Comment je suis arrivé à l’improvisation …

Comment je suis arrivé à l’improvisation …

Publié par Pascal Chapuis

Journal du projet

J’ai rencontré l’improvisation libre en 2013 avec Hélène Labarrière, à l’occasion de mon entrée au Pont Supérieur. Cette pratique semblait sommeiller en moi. 

Très tôt, j’ai perçu la richesse de cet univers, dans ses perspectives artistiques comme pédagogiques. Dans la lignée des réflexions d’Alain Savouret (découvert en 2015 à travers son livre Introduction à un solfège de l’audible, l’improvisation libre comme outil pratique), je m’intéresse de très près à l’improvisation libre. L’inscription récente de
cette pratique dans mon propos pédagogique se développe autour d’un véritable enthousiasme, d’une conviction profonde et d’une volonté ténue d’apprendre, d’expérimenter et d’éprouver. Ma boite à outils s’étoffe par empirisme à mesure que j’avance sur ce chemin. Si lire, réfléchir et
échanger autour de l’improvisation libre me fait évoluer, c’est bien l’expérimentation sensorielle et auditive qui enrichit ma palette et mon langage. La conscience suit le plus souvent l’expérience, la sensation précède le mot. C’est ma créativité qui s’exprime dans les expériences pédagogiques que je mène. Un espace d’expression pédagogique libre, nouveau et immense. Me voilà plus que jamais apprenant, connecté dans l’espace pédagogique à « l’ici et maintenant ». Une magnifique
respiration !
Voici ma toute première expérience pédagogique à ce propos. Au pied du Mont Mézenc (Haute-Loire), à 1200 mètres d’altitude, dans ce superbe laboratoire qu’est le stage de guitare organisé par Guit’Arverne. Comment sommes-nous passés de l’oralité à l’auralité… Ce matin-là, j’avais rendez-vous avec le groupe des « petits », cinq guitaristes entre 7 et 9 ans, qui étaient dans leur deuxième année d’apprentissage de la guitare. Ils s’installent avec la plus grande application : repose-pied,pupitre, etc. Je leur demande de chasser les pupitres et de constituer avec moi un cercle : nous travaillerons de façon orale. Avec ma guitare, je leur apprends une berceuse de ma composition, thème à danser, sans dire mot. Le morceau est appris relativement rapidement, je leur propose alors d’improviser dans cette tonalité (Fa Maj), tour à tour, pendant que les autres développent un accord de Fa sur la métrique en 3/4. Puis nous improvisons à deux, à trois, etc. Cette expérience nouvelle pour eux s’est exprimée sans appréhension, en lâcher-prise, et s’est révélée confortable et agréable
pour chacun. De consigne en consigne et d’expérience en expérience, le langage bruitiste a intégré notre vocabulaire. Jusqu’à ce que la tonalité puis ses éléments de langage disparaissent totalement. Toujours des jeux et des expériences, intuitifs et spontanés, font avancer cette matinée dans une
profondeur artistique inattendue. Je ne sais plus à quel propos, dans un instant où je me retrouve à improviser seul, une bourrasque de vent s’engouffre dans le balcon sur lequel donne notre salle de musique, en écho au son que je viens de produire avec un bottle-neck, dans un timing et une justesse de propos ahurissante. Les enfants sont autant estomaqués que moi. « Le vent improvise avec nous ! » Il n’en fallait pas plus pour se chausser, enfiler manteaux, écharpes et bonnets (mois d’avril
en Haute Loire…) dans une urgence frénétique. Nous voilà dehors avec nos guitares à improviser avec le vent, dans une multitude de jeux et d’expériences auditives pour tenter de rassasier notre
soif de son. Le vent leader, puis suiveur, joueur de guitare et développeur d’harmoniques (l’expérience du vent s’engouffrant dans une guitare bien exposée, sur laquelle on colle l’oreille à la caisse est étourdissante), les sons des graviers, des chaussures, des arbres, du toboggan, etc. Au bout
de 45 minutes, transit de froid, des étoiles dans les yeux et des sons plein le corps, il fallait rentrer pour raconter ça aux camarades, aux grands, aux autres professeurs autour d’un plat chaud très apprécié, et mérité.
Les ateliers “massage des tympans” à Taulhac…  Une seule figure imposée, rituel respecté, nous commençons dans le silence (tout relatif au lieu) et terminons dans le silence. Ce sont les balises de l’espace-temps. Les « moment de musique » sont débriefés quasi systématiquement, afin de mettre en mot, d’affiner le vocabulaire et par là de cerner la sensation du faire et de l’entendre. Depuis les essais timides du début, la palette sonore s’enrichie, le temps et l’espace, intimidants, deviennent des alliés, des amis. Le plaisir de faire, encore et encore, d’inventer des contraintes, d’observer les événements et les sons, etc. Ce travail nous emmène dans les profondeurs du son, de l’espace-temps, de l’expérience sensorielle. Aucune angoisse liée aux codes, pas d’erreur possible, pas de savoirs à restituer, pas de jugements personnels. En quelques semaine, bienveillance envers soi et les autres, confiance, lâcher-prise, perception de plus en plus aigüe, exigence sonore, etc. Le point de départ vers l’art…