Avec deux cent milliards de cellules dont quatre vingt milliards de neurones, le cerveau est un objet fascinant. Pourtant, dans l’Antiquité, les Égyptiens le sortaient du cadavre par les trous de nez pour le mettre à la poubelle.
D’où vient l’intelligence ?
Est-ce que c’est mon cerveau qui pense ?
Est-ce que mon cerveau, c’est moi ?
Est-ce que c’est le seul endroit de notre corps qui est intelligent ?
Quelle relation y a-t-il entre le cerveau et le langage ?
Comment s’est développé le cerveau humain au cours l’évolution ?
Est-ce qu'on est tous pareils puisqu'on a tous un cerveau ?
« L’intelligence par les mains » est un projet de recherche artistique autour du cerveau. Une collaboration entre la marionnette et la langue des signes, qui tisse des liens entre l'objet de science, l'image et l'expression du corps. Une recherche philosophique, poétique, gestuelle et documentée sur l'objet cerveau et son univers, sur ce que nous avons à découvrir à travers lui.
Genèse du projet
Un jour, Lou Simon, marionnettiste, a lu dans la thèse de Romain Bigé, chercheur en philosophie et danseur, que: « la cérébralisation, loin d’être ce qui conduit l’évolution, n’est en fait qu’une conséquence lointaine d’une possibilité offerte par la stature érigée ». En effet, d’après le paléoanthropoloque André Leroi Gourhan, c’est parce que l’humain est debout, parce qu’il s’est mis dans une position spécifique, que le cerveau humain s’est développé jusqu’à nos jours.
Lou a été très troublée d’apprendre cela, parce qu'elle avait dans la tête l’image d’un cerveau chef d’orchestre, matière qui commande à la matière. Il y a parfois des choses qu’on apprend et qui changent la manière dont on regarde le réel et dont on appréhende la vie. Elle a eu envie de partager cette expérience, avec la scène et la marionnette parce que, justement, la marionnette nait de la mise en mouvement de la matière.
Petit à petit a donc commencé la création de L'Intelligence par les pieds, une forme courte, en solo, sur l’année 2019-2020. Un spectacle-conférence, tissé de fils de pensées, de questions et d'histoires qu’une narratrice porte au plateau, avec un objet-cerveau, au moins quatre fois plus grand qu’un cerveau réel, parfois utilisé avec les codes du théâtre d’objet, parfois avec ceux du masque. Quelques étapes de travail ont été présentées, notamment lors d’un kabaret POP de la Nef-Manufacture d’Utopies le 8 mars 2020, et la forme courte est actuellement en création pendant le confinement.
Cette forme sera suivie par la création d'un spectacle en duo, pour laquelle Lou a invité Juliette Dubreuil, comédienne signante, à rejoindre le projet : nous serons donc co-metteures en scène et co-autrices de cette forme longue.
À la suite d'une sortie de résidence à l'Usinotopie sur la création de "Chantier parades", de Kristina Dementeva et dans laquelle Lou est interprète, Juliette Dubreuil, alors en cours de formation à l'ETU et comédienne signante, fut invitée a participer à leur dernière journée de recherche. C'est là que se sont confirmées pour toutes les deux l'envie et l'évidence de mener une recherche commune.
La confrontation entre le langage marionnettique et la langue des signes scénique a un enjeu formel : chercher par le travail du corps, de l'objet et des mains un langage scénique et visuel hybride. La main qui bouge, qui raconte, qui construit, en dialogue avec l'objet qui illustre, métaphorise, incarne. À travers cette rencontre, il naitra des jeux, des décalages et des frottements entre les mots et les images. Pour parler de ce qui se passe chimiquement à l’intérieur du cerveau, de son évolution, des questions philosophiques qui concernent cet organe. Nous nous intéresserons donc principalement au langage, question-guide dans notre exploration du cerveau.
Nous candidatons à Création en cours parce qu'il nous a paru très pertinent, vu le sujet et les axes de recherches mis en chantier pour cette création, de faire participer des enfants d'une dizaine d'année.
D’un objet de science à la création d’un langage scénique
Le cerveau apparait de manière bien différente selon le point de vue adopté pour l’étudier. Objet de sciences, au croisement entre différentes disciplines: neurosciences, médecine, philosophie, paléoanthropologie etc, le cerveau nous interroge à un endroit de rencontre entre nature et culture. Quelle serait cette rencontre? Est-ce qu’il y a une frontière, un pont, un vide? Quelle place le langage prend-il dans les liens entre l’humain et son environnement? Et à travers le cerveau et ses parties, il y a aussi le rêve, la mémoire, les émotions, les sens...
Il y a là un terreau fertile à la recherche artistique. Les sciences humaines et cognitives sont habitées de ces questions contemporaines, et l’objet cerveau révèle un noeud: que racontent des humains les observations et les fascinations autour de cet organe? C’est de cette question que nous avons envie de partir, c’est cette question que nous avons envie de partager, à la fois dans le processus de création avec les jeunes et sur scène.
Le sujet est très riche, et nous avons beaucoup de questions. Notre envie n’est pas forcément d’y répondre, mais de saisir ce qu’elles contiennent d’imaginaire et de poésie à l’intérieur même des discours scientifique. Nous pensons qu’un dialogue avec des enfants, sur ce sujet, peut s’avérer riche de ressources poétiques et réflexives et participer de manière généreuse et surprenante à la construction d’un spectacle tout public.
À partir d’un objet de science, quel langage scénique nait ?
La dramaturgie du spectacle sera construite à partir de documents, d’histoires et d’images. Nous ne sommes pas scientifiques, mais nous sommes dès à présent en recherche d’articles, et en lien avec des scientifiques, qui pourraient par ailleurs participer au travail avec les enfants.
Nous partons de plusieurs points de vue pour explorer, sur scène, l’objet cerveau:
- ce qui se passe à l’intérieur du cerveau: nous explorerons les fonctionnements du cerveau, les phénomènes chimiques et électriques qui s’y développent, en nous concentrant principalement sur la formation et la pratique du langage. Nous nous appuierons sur la matière (vivante ou non) pour parler à la fois de l'infiniment petit, de l'infiniment précis et de l'infiniment long.
- les différentes parties du cerveau, et les "fonctions" qu'elles accueillent.
- ce qui s’est passé pour en arriver là: comment le cerveau s’est développé au cours de l’évolution.
- ce qui se passe quand on a une idée: du point de vue philosophique, nous nous questionnerons sur les frontières et les ponts entre cerveau, pensée, et sujet.
- les cerveaux des autres êtres vivants.
Dans la forme longue, nous imaginons que ces explorations seront racontées, jouées et traduites visuellement par deux narratrices-conférencières. Le discours qu’elles porteront, plein de questionnements sérieux, sera léger et ludique. Les deux personnages s’interrogent, racontent, font des expériences. Elles tissent leur discours d’images nées d’un langage physique qui empruntera à la marionnette, à la langue des signes scénique et au mouvement dansé. Elles appuieront leurs mots de l’expressivité signifiante du geste: gestuelle des objets, gestuelle des mains, gestuelle du corps - jusqu’à effacer les mots dits. Nous pensons que le mouvement permet de rendre visuel et sensible le développement de la pensée en train de se faire, et qu'il y a là matière à jouer et à prendre plaisir, comme créateur.rices et comme spectateur.rices.
Par le(s) artiste(s)