Ce projet, à la fois de création, de recherche et d'expérimentation, souhaite interroger la figure de l'autre entendu comme l'humain différent de soi. Qui est l'autre ? Dans quel contexte la figure de l'autre se crée-t-elle ? Comment construit-on son identité en rapport, en opposition avec l'autre ? Dans cette dynamique relationnelle, l'autre sera interrogé comme non fixe, il peut devenir mon semblable selon la situation donnée. En se servant des écrits de Guattari autour de l'écosophie ou de Lévi-Strauss, nous appréhenderons donc l'autre comme une relation particulière impliquée dans un contexte social déterminé. Dans mon recueil Les os et, j'ai questionné la figure de l'autre au travers des personnes dites marginalisées. Dans ce projet, je propose de rejouer les étapes d'écriture qui l'ont engendrées. En dialogue avec les acteurs du projet, il faudra ainsi définir l'autre comme figure imaginaire (super-héros, fantôme, vampire…) ou comme figure réel (le jardinier, l'immigré, le passant…), analyser pourquoi notre groupe conçoit cet autre comme autre (différences/ressemblances) pour mettre à jour les constructions sociales sous-jacentes. Les participants seront ensuite amenés à écrire en contexte, c'est-à-dire, à produire une écriture matérielle qui naît d'une investigation, à mettre en jeu son corps dans l'écriture à travers la création sonore et à penser l'espace comme zone de création collective. Je ferais des liens en lisant notamment mes textes ou en faisant écouter mes créations poétiques et sonores entre ces trois étapes d'écriture et celles que j'ai expérimentées lors de la création de mon recueil de texte Les os et. Après chaque atelier, je produirai un texte symphonique qui recomposera dans un récit aux multiples voix les mots, les pensées, les corps en mouvement… de la séance. Au début de chaque atelier, je lirai (ou ferait lire à plusieurs voix) le texte produit pour relancer la machine à produire et ouvrir le débat.
Pour Baudelaire, la poésie de doit pas se concevoir comme un plongeon « au fond de l'inconnu » pour y trouver du nouveau mais comme un travail « du défini pour y trouver de l’inépuisable » . J'essayerai de le prendre aux mots. Dans cette idée d'un poésie qui met en forme le déjà existant, la pensée en train de se faire, je mettrai en place trois démarches d'écriture en lien avec la recherche-action-écriture que nous mènerons autour de la figure de l'autre avec les élèves.
1) Pour accompagner l'écriture des participants, je rejouerai les trois étapes d'écriture dont j'ai parlé précédemment (écriture d'investigation, écriture sonore, écriture pensée dans l'espace) qui m'ont permis d'écrire le recueil Les os et. Rejouer, c'est-à-dire que je sortirai brouillons, enregistrements sonores bancals, notes...pour leur donner une forme lisible et artistique intéressante.
Ce "reenactement" permettra aux participants de comprendre le fonctionnement d'une écriture et de voir ce qui est habituellement caché derrière l’œuvre publiée. En tant qu'artiste, il me permettra de penser l'écriture non comme un rendu mais comme un parcours (et de mettre à jour ces différents chemins) et d'essayer de rendre visible les liens entre les étapes d'écriture pour y construire un chemin de création à même d'intégrer le lecteur. J'envisage plutôt le rendu de cette création sous forme de grandes affiches exposées dans un espace à plusieurs dimensions. Le lecteur/spectateur suivra ainsi le chemin de création en même temps qu'il parcourera un espace physique. Cette création sera produite avant les moments de transmission avec les participants.
2) Après chaque atelier, je produirai un texte symphonique qui recomposera dans un récit aux multiples voix les mots, les pensées, les corps en mouvement… de la séance. Cette création qui s'inspire des oeuvres de Charles Pennequin et notamment du livre Classe de Blandine Keller, se veut foisonnement et vivant. Il s'agira de produire un espace d'écriture remplie de voix, de bruits et de mouvements des acteurs du projet en train de chercher. Cette zone d'écriture ne sera pas ponctuée et ne prendra pas les codes du théâtre ou dialogue : les voix s'entremêleront dans un même corps textuel. Ce texte sera écrit juste après les moments d'ateliers avec les élèves. Au début de chaque séance avec les participants, je lirai (ou ferai lire à plusieurs voix) le texte produit à partir des éléments de la séance précédente pour relancer la machine à écrire et ouvrir le débat.
3) Pour le moment de restitution, je produirai avec l'artiste sonore Nicolas Gombert, une trame sonore et poétique dans laquelle les élèves pourront s'intégrer. L'écriture sera ici sonore et rythmée et laissera la place à l'autre. Cette trame sera produite grâce à l'enregistrement sonore de paroles et de sons (notamment issus des instruments fabriqués par les élèves), le jeu de la pédale loop et des extraits lus ou performés du texte symphonique (cf point 2). S'y intégreront donc lors du moment de restitution, les textes lus et performés des participants.
JE DÉVELOPPE ICI LES ÉTAPES D'ATELIERS AVEC LES ÉLÈVES CAR, COMME ELLES REPRENNENT LES ÉTAPES DE DÉVELOPPEMENT D'UN PROJET D'ÉCRITURE QUE J'AI EXPÉRIMENTÉ ET QUE JE VAIS RÉACTIVER, ELLES FONT PARTIE, D'UNE MANIÈRE ESSENTIELLE, DE MON TRAVAIL D'ÉCRIVAIN.
Les participants seront amenés à passer par trois phases d'écriture qui reprennent en quelque sorte les étapes de création de mon recueil de textes poétiques Les os et.
1) Défricher : où est l'autre ?
PHASE DE « BRAINSTORMING » AUTOUR DE LA NOTION D'ALTÉRITÉ
Pour réfléchir à la problématique identité/altérité, plusieurs propositions d'écriture seront mise en place comme des listes géantes, des cadres d'écriture à deux mains ou en groupe plus large (pour intégrer l'idée d'altérité dans l'écriture), des cadres d'écriture médiée (parler de soi à travers un objet personnel, parler de l'autre à travers son objet personnel)…Différentes pratiques dont je me sers pour écrire seule ou à plusieurs et que je mets en place dans le cadre de l'animation d'ateliers d'écriture.
Je développerai ici deux idées de lecture/écriture qui permettent de penser l'altérité.
Être critique littéraire : jouer avec l'affichage
Sélectionner un extrait parmi des textes portant sur l'idée d'altérité/d'identité, en faire une affiche. Les participants seront ensuite amenés à fixer un mot, qui pour eux, représente le texte à côté des affiches.
L'horoscope factice
distribution aux participants de leur horoscope hebdomadaire
lecture individuelle et remplissage d'une fiche qui détermine si l'horoscope correspond bien à la personne en question
échange avec un autre participant : constatation de la similarité des horoscopes
discussion autour de l'horoscope : comment se fait-il que chacun puisse se retrouver dans un horoscope qui est commun à tous ?
= réflexion autour des points communs, de l'interprétation que l'on fait d'un texte pour pouvoir s'identifier, de l'identification à une étiquette que l'on nous a attribuée (capricorne, mauvais élève, chanceux…)
reprise des termes de l'horoscope : chacun peut expliquer pourquoi il se retrouve derrière un mot
réflexion autour des mots généraux (confiance, intuition…), de la multiplicité des critères qui fait de nous une personne unique
Dessiner et décrire le visage de l'autre
distribution aux participants d'un extrait de roman décrivant un visage (un texte différent par participant)
lecture du texte par le participant, les autres essayent de dessiner le visage décrit
discussion/réflexion autour des différences entre les dessins représentant le même personnage (imaginaire différent, sélection des informations, tracé...) bien que la description soit précise
échange des dessins entre participants
chacun choisit un dessin et le décrit en reprenant éventuellement des mots des textes lus
lecture des textes
DÉFINIR LA FIGURE DE L'AUTRE
Suite à la première phase d'exploration, l'objet de la création sera choisi ensemble : l'autre pourra être un groupe social imaginaire ou réel. En dialogue avec les acteurs du projet, cette figure de l'altérité pourra être abordée par des moments d'exploration sur le terrain ou/et via différents documents. Par exemple, si la figure du super-héros est choisie, on pourra se rendre à la cité des sciences, nous interroger sur l'homme cybernétique, interviewer des scientifiques ou des philosophes. Ce deuxième moment sera donc celui de la réflexion autour d'un objet maintenant déterminé, d'exploration, de collecte de données, de prise de contacts, d'entretiens...
interview radiophonique
Un des moyens d'obtenir des informations sur l'autre choisi sera l'interview radiophonique. Selon le choix de l'objet, elle pourra être factice (entre participants) ou réelle. Pour ce faire, je me servirai de mon expérience dans le cadre d'un projet radio autour de l'interview-portrait que j'avais mené avec mes élèves de 4ème à Villetaneuse l'année dernière en tant que professeur de français contractuel et de ma pratique d'animatrice radiophonique pour la radio associative de l'université de Paris 8.
Écriture du texte-vague
Cette phase sera mise en relation avec le travail de collectes de données des écrivains réalistes du 19 ème siècle mais aussi avec celui des écrivains contemporains qui ont fait le choix d'une écriture documentaire (Olivia Rosenthal, Sylvain Pattieu…). Il serait intéressant d'inviter ces écrivains pour nourrir notre propos.
J'intégrerai dans le cours de la réflexion, des éléments sur ma manière de mettre en place une phase d'écriture. Je prendrai comme exemple, ma nouvelle Cadence coraesque pour laquelle j'ai fait le choix d'un travail d'investigation, de rencontres, de notes de terrains dans une zone périurbaine de Forbach, auprès des personnes à la marge (que cette situation soit subie ou non). Ce texte réaliste, écrit à partir de notes de terrain, a été une première étape de travail, qui a permis de forger une écriture moins contextuelle mais nourrie d'une investigation-rencontres avec des personnes à la marge.
Calvados
Par le(s) artiste(s)