TIMEO est une première écriture et mise en scène d'Eugénie Bernachon. L’histoire de départ de la pièce, c'est qu'il y a eu une catastrophe dans une France proche de la nôtre, et qu'au lendemain de cette catastrophe, suite à la démission du gouvernement, on a élu à l'unanimité un nouvel homme au pouvoir : Timéo. Son programme propose une seule chose : un suicide collectif à échelle nationale pour dans un mois. Tout le monde a accepté. Pourquoi tout le monde a accepté ? Quel est le goût de la vie quand on la quitte ?
Bien que le point de départ de l'écriture ait été les attentats du 13 novembre, la pièce cherche à passer par l'humour, l'espoir, l'absurde, la poésie du ridicule et de la vulnérabilité. Il ne s'agit pas de désespérer mais au contraire de retourner à la source de ce qui nous meut ensembles et individuellement. Dans la mise en scène nous travaillons sur des images en parallèle du texte, en passant notamment par la danse, le corps, la composition de musique et de tableaux.
J’ai commencé à écrire Timeo pour parler du 14 novembre 2015. Parce qu’on m’a demandé de le faire mais surtout parce que j’en avais besoin. J’ai commencé à l’écrire en janvier. Le lendemain du 13 novembre j’avais écrit dans un carnet un long texte nourri de ma rage profonde, d’une colère d’enfant qui bouffe le dernier bonbon non pas parce qu’il en a envie mais parce qu’il ne veut pas que les autres le mangent. Un texte que j’ai cru né simplement de la haine, d’un caprice, un texte de sale gosse extrémiste que j’ai trouvé si inadmissible dans ses idées en l’écrivant que je ne l’ai plus jamais relu. Et puis un jour, Philippe Malone a demandé à ma promotion de l’ESAD d’écrire sur le lendemain des attentats sans en parler directement. Ce texte qui hantait mon carnet m’est revenu en tête. Je l’ai immédiatement sorti de mon sac, retranscrit. C’est devenu la toute première version du discours d’investiture de Timéo, le Nouveau Chef d’Etat.
Maintenant que j’y reviens, avec beaucoup de recul et toute une histoire qui est née de lui, je m’aperçois que ce texte originel est certes né de la colère, mais qu’il ne s’agissait pas seulement d’une forme de caprice. Ecrire Timeo a pour moi été une façon de me réconcilier avec l’humanité en laquelle soudainement j’avais peine à croire. Comme de panser cette blessure profonde crée par la conviction nouvelle que mes semblables, comme moi-même, ne pouvaient être que fondamentalement mauvais et médiocres, petits et vils. En fait, il s’est agit de trouver et d’apprivoiser la beauté de l’humanité dans ce qu’elle a de petit, de lâche, de peureux. Trouver la beauté de l’être humain là où il n’est ni héros, ni méchant de l’histoire, mais simplement petit être absolument pas spectaculaire, très impuissant et coincé entre des archétypes qui n’existent jamais plus de quelques minutes. Et l’impuissance, justement, a été le grand moteur de Timeo. Qu’y puis-je, moi, minuscule être humain, si en prenant juste une bière avec des copains je peux finir à terre avec un trou dans la gueule ? Si n’importe qui peut louer un camion pour foncer dans la foule du 14 juillet, tout ça à ces endroits précis où notre garde est baissée, tentant de faire en sorte qu’elle ne soit plus jamais baissée ? Puisque que tout cela est possible dans n’importe quelle capitale du monde, beaucoup ont cessé de vivre pour se mettre à survivre. Aller boire des cafés en terrasse le lendemain, brandir des panneaux je suis Charlie je suis Paris, je suis etc. en signe de protestation ne m’a jamais donné la sensation de sortir de mon impuissance, de ma passivité, de mon statut désormais conscient de proie. Ca a pu être très beau, mais ça ne m’a jamais ôté de la tête l’idée qu’on s’était tout d’un coup mis plus ou moins consciemment à attendre la fin du monde.
Ecrire Timeo et le mettre en scène c'est une tentative de comprendre, de prendre les choses en main, d’arrêter d’être juste assise là à attendre que la prochaine catastrophe arrive, et aussi de m’intéresser aux réactions vraiment nulles que les gens ont pu avoir, à ce que l’horreur peut créer d’absolument terrible et imprévisible dans le cerveau des gens. Qu’on se réunisse tous en se disant que ce n’est pas grave, que c’est humain, que moi aussi j’ai piqué de l’argent dans le porte feuille de mes parents et que c’est peut être un peu pathétique mais qu'accepter le pathétique peut être un très grand acte poétique.
Pour aborder le spectacle avec les comédiens, nous avons commencé par aller dans les rues, à la rencontre de la foule qui palpite et de l’individu, de son monologue intérieur. On se l’est joué comme Diogène se promenant dans les rues d’Athènes, brandissant sa lanterne sur les gens en déclarant: « Je cherche un Homme. ». On a inventé des manifestations en forme de distributions de café gratuites sur les trottoirs pour trouver comment la rencontre peut se créer avec l’autre hors de tout cadre prévu à cet effet. On a cherché à créer nos cadres.
Il y a dans la société un mouvement perpétuel et paradoxal de rassemblement puis de dispersion, puis de rassemblement puis de dispersion, etc. C’est un battement de corps de méduse permanent. C’est la contradiction entre nos solitudes profondes et notre constant rapport à la foule. Entre être parfaitement seul et démuni et trouver une solidarité inattendue face aux événements. C’est cela même que je veux retranscrire au plateau, en créant un mouvement de choeur où l’un puis l’autre mène la danse, qui s’explose pour mettre en lumière des individus séparés les uns des autres par leurs propres détresses et questionnements, qui finissent par se retrouver les uns les autres dans ces détresses et ces questionnements en réalisant qu’ils ont les mêmes, puis se séparent à nouveau, etc. Je cherche à retrouver cette sensation qu’on peut avoir quand on croise un parfait inconnu et qu’on sent immédiatement qu’on pourrait lui faire parfaitement confiance parce que dans le furtif échange de regards qui se produit avec lui ou elle on s’est senti parfaitement DANS l’humanité et pas perdu en soi ou au-dessus des choses. Comme Timéo, le nouveau chef d’état, le fait avec sa proposition délirante, je cherche à provoquer le public. Provoquer quoi dans le public ? C’est à lui de voir.
Le corps et le langage c'est tout ce qui nous reste quand tout semble perdu. A travers leurs corps et leurs langages donc les personnages de TIMEO se cherchent, cherchent ce noyau en eux qui les représente absolument. C'est une explosion de vie, mise en valeur par ce paradoxe même qu'ils s'approchent volontairement de la mort. C'est cette situation extrême qui fait ressortir le plus sublime et le plus grotesque d'eux, et comme nous l'a appris monsieur Victor Hugo les deux souvent vont de paire et s'entremêlent. C'est ce pathétique sublime que nous recherchons.
Par le(s) artiste(s)