Les fêtes populaires telles que les parades, les carnavals, les conventions ou les défilés permettent d’envahir ponctuellement l’espace public et dès lors de s’affranchir des règles et de mettre au défi les règles de la vie sociale. Dans une société où les limites se négocient en permanence, qu’est ce que ces rassemblements disent de nos identités individuelles et collectives ? Le projet explore le thème de la « parade », notamment dans le département du Pas-de-Calais où il constitue un pilier du folklore et de l’histoire festive. Sont misent en valeur les différentes figures qui paradent, transgressent, inversent, rejouent ou parodient l’ordinaire. Chacun.e est amené à se réinventer au travers d'un avatar, et fabriquera une nouvelle peau en forme de cape. Se glisser dans cette mue pour devenir autre. Puiser à la fois dans ses ancrages, ses folklores qui s’hybrident pour se rejouer le temps d’une parade. On défile, on porte nos valeurs, nos désirs et nos imaginaires singuliers. On dis-parade !
La question de la contrainte et la liberté animent mes recherches. Où s’invente la liberté dans un espace public de plus en plus contrôlé ? Comment échappe-t-on à l’ordinaire dans des espaces délaissés ? Les espaces périphériques, marginalisés et les communautés qui y sont liés sont des points de départ pour un travail de recherche et de rencontre au contact. Plutôt que d’avoir une approche documentaire, je préfère y poser un regard flirtant entre la dimension poétique et la réalité politique, pour en saisir une approche sensible. Il en résulte des installations, des sculptures, des dessins où plutôt que d’y représenter l’humain, des objets sont "mis en scènes" car ils rendent compte de nos comportements .
Le travail de création et de recherche pour Création en Cours sera abordé de cette façon. Il prolongera des questions soulevés en 2018 résidence à Charleroi sur l’articulation entre le passé industriel de la ville et l’histoire des « fêtes libres ».
«Il y a dans une fête comme dans une création artistique quelque chose qui n'est pas un moyen, mais qui se suffit à soi-même : la découverte de possibilités, l'invention de rencontres, l'expérience de ces départs « ailleurs », faute desquels l'air n'est pas respirable et le sérieux n'est qu'ennui dans une société.»
Michel De Certeau, La Culture au Pluriel, 1993
Les défilés et les parades sont des moyens d’expression d’une créativité populaire à explorer dans le Pas de Calais, un département traversé par une histoire industrielle et ouvrière dont le paysage porte encore les traces. Les terrains à explorer pour réaliser le projet de création sont liés à celle-ci.
Le projet de création réunit ces propre aux folklores, aux traditions et aux savoirs-faire.
Il s’agit de travailler un partenariat avec une usine de fabrication de dentelle pour faire tisser un voile selon des motifs traditionnels. La dentelle tissé sur métier "Leavers" est spécifique à la ville de Calais. C'est l'activité industrielle qui a permit l'expansion croissante de la ville au XIXème et dont la délocalisation progressive relate d'une histoire similaire à plusieurs villes du Nord. Il ne reste aujourd'hui qu'une seule usine encore en activité à Calais.
Tisser un voile de dentelle à l'échelle d'une voiture de tuning.
Le voile de dentelle revêtit un double usage symbolique : il ornemente la mariée, atteste de sa virginité tout en la protégeant des regards. Il cache tout en dévoilant.
La pratique du tuning, sera prise ici comme une culture à part entière. Tenter de poser un regard différent, et de sortir de la stigmatisation habituelle des personnes qui la portent, souvent issues d'un milieu rural ou péri-urbain.
Considéré que le tuning relève d'une forme de fierté. Celle des tuners à présenter, à faire "démo" et à mettre en scène leurs voitures le temps d'un meeting. Ces véhicules modifiés sont l'expression de leur virtuosité, d'une intelligence de la main, d'un travail obstiné et poursuivi sur 10 à parfois 20 ans, ils sont acharnés jusqu'aux moindres détails. Il est facile d'y poser un jugement esthétique sur l'aspect kitch dont peuvent relever certaines de ces créations. J'observe cette tendance facile et journalistique comme la manifestation d'un mépris de classe, et loin de moi l'idée de venir porter un jugement sur le tuning, mais plus de m'en rapprocher avec le même sérieux que les personnes qui le pratique. D'observer, d'écouter et de tenter de comprendre ce qui peut animer les personnes qui partagent cette passion.
Je me demande aussi, en quoi cette pratique pourrait témoigner d'une mémoire liée à une culture ouvrière forte. Quels seraient ou non les liens au passé industriel du territoire du Pas-de-Calais, et du Nord. Face à l'histoire de sa désindustrialisation, le tuning pourrait il être vu comme une trace de celle-ci ?
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La transmission en partenariat avec l’école prolonge ces questions relatives à la parade, à l’inversion des codes et la réinvention de soi dans une pratique collective. « Praxis égale poiésis. Créer, c’est se créer » selon Nicolas Bourriaud. Nous suivrons cette idée : se réinventer dans la création. Notre fil rouge sera le thème de la voiture et des imaginaires liés à celle-ci. Partir d'un objet standardisé, pour avec le temps y exprimer une part de soi et de créativité personnelle, sans la recherche d'une expression seulement esthétique. Durant les ateliers de transmission, j'envisage de présenter l’évolution de mes recherches au sein du territoire. Il me semble important que tous les axes de travail soient liés entre eux. Inviter d'autres artistes plasticiens à présenter leur pratique et participer à certaines séances de travail est envisagé, pour apporter d'autres regards et de la vitalité à ces temps.
PARADES ! DIS-PARADES ! est un projet où recherche, création et transmission s’articulent autour de cette idée que le désir d’expression de nos individualités s’opère dans la jouissance collective. Que chacun•e puisse explorer son identité. À cet âge charnière entre enfance et adolescence où les prémisses de la quête de soi se font. En quoi la logique participative de nos pluralités peut engendrer une mise en commun et du collectif ? Suite à deux années compliquées, notamment dans le rythme scolaire, il me parait essentiel dans le contexte actuel de développer un projet convivial, généreux et qui met en valeur la notion de collectif et de partage.
Par le(s) artiste(s)