Lors d'une interview le photographe Lewis Baltz explique que “tout le monde peut prendre des photographies” et que “ce qui est difficile c’est de les penser, les organiser, essayer d’utiliser le montage pour construire un sens avec ces photographies.” C’est dans cette direction que Capucine Lageat et Antoine Perroteau développeront leur recherche de l’image multiple avec des techniques anté-numérique tout en initiant les élèves à leurs découvertes. Qu’il s’agisse du polyptyque, du photo-collage, de la photographie simultanée ou de la stéréoscopie ; toutes ces possibilités du multiple tendent à “augmenter” la perception de l’espace et du temps capté par le - ou les - appareils photographiques. Le sujet de leurs prises de vues expérimentales seront les espaces qui nous entourent - entendu comme lieu des communs - tant lors de la recherche proprement dite que pour la transmission auprès des élèves.
“Tout le monde peut prendre des photographies. Ce qui est difficile c’est de les penser, les organiser, d’essayer d’utiliser le montage pour construire un sens avec ces photographies. C’est vraiment à ce moment là que le travail commence.”
Lewis Baltz
Des réseaux sociaux aux atlas des historiens d’art, les flux d’images et leurs analyses rhizomatiques prévalent aujourd’hui sur leur préciosité et leur analyse intrinsèque. En opposition à la valorisation de multiplicités d’images de provenances différentes se développe une revalorisation de l’image unique et parfaitement construite - en photographie comme en peinture. C’est dans la perspective d’une alternative - et d’une réconciliation - de ces deux positions antinomiques que nous expérimentons depuis plusieurs années des pratiques d’images multiples, ou de poly-images, en partant de l’idée de Lewis Baltz selon laquelle “tout le monde peut prendre des photographies” et que l’important est de construire un sens par l’articulation de celles-ci.
Qu’il s’agisse des polyptyques qui tirent leur nom de panneaux se déployant occasionnellement - rendant une série d’images plus précieuse qu’une seule, de la stéréoscopie qui permet d’apporter une dimension spatiale supplémentaire par la recomposition de deux images distinctes, de la chronophotographie qui apporte quand à elle une dimension temporelle à une image en compilant plusieurs prises de vue d’un même sujet, ou encore des photocollages recomposant un espace perçu par différents points de vue - tel les compositions photographiques de David Hockney ; toutes ces images multiples sont autant de potentialités de représentation construites et pensées pouvant s’opposer aux flux incontrôlés des innombrables images qui envahissent notre environnement.
Ce sont ces possibilités - connues mais minoritaires - des images que nous souhaitons expérimenter au cours de notre recherche sur la poly-image. Nous avons déjà entamé cette pratique à plusieurs reprises en faisant suite à notre désir de confronter images-fixes et images-mouvement. Notre pratique consiste à représenter des environnements par la photographie ou par la vidéo - et si possible en confrontant ces deux médiums.
Durant cette résidence notre sujet nous sera familier : l’espace social, c’est à dire l’espace qui nous entoure, entendu comme lieu des communs. Nous pouvons ainsi nous adapter à des environnement variés que nous pourrons explorer. Nous avons précédemment travaillé dans des quartiers d’habitation en Wallonie ou à Pékin, des zones désindustrialisés en Angleterre ou à Ivry-sur-Seine, et nous travaillons actuellement en milieu rural à Villarceaux dans le Val d’Oise. L’important sera pour nous de porter un regard sur l’espace du quotidien, tant lors de notre partie recherche que pour le travail avec les élèves.
Nous avons développé une pratique du polyptyque photographique permettant de composer une représentation de larges espaces en évitant de passer par des objectifs grands angles. Ces derniers ont en effet la caractéristique de courber les lignes de perspectives, rendant les photographies quelques peu incroyables, au sens propre du terme, car elles ne font pas échos à la perception humaine. Les polyptyques photographiques permettent au contraire de rendre compte des déplacements humains des regards et des corps dans l’espace. Et lorsqu’un corps se déplace dans l’espace représenté le polyptyque apporte également un repère temporel. L’idée de Jean-Luc Godard selon laquelle “la photographie c’est la vérité et le cinéma c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde” pourrait assez bien s’adapter au polyptyque photographique. Leur filiation avec la peinture polyptyque est aussi justifié car les différents panneaux représentaient anciennement des espaces et des temps distincts.
Cette construction - quelque peu complexe - des poly-images, nous souhaitons la développer davantage au moyen de techniques anté-numérique, avec la photographie argentique au premier plan. C’est ainsi que nous avons notamment expérimenté des triptyques de photographie argentique comme suite ininterrompue sur la pellicule, une suite de prises de vue pouvant être tirée sur une tireuse moyen-format. La stéréoscopie, longtemps considéré comme un gadget de foire, est remise au goût du jour avec le développement de la réalité virtuelle, et il nous semble intéressant de déployer aujourd’hui ses possibilités inexploitées en photographie d’auteur par l’usage de l’argentique.
Par delà la recherche expérimentale nous croyons la démarche propre à interroger les enfants sur la construction des images qui les entourent, sur leurs origines techniques, et l’occasion de les initier à une réelle pratique de l’image, et de la photographie en particulier. C’est pourquoi nous souhaitons déployer avec les élèves une véritable pratique de la photographie, expérimentale et didactique, par la découverte et l’usage du 35 mm, du sténopé, de l’anthotype et du stéréoscope.
Par delà l’exploration de leur espace quotidien et l’apprentissage des techniques de la photographie les élèves pourront expérimenter collectivement et de manière ludique la photographie par des jeux de prises de vue simultanées - tel les série de Barbara Probst. L’ensemble des expérimentations prendront corps en une édition construite collectivement par les élèves.
Par le(s) artiste(s)