"Mémoires Vives" est une invitation à la rencontre et à la mise en récit de souvenirs, de vies et de voyages. Comment explorer son entourage et son environnement avec un regard nouveau pour en extraire des récits, des paysages, des objets et des visages. Archéologie sensible et sensorielle, "Mémoires Vives" propose aux enfants de s’initier à une démarche artistique dans la transmission de vécus et d’histoires, dans l’échange et le partage, en créant des moments singuliers autour de personnes et de lieux qui ont beaucoup à raconter. Il est question d’approcher les notions de la famille, de l’identité, des liens intergénérationnels et du langage par le biais de la mise en regard de captations plurielles (visuelles, sonores, écrites) de rencontres et des récits qui en émergeront, de recherches autour du livre, de la création d'un objet éditorial évolutif et de la réalisation d'une installation éphémère lors d'un chantier collectif, festif et participatif.
ÉCLOSION, le contexte
Ce projet prend ses origines dans une réflexion personnelle et sensible autour de ces thématiques que sont la famille, l’identité, les liens intergénérationnels et le langage.
Ma famille maternelle, originaire du Cap Vert, a émigré en France dans les années 70. Installée en banlieue parisienne, c'est dans ce contexte géographique et sociale que j'ai grandi et que je me suis construite, face à ces origines dont je ne connaissais rien, ni la langue, ni la culture, ni les paysages.
Ma grand-mère a toujours été une énigme dont le passé et la vie me fascinaient sans que des mots ou des souvenirs ne soient évoqués, par pudeur, par retenue, par soucis d'intégration. Mon enfance a été bercée de notes, de mélodies lointaines, de sonorités inconnues, d'images de visages, de mots dont je ne comprenais pas le sens mais qui faisaient partie intégrante de mon quotidien. En décembre 2017, pour la première fois, je suis allée à la découverte et à la rencontre de ce pays que j'avais tant imaginé, que j'avais tant fantasmé et qui a toujours été là, qui m'a accompagné si longtemps sans se montrer, sans s'imposer. Ce voyage, que l'on peut qualifier d'initiatique, a été pour moi comme une seconde naissance, une naissance dans cette autre partie de moi et de ma vie qui m'était jusqu'alors étrangère. Il s'est imposé à moi une sorte d'urgence, une soif de découverte, d'apprentissage, d'échange avec ces paysages, ces personnes, ces mots, ses couleurs, ces lumières et tout ce qui pouvait me lier à cette terre et à cette famille dont je ne connaissais quasiment rien. Une urgence d'affirmer ses origines, une urgence de mettre en lumière ces vies et leurs histoires, une urgence de se connecter à une réalité jusqu'à présent silencieuse.
EXPLORATION, la démarche
- La récolte -
J'ai commencé pendant ce voyage par écouter. Ecouter ce que ma grand-mère voulait me raconter, ses souvenirs, parfois flous, parfois plus vivants que jamais, sur son père, sur cette montagne qu'elle connait par cœur, sur cette sœur qui n'est plus là, sur cette plage qu'elle ne veut pas fouler, sur cette maison dans laquelle elle est née et dans laquelle elle a grandi, sur ce petit garçon qui la suivait quand elle allait au marché et avec qui, des années plus tard, elle aura un enfant, ma mère. Ecouter Patricio, Vula, Ti Jo évoquer leur enfance, leurs rencontres. Et surtout Patricio, qui deux heures durant, a entreprit de noter, dans mon carnet tous les membres de la famille depuis les arrières grands parents.
Une récolte inestimable de récits, de visages, de noms, de voyages.
Une récolte aussi pour moi, de mots, de dessins, en des échanges à la fois silencieux et bruyants de couleurs, avec Yorran, 6 ans. La barrière de la langue est si facile à oublier avec les enfants.
Une récolte de photographies de ce que j'ai vu, des images qui deviennent floues trop vite et que je ne voulais pas voir s'évaporer à mon retour.
Une récolte sensorielle et impalpable de couleurs, de lumière, de regards, une immersion sensible.
Au cours de cette exploration ont déjà commencé à émerger des idées de récits, des envies de traduire graphiquement ces histoires pour en garder une trace mais aussi pour les intégrer, leur donner corps, leur redonner vie et les partager. Des envies de mettre en image, en objet et en espace, nourries de ces nouveaux décors et de confronter aussi les deux parties qui me composent et qui ensemble créent une nouvelle entité.
- L'extraction -
A mon retour, j'ai commencé un travail de recherches en me basant sur les éléments collectés. Différentes pistes, différents axes, différents angles de regard.
Ces recherches sont encore en cours aujourd'hui, et sont le noyau central de ce projet.
Un premier travail autour de la famille est entamé, un arbre généalogique, une investigation plus poussée auprès de ma mère surtout pour mettre des noms sur des visages ou des visages sur des noms, comprendre des liens familiaux et découvrir aussi tout simplement cette gigantesque famille, que l'on retrouve à travers le monde, ces différents parcours de vies, ces personnages anonymes qui étaient restés presque fictifs et qui ont à présent un nom et parfois un visage. Visages que je redessine s'ils sont connus, visages que j'imagine et que j'invente si je ne les ai jamais vu. En partant de ce que l'on me raconte de ces personnes, de leur caractère, de ce que les gens retiennent d'elles, je leur fabrique un visage fictif. Je crée une histoire parallèle, autre, inspirée du réel mais nourrie de ces images et de mon imaginaire.
Un travail aussi de dessins, des portraits, des environnements, des couleurs, comme pour se replonger dans ces moments passés, se les réapproprier, les absorber à nouveau d'une manière différente, les donner à lire et à voir. C'est ici un exercice de mise en relation de corps avec leur contexte et de mise en lumière de la manière dont ils interagissent. Comment vivre un espace, comment s'y adapte-t-on et surtout, qu'est-ce que cet environnement familier raconte de nous.
Et pour terminer, un travail de mise en regard. Faire dialoguer, faire correspondre des souvenirs d'instants, de gestes, de lieux, de rencontres, de personnes. Mettre en parallèle mes souvenirs de ce voyage, mon expérience sensorielle et les souvenirs de ces vies, de ces personnes et de leurs histoires. Comme un prolongement réflexif de la découverte, l'amorce d'une histoire qui va au-delà d'un travail introspectif et qui donne à lire un cheminement d'idées à réinterpréter, qui crée une narration par une simple dualité d'images et qui par ce biais, transporte le regard et l'esprit dans une histoire que l'on se construit.
DISPERSION, le partage
Ces recherches me mèneront à la création d'un objet à l'intersection du livre, de l'installation et de l'estampe. Je l'imagine comme une entité mouvante et évolutive qui sera à la fois un récit de voyage, une série de portraits et une narration oscillant entre fiction et réalité autour de la vie d'un personnage inspiré de ma grand-mère. Cet objet pourra revêtir diverses formes, qui s'adapteront aux besoins de lectures des différentes parties et qui permettront de les articuler entre elles. L'idée est que le lecteur soit amené à explorer cet objet comme j'ai moi même exploré ces paysages. Qu'il puisse, au travers de la forme, se projeter dans des récits, imaginer des histoires, apercevoir des paysages qu'il ne connaît pas, en inventer de nouveaux. Qu'il puisse recomposer des morceaux de vies, associer des visages et des mots.
Ce projet est à la fois une recherche très personnelle de mes origines, mais aussi une approche très concrète de ces questions de l'identité, de la culture, de la migration qui sont au cœur des débats politiques actuels et qui poussent à un questionnement actif permanent. A mon sens, l'art permet de toucher du doigt ces réflexions et ces enjeux, en remettant l'humain sur le devant de la scène, en recréant des liens qui se brisent de plus en plus, en insufflant du sensible, de l'échange, du partage, en permettant de se rencontrer ensemble autour d'idées simples, essentielles qui nous concernent et qui nous touchent tous.
C'est cette dimension là qui fait sens dans ce projet et c'est de cela qu'il sera question durant les temps de rencontre et de création avec les enfants.
Par le(s) artiste(s)