choix du corbeau n'est pas anodin. L'oiseau noir est présent dans des récits du monde entier et sa symbolique varie d'un continent à un autre, d'une époque à une autre. En Europe, il est souvent synonyme de mort et de mauvais augure. Il est l'oiseau qui voyage entre les morts et les vivants. Cette dimension m'intéresse car elle ajoute une dimension métaphorique au récit. C'est un travail que j'ai commencé à mener pour l'un de mes films actuellement en cours de production. Comment la symbolique, la légende, le mythe, peut s'infiltrer dans le récit. Comment l'étrange, voire le fantastique, pousse les individus dans leurs retranchements.
Tout ce récit, qui gravite autour de la question de la cruauté et de la mort, a finalement une visée métaphorique. Le film a pour ambition d'être un certain reflet de notre monde actuel. Comme ont pu le faire des films comme Récréations, de Claire Simon, ou le roman Sa majesté des mouches de William Golding en leur temps. Dans un contexte de perpétuelle mise en avant de l'individu sur la masse, et de rejet de l'autre par simple abus de pouvoir, j'essaierai de leur faire prendre conscience qu'un récit – qu'il soit même fictionnel ou fantastique – a bien souvent une signification plus grande que le simple plaisir de suivre une intrigue.
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