Une valse à trois temps est un projet de rencontre photographique s’attachant au mouvement et à la représentation de soi à travers nos gestes. Chloé Boulestreau, artiste plasticienne, est partie à la rencontre des passants, accompagnée d’appareils photographiques insolites (camera minutera, sténopé…), engendrant un dialogue et la réalisation de portraits mystérieux.
Introduction :
J’interroge à travers mon travail photographique la temporalité et le hasard dû à l’utilisation de procédés anciens comme l’usage de sténopés ou d’une camera minutera. Ce sont des appareils photos qui nécessitent un temps de mise en place plus important et qui comprennent des paramètres inévitablement incertains. Le cadrage lors de l’utilisation d’un sténopé par exemple comprend des imprécisions car il n’existe pas de viseur à l’appareil. Aujourd’hui, nous produisons énormément de photographies en un temps record, au contraire mon approche des images s’inscrit dans un processus long et une temporalité bien différente de la boulimie visuelle à laquelle nous sommes confrontés au quotidien.
Mon travail précédemment engagé sur le mouvement :
Je suis captivée par le mouvement et la décomposition de celui-ci. Je mène depuis plusieurs années un travail de recherche photographique à ce propos. J’ai ainsi réalisé des séries de portraits alliant expositions multiples et flou de mouvement. Cela créer des silhouettes étranges, évanescentes qui m’intéressent particulièrement. Je me suis concentrée à travers ces recherches sur la matière obtenue dans l’image, matière créée par le mouvement du sujet. Mes protocoles photographiques s’apparentent à de courtes improvisations dansées interprétées par les modèles, où je compte plusieurs secondes puis vient le changement de pose. Cet intérêt pour le mouvement, s’apparentant à une danse photographique, me vient d’une pratique semi-professionnelle de la danse. Ma fascination pour la gestuelle de chacun, est également présente dans mon travail plastique et d’écriture.
Recherches engagées avec le collectif-les-bains en région Grand Est :
Membre du Collectif-les-bains, aux côtés d'Apolline Agard et Ninon Epalle-Linde, nous réalisons ensemble des projets dans le Grand Est. Nous avons, par exemple, réalisé une résidence itinérante à vélo à travers l'Alsace, en 2020, qui consistait à intervenir et performer au sein de différents villages que nous avons traversés. Nous avons également commencé un travail de collecte, consignant les dialogues de nos rencontres, des photographies et des plans vidéo. Forte de ces expériences et réflexions autour d’interventions au sein de villages inconnus, j'ai continué et mis à profit ces expériences humaines pour développer mon projet Une valse à trois temps.
Déroulé du projet :
Lors de la résidence, j'ai souhaité provoquer des rencontres et proposer aux habitants de faire l’expérience de mes protocoles photographiques et ainsi interroger leur rapport au geste.
Tout d’abord, j'ai contacté les artisans présents sur le territoire, me suis rendu au sein de leur atelier afin d’échanger avec eux autour de la notion de geste, sa transmission, son apprentissage… Lors de nos conversation, leurs mains, actives, façonnaient devant moi et j'ai ainsi capté plusieurs de ces mouvements caractéristiques de leur corps de métier.
Dans un second temps, j'ai souhaité renouveler ce type d’échange avec des habitantes dont le métier n'était pas étroitement lié au geste et ainsi interroger cette notion avec eux à travers un regard différent. Je suis donc intervenue au sein de plusieurs médiathèques et me suis installée dans l'espace public avec ma camera minutera. Cette camera minutera est un objet encombrant et intriguant, à la fois appareil photographique et laboratoire ambulant. Elle permet de réaliser un tirage photographique argentique en une dizaine de minutes.
Juste avant de réaliser une image avec mon modèle, je leur proposais de répondre à un court questionnaire. Ce questionnaire, à cheval entre récit narratif et texte dont nous sommes le héros, a été l'un de mes principaux terrains d'expérimentation. Écrivant au quotidien de courts textes, récit de mes rencontres et de l'atmosphère ressentie sur le territoire, j'ai allié ce travail d'écriture à la réflexion autour de l'utilisation de ma camera minutera avec les habitants. En effet l'un de mes principaux objectifs était de capter un mouvement de leur part et ainsi réaliser un portrait singulier. Cela n'était pas chose aisée en seulement quelques minutes d'échange. Il me fallait donc guider cette prise de vue sans pour autant prendre l'ensemble des décisions à la place de mon interlocuteur. Grâce à ce court questionnaire, un portrait, réalisé en collaboration avec mon ou ma modèle, était finalement possible.
Intervention auprès des élèves et objectifs de transmission :
J'ai souhaité faire part aux élèves de mes interrogations artistiques, de ma façon de travailler et comment j'aborde mes recherches plastiques. Nous avons ainsi expérimenté la prise de vue et la réalisation d'images comme une expérience du corps et non uniquement des yeux. Nous avons, par exemple, commencé certaines séances par un rapide échauffement, afin de mettre en condition le corps avant de photographier ou être photographié.
Nous avons également abordé ensemble la notion d’apparition et disparition en fonction de la lumière. Nous avons appris à accepter l’imprévu, le hasard et s’en servir comme support de création. Enfin nous avons imaginé et expérimenté des formats inhabituels pour des images, induits par l’appareil que l’on utilise. Nous avons de ce fait construit nos propres appareils photographiques sur le principe simple du sténopé. Sans oublier de créer un protocole photographique pour chacun de nos sténopés fantastiques.
Par le(s) artiste(s)