À travers des formes sculpturales à échelle 2/1 par rapport au corps, je souhaite proposer un ensemble de costumes autour desquels se déploieront divers personnages et récits.
J'utiliserai mon propre corps comme une empreinte pour réaliser ces éléments, ensuite agrandis à une échelle totémique. De cette manière je cherche à explorer les mécanismes d'autodéfense et de courage que nous mettons en place au travers de figures anthropomorphiques que l'on s'approprie et qui constituent de véritables "armures contemporaines". Le costume est vecteur d'un glissement du corps et de la pensée dans un personnage. En cela il génère des espaces de liberté et de réappropriation du monde.
Dans mon travail, je cherche à explorer des espaces de soulèvement, de résistance, de rébellion au travers desquels se manifestent nos puissances d'être et d'agir. Je mène cette recherche à travers le prisme du corps, que j'interroge inlassablement sur ses ambivalences d'existence et d'apparence en société.
Je repense souvent aux mots de la philosophe Judith Butler, tirés du livre "Qu'est ce qu'un peuple", paru en 2013 aux éditions La Fabrique ; "le corps n’est pas seulement une entité définie aux limites fixes, c’est un ensemble de relations à la nourriture, au toit, à la sexualité, l’apparence, l’audibilité et la visibilité."
Il est vrai qu'en tant qu’être social, l’humain se construit à travers la pluralité de ses relations. On peut dire que son identité est en perpétuelle mutation et emporte dans ses déplacements les questions du langage, de l’altérité, de l’apparence, de l’appartenance.
Mon projet pour Création en cours interroge nos mécanismes d'autodéfense et de protection à travers les codes sociaux-culturels du costume par le prisme d'une réflexion sur le corps. Le soin particulier apporté à la tenue de l'artiste qui entre en scène, le maquillage clownesque des danseurs de rue des années 2000 dans les ghettos de Los Angeles, les masques Katchinas portés par les indiens Hopis pour invoquer leurs dieux et faire tomber la pluie, ou les supers héros des comics américain dont les pouvoirs sont basés sur des aptitudes amplifiées mi-hommes mi-animales.
Ces mythologies créées autour de figures hybrides, plurielles, témoignent d'un acharnement à aller chercher la force dans une forme extérieure à nous, qui nous arme dans notre rencontre avec l'autre. Elles créent des identités déplacées dans des formes fictives, des personnages dans lesquels se projeter, construits à travers nous.
Les costumes que je souhaite créer fonctionneront comme des armures, c'est à dire qu'ils auront comme fonction première de défendre le corps qu'ils recouvrent. Une armure peut être purement fonctionnelle, c'est à dire retenir les coups de l'ennemi par la résistance des matières dans lesquelles elle est réalisée. Mais elle peut aussi être symbolique, et donner au corps l'impression d'une efficacité supérieure à la sienne sur la réalité (comme dans le fétichisme par exemple). C'est dans cet axe que je souhaite penser les costumes ; je ne cherche pas à créer des matières résistantes à tout prix mais plutôt des formes qui invoqueront des images et permettront de se réinventer.
Pour cela, je travaillerai sur des fragments du corps amplifiés ou étendus, nourris par différents imaginaires. Ils auront la forme de protubérances, de cavités, de bosses ou de renversements physiologiques qui feront émerger de mon propre corps une forme hybride. À l'inverse du costume ou du déguisement, ils ne seront pas seulement des épaisseurs ajoutées au corps mais viendront l'amplifier et le déformer.
À travers l'univers que les sculptures construiront ensemble, je souhaite créer un espace de libre parole et d'engagement. Ces formes, mémorielles et hétéroclites, seront un langage courageux pour le corps qu'elles suggèrent, un point d'encrage de la réflexion, aussi. En effet elles formeront une communauté à l'intérieur de laquelle se tisseront des nouveaux récits, des nouvelles formes de langage et d'apparition.
Les sculptures, 3 ou 5 réalisées à l'échelle 2/1, composeront une installation dans l'espace et dialogueront avec les projet réalisés avec les enfants. Non habitées par le corps qu'elles suggèrent, mais incontestablement incarnées, elles seront les totems d'une communauté fictive dans laquelle circuleront des images et des histoires fantasmées.
C'est dans une approche performative du travail artistique, dans mes projets personnels et en tant que performeuse pour d'autres artistes, que j'ai toujours développé des espaces de fiction dans lesquels apparaître. Ces contextes sont pour moi des prétextes pour explorer les questions de la représentation, de l'apparition, du langage, du mouvement, de la transmission.
L'ensemble proposera donc, en filigrane, une réflexion sur la forme perfomée et la théâtralité.
Par le(s) artiste(s)
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.