«Œuvrer son cri» est un spectacle écrit collectivement où il est question de l'occupation d'un théâtre par des artistes. Celui-ci est fermé depuis quelques mois et va être détruit pour y construire un parking souterrain. Ces artistes ont décidé de se réapproprier leur outil de travail et d'y répéter un spectacle-documentaire sur d'anciennes occupations de théâtres qui ont eût lieu par le passé.
Avec les enfants il s'agira de créer un spectacle parallèle sur une thématique commune, celle de la zone à défendre et de l'utopie, selon les mêmes procédés d'écriture et de recherche ( adaptés évidemment ). Des écolier·e·s occuperont ce qui pourrait être apparenté à leur lieu de travail, l'école, menacée de fermeture et de destruction. Le spectacle aura pour centre le regard qu'iels portent sur « le monde des adultes » et la création de leur monde idéal. Ce sera un spectacle fait par des enfants mais pour des adultes qui seront invité.e.s à venir découvrir un monde sans-doute insoupçonné.
Le Théâtre est le lieu où travaillent des comédien·ne·s, scénographes, metteur·euse·s en scène, éclairagistes, costumier·ère·s, administrateur·rice·s, concepteur·rice·s sonore, régisseur·euse·s etc … Comme certains lieux de travail, il est arrivé par le passé que des travailleur·euse·s décident de l'occuper pendant des mouvements sociaux.
Dans «Œuvrer son cri », un groupe d'artistes, occupe son lieu de travail, un théâtre. Celui-ci est fermé depuis maintenant quelques mois et va être détruit d’un moment à l’autre pour faire place à un parking souterrain. Après avoir pris possession des lieux, entre l’invention de leur quotidien partagé et la mise en oeuvre de leur projet d’occupation, iels décident de faire ce qu’il savent le mieux faire, du théâtre. Saisis par le réel envahissant du combat qu’iels sont en train de mener et après en avoir débattu, iels s’engagent dans les répétitions d’une pièce de théâtre documentaire sur d'anciennes occupations de théâtre et sur les combats de chacune d'entre-elles.
En Mai 68, le Théâtre de l'Odéon est occupé par des étudiant·e·s mais également par des artistes et technicien·ne·s qui souhaitent se réapproprier un lieu qu'iels qualifient de «lieu de la culture bourgeoise» et dans lequel iels ne se reconnaissent pas forcément. En 2013, l'ancien Théâtre de la Place de Liège est occupé par des étudiant·e·s comédien·ne·s, vite rejoint·e·s en nombre, et devient le TALP (Théâtre à La Place) pendant presque un an. Ce lieu devait être détruit et la mairie n'avait pas de nouveau projet. De 2014 à 2017, le Théâtre Valle de Rome est occupé par de nombreux·ses artistes qui luttent contre la privatisation de ce lieu emblématique de la ville. Bien que chacun de ces événements ait un historique bien singulier, lors de ces occupations, parfois le travail a continué différemment, parfois l’activité s’est arrêtée temporairement afin d'inventer autre chose. Ces lieux ont pris alors une autre fonction et ont transformé par exemple leurs murs en salle de réunion pour accueillir des assemblées générales ou encore en habitat pour loger celleux qui en ont besoin.
Dans notre fiction, 5 comédien·ne·s et leurs complices technicien·ne·s, pendant six jours, essaient de construire ce projet théâtral devant nos yeux. Iels s'essaient à dire des paroles qui ne sont pas les leurs, iels cherchent comment traduire théâtralement tout cet héritage, tentent plusieurs manières d'occuper l'espace, d'éclairer la scène ou encore de se costumer. Iels naviguent à vue entre différents codes théâtraux afin de trouver l’endroit le plus juste pour s’emparer de ce sujet. Nous sommes témoins de leur laboratoire.
Le contexte de ces répétitions est très important puisqu'il s'agit d'une occupation de théâtre, donc d’une action politique. L'occupation en elle-même et le fait d'en faire théâtre s'influencent l'un l'autre perpétuellement. Les artistes sont évidemment modifié.es par toute la documentation qu'iels amassent et les questionnements qui se posent à elleux dans leur travail mais iels sont aussi transformé·e·s par leur vie quotidienne qui est bousculée. Individuellement et collectivement, iels font l'expérience du bouleversement de leurs habitudes, de l'arrêt de quelque chose, du renoncement, mais aussi de l'élaboration collective de nouvelles règles, du changement de la perception de l'autre, de l'imagination de nouveaux mondes possibles, d'un nouveau rapport à leur existence et à leurs contradictions les plus sombres parfois. Certain·e·s s'adaptent plus facilement que d'autres, certain·e·s n'y arriveront peut être pas, certain·e·s apprennent, se forment au contact de leurs camarades ou à travers les actes que d'autres ont accompli par le passé, mais tous·tes essaient de regarder où iels en sont de leur engagement et de réveiller leurs forces créatrices et leurs imaginaires.
Au bout de quelques jours, les pistes se brouillent. Les différentes temporalités, les comédien·ne·s et les personnages, la fiction et le réel, tout cohabite et se fait écho et quand vient le sixième jour de leur occupation l'heure est à l'affrontement avec les forces de l'ordre comme un brutal retour à la réalité qu'iels avaient alors interrompue.
L’idée n’est évidemment pas de faire un spectacle sur les artistes pour les artistes. Mais c’est en parlant à partir de ce que nous connaissons bien, et en interrogeant la fonction du théâtre dans la société, dans la vie de celles et ceux qui le pratiquent mais surtout au moment même où il se fabrique, que nous pensons que ce projet peut parler universellement à tous·tes et de tous·tes. En faisant théâtre des contradictions de nos métiers, de nos interrogations quant à leur nécessité, et de nos réflexions quant aux moyens de lier ou non l'art et l'action politique, le théâtre devient alors un moyen évident pour parler plus largement du rapport intime de chacun·e à son désir de cohérence et à ses inquiétudes politiques mais aussi du fait que certain·e·s actions politiques peuvent venir bouleverser nos vies et enfin nous poser la question de jusqu'où nous sommes prêt·e·s à aller pour quelque chose que l'on croit juste.
Ces dernières années, j’ai la sensation que le milieu culturel a mis beaucoup de temps à s’insérer dans certaines luttes, luttes qui le concernaient aussi pour la plupart, comme si nous étions toujours à part — dans une culpabilité d'être déjà trop privilégié·e·s ou encore dans l’illusion arrogante d’être au-dessus d’un système auquel nous sommes pourtant si étroitement lié·e·s. Être intermittent du spectacle, c'est dépendre d’un système d'assurance chômage spécifique. Travailler dans le spectacle vivant ce sont des temporalités particulières, c’est un rapport au quotidien qui diffère d’autres activités salariales, c’est souvent une recherche d'émancipation face à une certaine norme et des formes d’appréhension du travail qui tentent de se réinventer sans cesse, c'est être soumis·es à des conditions financières particulières pour chacun·e et pour chaque projet, avec parfois un salaire — et parfois pas — pour le travail qui a été accompli. Mais c'est aussi exercer des métiers qui se rapprochent de nombreux autres métiers par beaucoup d'aspects. Nous n'échappons pas à nos inconséquences, à la concurrence, aux rapports de classes, aux luttes internes, aux effets de certaines décisions politiques, aux désastres causés par le libéralisme exacerbé de nos sociétés contemporaines. Il est trop simple de dire que notre militantisme trouve sa place dans notre art et pas assez satisfaisant de se résoudre à les distinguer. Je souhaiterais essayer d'habiter cet écart, cet endroit de « l'entre » et partager ce questionnement. Plus largement, cela pose la question de comment je peux remettre du politique dans ma vie sans que la vie ne soit absorbée par le seul militantisme.