Les terres du Massif Central regorgent de pierres et de fossiles, les volcans et les montagnes cachent en leur sein un monde plein d’histoires et de traces du vivant. Les pierres ont suscité tout un imaginaire leur prêtant des propriétés magiques, médicinales et mythologiques. Elles sont des preuves du temps qui passe, elles relient les âges, les mémoires, les générations. Les artistes Mélina Ghorafi et Nelle Gevers proposent pour cette résidence la création d’un fakelore. Ce terme est emprunté au folkloriste américain Richard Dorson et désigne un faux-folklore, une tradition implantée. Le fakelore sera inspiré de traditions, légendes et collectes d’histoires locales. Il aura le monde minéral pour objet principal d’investigation, et s’incarnera dans des récits et des célébrations basés sur des collectes locales comme une invitation à inventer sa propre histoire.
Nous proposons de créer un folklore artificiel qui puisera dans les recherches que nous mènerons sur place sur les spécificités territoriales du lieu où nous résiderons en prenant pour point de départ l’abondance de minéraux, pierres précieuses et semi-précieuses caractéristique du Massif Central. Cette idée nous est venue de la notion de fakelore que le folkloriste américain Richard Dorson a théorisé, qui est à proprement parler la création d’un faux folklore.
Nous habitons actuellement à Nice où il existe une tradition, la Santa Capelina, qui est un parfait exemple d’une tradition récente et implantée. Elle se manifeste par un événement qui a lieu tous les 1er mai sur l’esplanade Rauba Capeu face à la mer depuis 1997. Elle a pour origine trois collectifs niçois (Les diables bleus, Nux Vomica et Zou Maï) qui voulaient proposer une alternative rebelle en réaction au carnaval de Nice et à son attraction touristique en créant des carnavals indépendants. Il s’agit d’un rassemblement où chacun doit venir coiffé d’un chapeau customisé et amener un poisson pour préparer la soupe commune qui sera servie à la fin de la manifestation. Cette exigence du chapeau a donné lieu à l’invention d’une légende racontant qu’une femme venait souvent se recueillir sur ce bord de mer sans que personne n’en connaisse le motif. Un beau jour, sa capeline s’envola, et voulant la récupérer elle descendit sur la berge, mais fut soudain frappée par la foudre. Neuf mois plus tard, une sainte apparut sur le rivage : c’était la Santa Capelina. Sa célébration prend la forme d’une procession chantante où les participants, coiffés de leurs chapeaux, portent une effigie en papier-mâché de la sainte jusqu’à la plage afin de la rendre à la mer. Les poissons sont ensuite mis en commun, et la soupe est servie.
Dans le Massif Central, nous avons déjà repéré des spécificités liées à la géographie du lieu qui pourraient être des points de départs. Nous nous intéressons par exemple aux fontaines pétrifiantes de Saint-Nectaire, lieux qui mêlent à la fois l’eau et la pierre. Un artisanat a été développé autour de ces fontaines aux eaux calcaires, où on utilise ses propriétés et sa caractéristique de calcification pour faire des objets et des sculptures. Nous avons aussi relevé dans le livre Guide de l’Auvergne mystérieuse de la collection Les guides noirs des éditions Tchou princesse une légende à propos d’une fontaine pétrifiante: une femme de Clermont-Ferrand, jalouse de l’épouse de l’homme qu’elle aime, la fait enlever puis ligoter avant de la plonger toute une nuit dans une fontaine pétrifiante. Une couche de pierre dure se forme autour d’elle, la pétrifiant littéralement. Elle est remise dans son lit au petit matin et rend son dernier souffle dans les bras de son mari. Il y a tant d’autres exemples liant les pierres et les légendes locales et nous souhaitons en faire les portes d'entrée de notre recherche.
Toujours au travers du prisme des minéraux, notre recherche s’articulera autours de trois axes, en partant donc d’un moment de collecte de matériaux et de légendes. Durant cette étape de glanage, nous poserons autant les questions de la rencontre avec les traces du passé que celles des traces que nous laisserons. Nous utiliserons plusieurs méthodologies pour nous gorger de ces connaissances : nous visiterons des lieux dédiés au public, mais nous souhaiterions également nous rendre sur des lieux d’extractions industrielles. Enfin, nous ne manquerons pas de partir en exploration et de chercher des pierres dans des lieux non exploités (ruisseaux, rivières, cascades, montagnes, volcans, etc.). S’intéresser aux histoires ensevelies permet également de se rendre compte de la façon dont les histoires transmises ont été sélectionnées ou au contraire mises en marge au fil du temps. Se replonger dans des temporalités plus anciennes, des relations diverses à l’environnement, des traditions rendant compte de liens perdus permet de repenser ses racines. Faire face aux histoires qui ont influencé les nôtres permet de les complexifier, de se les réapproprier et de déconstruire les récits dominants. C’est aussi un moment pour apprendre des observations des autres, un moment sensible qui rend à l’enchantement une place dans nos vies.
L’étape de création d’artefacts et de récits entre réel et fiction sera un moment de déploiement d’imaginaires, avec créativité et ingéniosité. Ces moments d’imaginations permettent de se confronter avec de nouveaux potentiels d’existence, d’identités, de communautés, de structures et de relations à l’environnement. Ce sera un moment de transmission et de concrétisation en collectif, notamment au travers de plusieurs activités avec les élèves. Nous expérimenterons plusieurs langages avec des textes, des contes, des gestes, des objets, des fausses archéologies, des cartographies, etc. Les élèves seront amenés à enrichir les recherches de leurs découvertes et de leurs imaginations. Nous penserons ensemble les différentes formes de matérialisation d’un folklore.
Ce sera l’occasion pour les élèves d’exprimer leurs désirs, leurs histoires et d’ouvrir leurs paroles. Nous explorerons ensemble le pouvoir libérateur de la fiction et les alternatives concrètes qu’elle permet. Il n’est pas ici question de devoir séparer les narrations mais d’apprendre à faire coexister une multitude de récits et de les tisser ensemble.
Durant l’étape de création de la célébration, il sera question de penser l’inclusivité, de rendre compte de l’importance des apports de chacun au sein d’une communauté. Nous penserons à la forme que prendra ce partage et ce faux-folklore. Ce sera l’occasion de prendre soin des liens tissant une histoire multiple et riche. Il existe déjà en Auvergne une longue tradition de fêtes populaires ou païennes, réactivées par des groupes folkloriques qui ont à coeur de revaloriser ce passé et ses histoires. Nous souhaiterons apporter des pierres à cet édifice en mettant sur pieds notre célébration. Nous réfléchirons avec les élèves et la communauté aux modalités de mise en place de celle-ci.
Permettre à chacun de participer tout en ayant la liberté de se réinventer, de jouer avec son identité, sont des façons de délier et d’assouplir les règles du jeu imposé, tout en s’appropriant et créant collectivement un jeu qui nous apporte de nouvelles découvertes. A l’image des jeux de rôles, une crédulité volontaire peut renouveler des possibles au travers de moments d’épanouissement, de découverte de soi et des autres car ils permettent de faire un pas de côté en incarnant un imaginaire.
Par le(s) artiste(s)