Acte 1. De l'hydrogène dans le cosmos

Acte 1. De l'hydrogène dans le cosmos

Publié par Brice Ammar-khodja

Journal du projet

C’est au presque petit matin que dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne", je partais.

À peine quelques kilomètres de route que déjà le voile blanc des monts Pyrénéens me salue. Au sol, quelques plaques de verglas entament l’asphalte des parterres embourbés. Je me perds avec une volonté enthousiaste dans le décor de ces routes ardues.

Mon fidèle fourgon déborde de fournitures. De son jaune postier, il étincelle la vallée. Il nous tarde de découvrir l’environnement où se dérouleront ces prochains 4 mois de pérégrinations.

Je suis en route vers Montastruc.

On dirait le sud.  

L’environnement est propice à mon champ d’investigation : laboratoires, rivières, gouffres, cascades, glaciers, montagnes, éco-village, … Tant de matériaux pour embrayer une recherche sur les propriétés chimiques, mythologiques et sonores de l’eau. De la pureté de la roche calcaire du gouffre d’Esparos, théâtre démiurge de tant cristaux d’Aragonites, à la pureté de l’eau distillée chercheur scientifique de Tarbes : un dialogue est en place.  

Après m’être égaré à travers bien des routes sinueuses, et comme une horloge suisse déréglée, j’arrive enfin.

L’école de Montastruc est un petit complexe dont la classe qui m'est assignée est disséminée dans la mairie. Ici règne une atmosphère paisible. Il faut désormais se présenter, s’apprivoiser et apprendre à se connaître.

Explications sommaires du projet (qu'il faudra découvrir au fur et à mesure) suivies de quelques brèves notions introductives sur l’art et le design. Je suis surpris de la curiosité de ces enfants qui ont pu bénéficier d’un premier contact avec certains objets phares du design. Pour s’échauffer l’esprit, nous mettons en place un tableau heuristique que les enfants pourront mettre à jour régulièrement. Je pose le premier jalon : H2O. Un part un, ils devront ajouter une branche à notre arbre. Rapidement une circulation de liens s’amorce, les sens s’entrecroisent… les cerveaux bouillonnent. J’en profite pour ajouter et expliquer quelques termes et phénomènes liés à l’eau : hydrophobe, évaporation, H2O, O2, hydrogène… tant d’expressions qui deviendront récurrentes lors de nos séances.

Il est temps d’attaquer et comme à chaque séance, nous commencerons de la sorte.

« Fermons les yeux, et maintenant, nous écoutons. »

Je diffuse un paysage sonore composé de différents enregistrements composés avec des hydrophones.

« Que croyez vous entendre ? »

Dans le silence nous écoutons les murmures de l’eau.

S'ensuit un premier tracé.

« Dessinez-moi un son ».

Pas facile ? Je propose donc aux enfants d’écouter simultanément une pièce de Janna Winderen enregistrée lors d’une session en Antarctique. Accompagnée d’une équipe de chercheurs, elle capte des signes de l’activité sous-marine. L’enregistrement propose un panel hétéroclite de variations, fréquences, curiosités et bruits bizarroïdes.

Les enfants sont assez déstabilisés… comment dessiner un son ? Je leur propose donc de fermer les yeux et essayer d’imaginer le son : est-ce une forme ? un état ? une couleur ? un mot ? … bientôt le silence est de retour… les mains s’agitent.

J’ai recours à ce procédé car, d’expérience, je sais qu’il est ardu d’arriver à obtenir des enfants une grande variété dans les productions. Au début, ils ont plutôt tendance à faire preuve de mimétisme. Cependant, ici, le résultat est vraiment convaincant. Eux le sont moins : «c’est moche» me disent la plupart d’entre-eux. Ce qui me permet d’engager une discussion sur les canons contemporains de la représentation picturale et de la beauté esthétique. Nous essayons de comprendre pourquoi dans certains cas, le sens doit prendre le pas sur des applications essentiellement esthétiques et pas forcément réfléchies.

Un matériau, une technique, un outil ou un phénomène sera présenté à chaque séance et, je vois bien que le morceau de zinc qui siège près de mon ordinateur attire l’attention ! Nous nous réunissons autour de cette plaque. Je souhaite leur montrer un phénomène chimique simple et reproductible ainsi que son lien avec la pratique des arts plastiques. Nous assistons à la génération d’une fine couche de microparticules de carbone (en chauffant la plaque avec une bougie) sur un revêtement de zinc. On peut utiliser ce noir de fumée pour réaliser une image imprimée, mais également pour appliquer une texture (super)hydrophobe à notre matériau.

C’est ainsi que notre thématique apparait plus clairement. Une goutte d’eau parfaitement formée occupe le centre de la plaque. Un geste, un tremblement et la goutte rebondit, glisse et s’échappe. La fragilité du système nous transporte.

Le temps file… avec Julien (le directeur et enseignant de l'école) nous décidons de distribuer des carnets de croquis à chaque élève. Les enfants doivent comprendre qu'il s’agit là d’un espace d’expression libre à chacun. Ici, pas de règle. Les élèves peuvent coller, dessiner, déchirer, écrire, peindre, imaginer, etc. Cet exutoire n’a qu’une contrainte : avoir un lien avec la séance réalisée. Libre à eux de choisir ce qu’ils décideront de mettre en avant. À travers cette démarche, je désire consolider les liens qui unissent une œuvre finale à ses étapes de recherches et d’expérimentations. J’en profite pour montrer quelques carnets personnels en guise d'exemple.

En avant ! Les pinceaux se déchainent, les verres de peintures éclaboussent et les poils se hérissent. Plus loin dans la salle, un groupe choisit d’expérimenter le noir de fumée sur verre et plaque de zinc. D'autres décident de s’en tenir au crayon de papier. Tout le monde participe et rapidement Julien se prête au jeu, mélangeant cire (qui elle aussi est hydrophobe) et peinture. Bientôt un « CRACK » retentissant nous alerte. Un pot de verre s’est brisé à cause de la chaleur de la bougie (personne n’est blessé !). Encore une merveilleuse manifestation des lois du cosmos.  

Notre première rencontre se termine sous un soleil d’hiver presque cuisant et il est temps pour moi de retourner à l’atelier pour fignoler la mise en place des dispositifs. Il s’agit d’une maison en cours de rénovation que la communauté a décidé de me céder le temps de la résidence. Il fait froid, certes, mais c’est spacieux et très lumineux. Cependant je doute que le plafond soit suffisamment résistant pour résister au poids d’Emma (artiste et danseuse aérienne), qui me rejoindra de Bologne en Avril prochain. Il faudra trouver une solution. Les outils sont enfin en place, le sol aspiré, les nuisibles évincés, sur le bar de feu l’ex-cuisine de la bicoque, une bouilloire chauffe comme une usine à gaz.

Je dispose l’aquarium au cœur de la pièce et y laisse pendre un tuyau.

Le robinet tourne, une pression d’air s’esclaffe, pssssschiiii…  de l’eau se diffuse sporadiquement le long des parois…

Cette cuve pourrait bien être le centre névralgique de notre théâtre aquatique.

Un vidéo-projecteur attend laconiquement son entrée en scène.

Lumière !

Plic…ploc…

Quelques sons s’écoulent.