Chasseurs de Snark (vidéo HD, 7 min, 2019) est le quasi autoportrait d’une classe de Clichy-sous-Bois conçu à l’aide de trois dispositifs de projections permettant aux modèles d’agir avec leurs propres images. Il s’inspire d’un texte de Lewis Carroll dans lequel la figure du Snark se révèle être un monstre que tous chassent sans connaitre sa forme ni pourquoi ils le chassent. Devenus leurs propres fantasmagores, les élèves capturent nos projections et réveillent des imaginaires enfouis.
Ce projet est une relecture du poème de Lewis Carroll « la Chasse au Snark » dans une démarche entre performance, arts-plastiques et film. Ce texte poétique, absurde et énigmatique, qui a désormais plus de 140 ans, résonne plus que jamais avec nos peurs collectives, nos fantasmes et nos figures de monstres et de boucs émissaires. L’objet de la résidence sera de réaliser une série de films courts participatifs autour de cette chasse en l’ancrant dans nos gestes et temps présents, tandis que les ateliers mis en place avec les enfants graviteront autour de ce projet et alimenteront sa fabrication.
« Ils le traquaient, armés d'espoir, de dés à coudre, De fourchettes, de soin; ils tentaient de l'occire Avec une action de chemin de fer; ou de Le charmer avec du savon et des sourires.»
La Chasse au Snark, Cinquième crise, "La Leçon du castor", Lewis Carroll, 1876, traduit par Henri Parisot, GF Flammarion. Ce projet, inspiré du texte de Lewis Carroll, se veut être la tentative, un peu folle, d'esquisser un portrait des chasseurs de Snark que nous sommes et que nous feignons d’ignorer d’être. Il s’agira de bâtir une série de films d’art, nourris par des gestes de performances et des objets que la lecture de ce texte va susciter. Mon territoire sera celui d’un imaginaire collectif lié à l’enfance et au jeu, territoire que je lierai aussi à nos peurs subsistantes et à mon interrogation sur la représentation des figure de monstres et de boucs émissaires. Cette résidence sera une exploration de la figure du jeu de piste par la performance et l’image en mouvement, à la fois comme un moment de partage collectif et comme un exutoire de la violence. Il s’agira au final de mettre en scène nos peurs et de les placer à distance dans un objet de création participatif. Incontestablement, une école est « un bon coin pour le Snark » pour reprendre les mots du poème. C’est un espace où les élèves s’autorisent à reformuler de nouveaux jeux contagieux qui ne cessent de chasser les précédents, quitte à s’autoriser des retours en arrière ou à s’affranchir des règles des adultes. Ces derniers n’ont d’ailleurs de cesse de chasser les nouvelles chasses au Snark, qui alors disparaissent et ré-apparaissent sous d’autres formes. Seuls la forme des objets de transactions changent, mais l’esprit, lui, persiste de génération en génération. Cette résidence en milieu scolaire sera l’occasion d’un travail de création vidéo nourrie par des ateliers plastiques conçus avec les élèves. Je conçois mes films comme la partie visible d’un iceberg, c’est à dire comme le résultat d’une expérience dense fait d’une série de gestes, d’expérimentations, d’échanges et même si j’ose dire, d’échecs. Je fais toujours mienne cette phrase de Samuel Beckett : « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. » Comment alors ne pas se retrouver dans le texte absurde et près-surréaliste de Lewis Carroll, où il est question justement d’une tentative de faire émerger une forme invue, de sortir l’invisible de son nid, de retrouver le Snark ? Lors de cette résidence, je vais donc m’approprier le texte de Lewis Carroll comme un notice ou un mode d’emploi à plusieurs entrées offrant divers protocoles pour tenter de faire apparaître à travers des jeux de pistes la figure du Snark, ce monstre que l’on n’arrive jamais à saisir. Approcher le plus près possible cet horizon impossible sera l’enjeu de ce projet. Parallèlement, ma recherche aura une dimension anthropologique. Les enfants, même encore en 6ème, sont, dans leur quotidien, de véritables chasseurs de Snark, que ce soit dans leurs jeux de cour de récréations ou dans leur apprentissage de la sociablité. Aussi tout le sens de ma résidence de création en milieu scolaire sera de m’imprégner de leurs gestes, paroles et interactions sociales notamment lors des temps de jeux. C’est là toute la part documentaire de ce projet : saisir ce moment avant que les élèves oublient qu'ils sont des chasseurs de Snark. La cartographie est un élément clef du texte. Je commencerai donc par cet élément. Dans le texte de Lewis Carroll, c’est une carte vide contenant uniquement des indications sur ses marges. Je partirai de cela en sondant les recoins et zones oubliées de l’école et de la ville pour les cartographier comme un monde des confins. Une fois conçue, cette cartographie sera d’abord le support d’un jeu de société, comme une maquette, que je vais créer en concertation avec les élèves, comme un jeu de piste miniature et sur mesure. La forme et les matériaux des pions, les règles, le parcours, la mesure du temps, le design des cartes à jouer, la gestion du hasard… seront autant d’éléments à la fois nourris par le texte de Lewis Carroll et les expérimentations plastiques des élèves. Puis ce jeu sera testé, réajusté et je tournerai un film sur un moment de partie de jeu, en somme comme une sorte de tableau vivant convoquant le motif en peinture des joueurs de carte ou des joueurs d’échec. Puis, nous passerons à une échelle 1 : en élaborant un autre jeu, dont l’objectif reste encore la chasse au Snark, mais qui sera désormais un jeu de piste plein air. Il s’agira de fabriquer un moment entre jeu de piste ludique et performance en élaborant à nouveau des règles, des objets, des marquage au sol. En amont, les élèves auront fabriqué avec moi des outils pour capturer le Snark. Je photographierai ses objets de chasse. Là encore, une fois finalisée, une partie de ce jeu grandeur nature sera filmée. Parallèlement, j’inviterai les élèves dans le cadre de différents ateliers à concevoir avec moi la silhouette, la démarche, les empreintes, et le son du Snark, de sorte d’obtenir une trace sans cesse changeante de celui-ci. Il sera donc question pour eux de faire apparaitre la présence fantomatique du Snark en construisant des dispositifs fantasmagoriques. Bien au delà des ombres chinoises, nous manipulerons la lumière, les couleurs et le son afin de faire exister l’enveloppe flottante de notre Snark dans une poétique de lanterne magique et de montreur de foire. Enfin, tout un temps de ma recherche artistique consistera à enregistrer, comme un répertoire anthropologique, des gestes de jeux d’enfants, rejoués de façon chorégraphique en m’employant à les condenser, à les recombiner pour les redéployer en grand dans le cadre d’une installation vidéo. Un travail parallèle sera aussi effectué autour de leur parole pour sonder leurs imaginaires et leurs représentations des figures des monstres. Je réaliserai alors une bande sonore qui sera déployée dans l'espace lors de la restitution. À l’issu de ce travail, je fabriquerai une installation composée de ces films nourris de ces expériences et qui sera le portrait de nos « Chasseurs de Snark ». Au fond ce projet est un documentaire sur l'enfance d'aujourd'hui, au moment charnière entre la fin de l'école primaire et le début du collège. La figure de la chasse au Snark est là pour cristalliser ce réel et révéler sa capacité encore vive à s'entrelacer avec les imaginaires.
Seine-Saint-Denis
Par le(s) artiste(s)