D’un côté une claveciniste. De l’autre un jongleur et compositeur de musique contemporaine. Cette rencontre fait naître l’envie d’un travail particulier : un objet scénique jonglé sur des pièces baroques. Après avoir élaboré une manière de jongler dont l’enjeu est centré sur la clarté des formes, nous voulons poser par touches, du jonglage sur des sonates de Domenico Scarlatti pour en révéler certaines morphologies qui nous semblent clés pour accéder à l’œuvre. Ce type d’objet spectaculaire peut avoir les qualités d’une analyse sans son aspect scolaire. Ces sonates sont fascinantes de singularité, elles se prêtent à un traitement anachronique. Nous voulons en quelque sorte faire écouter en faisant voir.
Le jonglage que nous avons élaboré se donne à l’oeil simplement. L’épure des lignes, la clarté des formes et des périodes, sont privilégiés à la multiplication des figures ou à la recherche d’une perte de repères, d’un vertige chez le spectateur. La virtuosité se déplace, le spectateur s’étonnera plus de l’indépendance de l’objet ou du tracé plat d’une balle, que du nombre d’objets simultanément en l’air. La complexité ne se voit pas, c’est l’affaire du jongleur qui tente au contraire de donner à voir quelque chose qui est sinon simple, du moins clair. Cette manière de jongler est le fruit d’un travail de longue haleine entrepris dans la pièce Pan-Pot en trio, portée par le Collectif Petit Travers et développée avec Julien Clément pour le jonglage solo. C’est un jonglage graphique, rythmique qui place son centre de gravité sur la temporalité propre d’une balle en tentant d’assujettir le corps à l’objet. Domenico Scarlatti fascine. Les supposées 555 sonates nées sous sa plume en font un mythe. Mythe appuyé par la singularité de son œuvre. Sa musique est pleine d’influences de ses nombreux voyages. Elle est contrastée voire tranchée, colorée, ludique tout en étant très claire et structurée, souvent autour d’une idée unificatrice. Le musicien semble s’adonner à des jeux de composition qu’il nous livre comme s’il les jouait devant nous. Il manipule notre écoute en structurant la temporalité, précurseur en cela des compositeurs classiques. Mais pour qui n’a pas le bagage culturel d’un musicien, accéder à ces repères et à cette sensualité demande d’être légèrement guidé. C’est là que la rencontre de l’œuvre de Scarlatti et du jonglage dont nous avons tenté de donner une idée, nous parait pertinente. Le regard est facile à diriger, plus facile que l’écoute. Nous voulons poser par touches, du jonglage sur cette musique pour en révéler certaines structures, certaines morphologies, qui nous semblent clefs pour accéder à l’œuvre. Nous voulons en quelques sortes faire écouter en faisant voir. Nous pensons que ce type d’objet spectaculaire peut avoir les qualités d’une analyse sans son aspect scolaire et sans sa mise en mots. Un exemple simple. Une phrase musicale identique apparait deux fois sans être résolue; la troisième fois, le compositeur la résout. Symétriquement, une balle rate la main immobile qui l’attend à deux reprises, et la rencontre à la troisième occurrence. La musique devient évidente. Nous voulions un dispositif souple et léger, qui puisse être joué presque n’importe où, avec lequel nous puissions être indépendants. Que l’on puisse aussi jouer partiellement sans que l’intérêt s’en trouve amoindri. L’attractivité de la forme du « concert classique » étant en déclin, nous cherchions aussi un moyen d’élaborer un travail exigeant qui puisse concerner très largement, y compris les enfants. Ce projet offre une porte d’entrée inhabituelle qui a un double avantage faire entendre finement de la musique. faire découvrir une discipline nouvelle (le type de jonglage sollicité diffère beaucoup du jonglage traditionnel). Nous voulions pour finir une forme théâtrale où les corps ne sont que des vecteurs de leur médium, clavecin et jonglage avec des balles, où les présences sont fortes par leur simplicité. Dans un cadre scolaire, nous pensons qu’un clavecin rouge et des points extrêmement blancs qui se détachent du fond constitue un cadre scénique de nature à intéresser à centrer l’attention et donc propice à une écoute guidée. La rencontre et les échanges qui sont les nôtres brassent de nombreuses influences. Le parcours centré sur les musiques anciennes de Mathilde, celui ciblé sur les musiques contemporaines de Denis, nous incitent à questionner nos disciplines pour tendre vers des formes qui construisent des ponts entres des époques lointaines et des disciplines bien différentes.
Allier
Par le(s) artiste(s)
Par les participants