À l'image de sa dématérialisation croissante, l’histoire du bureau se jalonne de changement d’échelle. Le projet "BUREAU n.m - Mammifère à toison laineuse et frisée" convoque son origine latine la “bure”, étoffe de laine utilisée au Moyen-Âge pour confectionner des vêtements de travail, afin d’interroger le rapport aux mouvements, circulations et placements des corps dans l’espace d’apprentissage.
Intégré au sein d’une agence de design éphémère, le groupe d’élèves et d’enseignants, réfléchira à son propre territoire de travail. En allant à la rencontre des chaînons de la filière ovine, de la production à la transformation de la laine, l’agence explorera les qualités intrinsèques du matériau local. L’équipe se créera ses propres outils d’exploration pour effectuer un va-et-vient constant entre recherche tactile et expérimentation de l’espace.
Le groupe pensera et réalisera ainsi, une famille d’objets invitant des situations d'apprentissage inattendues dans la classe.
"BUREAU n.m - Mammifère à toison laineuse et frisée" est né d’un travail de fond qui lie aspirations antérieures et rencontres récentes. Ce projet de recherche propose de réfléchir à ce que l’identité du bureau peut impulser comme fictions dans l’espace d’apprentissage.
Mes recherches suivent l’individu dans les différentes formes de travail contemporaines. Depuis l’écriture de mon mémoire d’étude, intitulé Cultivons nos tiers-lieux, est née chez moi l’envie de réfléchir aux relations entre territoires d’expression personnelles et espace collectif. À cette période, j’ai concentré mon attention sur la notion de “troisième sphère” défini par Ray Oldenburg comme des zones intermédiaires de sociabilisations (The Great good place, 1989). Cela m’a permis de rencontre des écosystèmes parfois informelle où une forte porosité entre sphères du travail et du domicile existe.
Il y a longtemps que le mot “ bureau” ne fait plus penser à la bure, cette grosse étoffe de laine brune dont on faisait des tapis de table mais qui servait parfois à confectionner des robes de moine. […] Par métonymies successives, on est passé dudit tapis de table à la table à écrire elle-même puis de ladite table à la pièce dans laquelle elle était installée, puis à l’ensemble des meubles constituant cette pièce et enfin aux activités qui s’exercent […].
Au fil de mes lectures, j’ai découvert L’infra ordinaire (1989) de Georges Perec qui a mis en lumière les enjeux du projet que je cherche à développer à présent. Par son œuvre l’écrivain propose d’observer attentivement ce qui compose notre quotidien pour le réenchanter. En soulignant les changements d’échelle connus par le bureau, auxquels s’ajoute désormais une dématérialisation croissante incarnée par le “bureau d’accueil” de nos ordinateurs, Perec démontre que ce simple mot est le reflet de mutations sociétales.
Mes intentions pour le projet "BUREAU n.m - Mammifère à toison laineuse et frisée" se sont précisées par l’intermédiaire du projet Des feuilles, de la Peau et des écrans que j’ai intégrée en 2018 lors d’une résidence en milieu scolaire. Ce projet de recherche initié sous l’impulsion de Thibault Brébant par le Cac Passerelle et le Réseau Canopée cherche à répondre aux problématiques liées à l'altération de l’attention et de la confiance en soi par la réunion d’une communauté de chercheurs, professionnels de l’éducation et designers. Ces différents temps d’échanges et notamment la rencontre de Jean Pierre Tixier coauteur d’Innover dans l’école par le design (Réseau Canopée, 2017) ont permis de prendre de la distance sur la production plastique pour révéler des zones à explorer.
"BUREAU n.m - Mammifère à toison laineuse et frisée" s’appuie sur ces pistes pour questionner la place de l’individu dans la classe et plus généralement dans son rapport aux autres. Avec l’outil design, nous allons réfléchir un espace propice où : se raconter, raconter, s’entraider, se dépenser, se reposer, se projeter, s’inventer, se retrouver. Mon approche de designer et non de spécialiste en science de l’éducation permet de créer des hypothèses, des fictions, ou l’absurde est une valeur.
“Méfiez-vous ! Les mots ne sont pas ce qu’on croit : de petits animaux doux et dociles, auxquels il n’arrive jamais rien.
Les mots aiment l’amour. Mais aussi la bataille. Ils se trouvent ainsi mêlés à toutes sortes d’aventures, sentimentales et dangereuses.”
Les mots ont des histoires à nous raconter (Orsena, E., La fabrique des mots). En approfondissant celle de l’étymologie latine du bureau, on peut noter que la bure définissait l'étoffe de laine grossière que Perec évoque. C’est à l’origine un matériau couramment utilisé pour habiller bergers et religieux. Les moines copistes utilisaient notamment la robe de bure pour ses qualités isolantes. Cela leur permettait de se protéger ainsi que leur manuscrit du froid des tables en pierre.
À travers la bure nous pouvons réinterpréter notre vision du mobilier scolaire pour le rapprocher de nos mouvements. S’abstraire de la forme conventionnelle du bureau fait émerger une nouvelle géographie de la classe.
Dans ce projet, élèves et enseignants se fédéreront au sein d’une agence de design éphémère. Par ce biais, nous allons penser des incitations, proposer des pas de côté. Le groupe sera acteur des événements. Des temps informels pour faire vivre l’espace seront favorisés tels que des lectures, des séances de sport, des goûters ou des siestes. Aidé de références amenées à se préciser d’ici l’entame de la résidence, j'aiderais le groupe à penser sa circulation :
Hall E. T., La Dimension caché d’Edward T. Hall > notion de "proxémie", distance physique entre individus.
Saint exupery A., Le petit prince, 1943
Munari B., De loin on dirait une île, 1971
Huizinga J., Homo Ludens, 1938
Ponty M., L'œil et l’esprit, 1960
Citton Y., L'Économie de l’attention, 2014
En référence aux Ateliers Tactiles de Bruno Munari, nous imaginerons à notre tour des ateliers d’apprentissage direct autour de la laine, des moments lors desquels les élèves seront amenés à distinguer les textures et à percevoir leurs nuances. Les moutons peuvent produire différents types de laine. En France, il existe une centaine de races disséminées dans la plupart des régions. Proposer un projet centré sur l’utilisation de laine, vise à revaloriser une production locale. Au niveau mondial, la laine est un produit industriel qui représente la principale production de l’élevage ovin. Mais en France, la laine est devenue un sous-produit en partie délaissé par la profession. Cette production, considérée comme un complément de revenu pour les producteurs ovins est devenue une charge. La chute des cours de la laine rend souvent son prix inférieur au prix de la tonte. Je chercherais à sensibiliser les élèves aux nombreuses qualités concordantes avec le projet. La laine est avant tout une fibre naturelle à la croissance continue. Elle est de ce fait renouvelable et possède un faible impacte carbone. En ayant la capacité de retenir l’air, la laine à un fort pouvoir isolant, elle limite les échanges thermiques et absorbe les hautes et basses fréquences (Cf. Plight, Josef Beuys, 1985).
La laine sera le matériau privilégié. Elle sera perçue comme une surface qualifiant un usage. Différentes pistes seront ainsi explorées en fonction de ses propriétés. Les élèves et moi collaboreront pour choisir et défendre les pièces qui composeront une famille d’objets. Ces objets que nous développerons constitueront une palette d’outils à combiner et déployer dans les salles de classe de l’école.
L’approche du design, au-delà de cette conception d'objets sera prétexte à développer chez les élèves une nouvelle perception du monde, une autre façon de le penser.
Par le(s) artiste(s)