Quentin joue avec l'enregistreur de Thibault

c'est ta tête, c'est ta voix

Publié par Eugénie Bernachon

Journal du projet

la deuxième partie de ma troisième semaine d'intervention à Cugnaux, Thibault, le régisseur son du spectacle, nous a rejoints. j'avais prévenu les enfants qui étaient extrêmement curieux de ce nouveau métier, qui l'attendaient avec impatience. de fait, dès qu'il a mis les pieds dans la salle de classe, il a été bombardé de questions - et c'était réjouissant. 

très vite cependant, il a fallu passer aux choses sérieuses (encore une fois, cette histoire de temps...). on leur a dit qu'on allait les enregistrer et les filmer. plus précisément faire un portrait vidéo de leurs personnages et enregistrer des phrases qu'ils avaient mot pour mot inventées à l'oral pendant les entretiens et que j'avais sélectionnées. je leur avais également dit que s'ils avaient des idées d'avance pour les portraits, ils étaient libres de nous les communiquer. je savais aussi que le concept de "portrait vidéo" pouvait leur être très abstrait, et que ça n'était pas très grave s'ils restaient dans le flou.

encore une fois j'avais tiré au sort un ordre de passage aléatoire. on avait installé un micro dans une salle vide et préparé la gopro que nous avions pour filmer. chaque fois qu'un.e enfant entrait, je lui disais quelles phrases j'avais retenu de notre entretien en tête à tête pour les enregistrer. Thibault leur mettait le casque connecté au micro pendant ce temps pour qu'ils entendent ce que ça fait, une voix dans un micro. on a vu beaucoup de sourires naître à cette étape. ensuite, Thibault reprenait le casque, je les lançais avec des questions qui correspondaient aux phrases à enregistrer pour les mettre plus à l'aise, on essayait plusieurs fois. j'avais surtout peur qu'ils disent les phrases comme on lit ou récite une poésie à cet âge. je voulais retrouver le naturel avec lequel ils avaient dit ces mots la première fois, pendant les entretiens. pas facile, surtout quand on a un grand micro impressionnant sous le nez et un monsieur qu'on ne connaît pas vraiment qui manipule tout un tas de boutons dans la pièce ! mais le fait de leur faire mettre le casque en premier, qu'on leur ai dit de ne pas faire attention au micro, de me regarder plutôt moi, et que ce soit leurs phrases avec leurs mots exactement a beaucoup aidé. on a été agréablement surpris de découvrir un certain professionnalisme de leur part, la plupart des phrases ont été enregistrées en deux prises maximum. à ce moment des ateliers, ils étaient véritablement pris au jeu.

ensuite venait le moment des portraits vidéo. je leur demandais de choisir un endroit dans l'établissement qu'ils avaient envie de s'approprier. j'aimais bien l'idée qu'on puisse comme ça donner un nouveau sens à des lieux qu'ils fréquentent sans y faire attention depuis près de cinq ans. je leur demandais également s'ils avaient envie de faire une action en particulier. on allait donc à l'endroit choisi, et puis on lançait la caméra. même procédé que pour le micro : on leur disait d'abord de ne pas faire attention à la caméra (et il était heureux qu'on ai pris une gopro pour cela, la gopro étant un objet minuscule), et puis à un moment pendant qu'on filmait, quand je les sentais à l'aise, je leur disais de regarder l'objectif directement. on leur disait regarde à travers, essaye d'imaginer que ton regard transperce la caméra et que c'est en fait moi derrière que tu regardes en la regardant. là aussi, on est tombés sur un professionnalisme remarquable ! je pense que, pour ceux qui faisaient une action, ça aidait aussi énormément. ils étaient plus plongés dans l'action que très conscients d'être filmés, ce qui les mettait plus à l'aise. le tout premier à être passé, Baptiste, nous a complètement soufflés. son personnage étant espion, il a décidé sans qu'on lui demande de regarder la caméra directement et de jouer avec comme si c'était un ennemi qu'il observait et évitait en même temps sur le terrain. complètement à l'aise ! ils ont 11 ans pour la plupart et à quelques mois de passer en sixième. de ce que je m'en rappelle et de ce que j'ai pu observer chez eux, c'est un moment charnière où l'on n'a plus trop envie qu'on nous traite comme des enfants et où en même temps on l'est encore tout à fait. avec ce groupe, ou plutôt certains éléments de ce groupe, c'était donc difficile parfois de faire renaître cette capacité au jeu d'imagination si propre aux enfants, cette pureté du jeu de rôle où ils sont capables de se jeter à corps perdu. ces essais à la caméra ont marché vite et bien sur ce point, et c'était beau à voir. de trouver leur calme, aussi. leur concentration.

en somme, une réussite. à partir de là, il a fallu trier les rushs, les enregistrements, commencer à monter, et aussi commencer à écrire avec des éléments d'entretiens que j'avais mis de côté exprès pour ça, et d'autres qu'on avait enregistrés mais qui ne rentraient finalement pas dans le rythme du film à venir. les enfants étaient impatients; nous aussi.