Lors de son arrivée à Londres et avec les confinements successifs, Anastasia a rapidement ressenti le mal du pays. Originaire d’Arles dans le sud de la France, elle a donc décidé de travailler sur les traditions, l'artisanat et la culture de la mer Méditerranée. Elle relie sa pratique artistique, basée sur l’artisanat et la matérialité, à ses origines et ses souvenirs d’enfance afin de parler d’héritage et de patrimoine. Mais ce qui devait être une quête pour le réconfort est devenu une prise de conscience de l'inconfort et de la tristesse qui émanaient de certaines histoires, notamment liées à l’immigration. Parler d'«histoire de l'immigration», c'est parler de l'histoire de la population dans son ensemble. Elle souhaite donc à travers ce temps de transmission faire découvrir aux enfants de d'Île-de-France, l’histoire de l’artisanat de leur région en créant des ateliers permettant d’expérimenter ces techniques, menant à la création de nouveaux objets et idées pour un monde futur.
Ce projet a débuté sans même que je ne le sache, lors de mon arrivée à Londres en septembre 2019. J’ai pris la décision de déménager à Londres afin de poursuivre mes études au Royal College of Art. J’étais graphiste et directrice artistique à cette époque, mais j’avais besoin de m’épanouir et de développer ma propre pratique artistique. Quand je suis arrivé à Londres, je ne pensais pas que j'aurais autant de mal à redécouvrir un sentiment d'appartenance. Et d’autant plus pendant le confinement, je me suis retrouvé à fouiller dans mes souvenirs d'enfance afin de me sentir réconfortée, souhaitant être de retour dans ma ville natale. J'avais perdu mon confort et j'étais coincée dans cette solitude. À ma propre échelle, je me sentais comme en exile.
Je suis originaire d'Arles dans le sud-est de la France, j'ai donc décidé de travailler sur les traditions, l'artisanat et la culture de la mer Méditerranée. C'était intéressant pour moi de relier ma pratique, basée sur l’artisanat et la matérialité, à mes origines et mes souvenirs d'enfance afin de parler d'héritage et de patrimoine. J'ai donc commencé à faire des recherches et à en apprendre davantage sur les techniques artisanales traditionnelles de ma région, leur histoire et leur évolution. J'ai d'abord essayé de maîtriser certaines de ces techniques comme la poterie, le boutis (technique de matelassage traditionnelle provençale) et la broderie. Et puis, j'ai commencé à y appliquer certains de mes souvenirs personnels en utilisant un vocabulaire graphique plus contemporain. J'ai essayé de mélanger des formes et techniques historiques à un language et des signes plus contemporains. Ces techniques artisanales me permettent de renouer avec le passé tout en amorçant une transformation vers de nouvelles formes de pratique. Je voulais explorer la culture matérielle à travers la création d’une archive personnelle afin de montrer la relation entre les gens et les choses qui nous entourent. J'ai toujours été très intéressée par les objets et la valeur qu'ils peuvent avoir pour quelqu'un. Chaque partie de ces expérimentations est un souvenir, une technique, un artisanat traditionnel, chaque partie est un morceau de l’histoire de ma région et constitue mon héritage.
Mais ce qui devait être une quête pour le réconfort et les souvenirs est devenu une lente prise de conscience de l'inconfort et de la tristesse qui émanaient de certaines histoires, notamment liées à l’immigration. À travers des interviews, j’ai rencontré virtuellement différents artisans et acteurs du monde artisanal de ma région. Ces rencontres m’ont permis de récolter des histoires, des conseils et des expériences pour enrichir mon travail et m'immerger dans ces techniques traditionnelles. Mais j'ai trouvé des témoignages tristes et choquants qui m'ont fait réaliser que je devais faire quelque chose. J'ai réalisé que la vision que j'avais et les histoires que l'on m'avait racontées sur ma région et mon pays n'étaient qu'à moitié vraies, certaines parties étaient manquantes. Je me suis rendu compte à quel point mon héritage était lié à l’immigration dans ma région. Marseille est la deuxième ville de France et, avec sa population multiculturelle, je pense qu'elle peut avoir la responsabilité pour le reste de la France de parler de manière progressiste de la migration, des échanges, du partage de cultures et de patrimoine. La migration ne concerne pas uniquement les quartiers dits «prioritaires», les migrants ou les personnes d'origine immigrée. L'histoire et la mémoire des immigrés concernent et intéressent toute la ville par rapport à une histoire commune. Parler d '«histoire de l'immigration», c'est parler de l'histoire de la population dans son ensemble. Mais l'histoire des migrations dans ma région est à la fois bien connue et peu revendiquée. Marseille s'est construite grâce au flux et au reflux des vagues migratoires qui ont nourri sa population. Cependant, dans la ville, il y a peu de traces réelles de ces vagues successives. Comme si l'intégration à la ville, à la communauté nationale, rendait nécessaire l'effacement du passage de ses personnes. Les grands bidonvilles qui ont persisté longtemps avant d'être remplacés par des logements sociaux n'ont laissé aucune trace. Pas même une plaque commémorative n'est vissée au pied des blocs.
Je ne suis pas historienne, alors j'ai décidé de commencer cette recherche par quelque chose que je connais: l'artisanat. L’artisanat peut être un outil puissant et je pense que c’est ici un point de départ intéressant. En effet, la migration a été un point clé dans l'histoire de l'artisanat français et certaines personnes ont pu m’en apprendre plus par rapport à cela. Les tissus provençaux ont été à l'origine importés d’Inde (échanges avec un des employés de l’entreprise Souleiado), les techniques de poterie et de céramique ont été héritées des Grecs et Romains (Musée de l’Arles Antique), la technique traditionnelle de fabrication du savon de Marseille trouve ses origines dans le savon d'Alep en Syrie (travaux de recherche et échanges avec l’artiste Sara Ouhaddou), beaucoup de plats traditionnels ou même de mots sont inspirés des pays d'Afrique du Nord comme l'Algérie ou le Maroc (le couscous de mon grand-père né au Maroc était un régal !). La migration est clairement une grande partie de notre richesse culturelle et en tant qu’artiste française, je pense qu'il est de mon devoir de la mettre en lumière et d'essayer de trouver et de montrer ces parties manquantes. Je veux raconter une histoire plus large, celle de la migration à travers l'histoire et l'artisanat français.
Je veux que ce projet fonctionne comme le récit d'un lieu et une mise en valeur du patrimoine local qui agisse comme une tentative d'inscrire l'histoire de la migration dans le patrimoine national. C’est pourquoi j’essaye d'entrer en contact avec certaines organisations et associations travaillant sur ces sujets comme le MUCEM à Marseille ou l’association Ancrages. Je pense que cette résidence serait le cadre idéal afin de pouvoir poursuivre mes recherches dans les meilleures conditions. Je suis également très intéressée par l’espace de transmission que vous proposez. En effet, j’aimerais avoir la chance d’échanger avec les enfants sur l'histoire migratoire de leur ville, de leur région, afin de leur faire découvrir ces traditions mais surtout leur histoire. Mon idée serait de mettre en place un temps d’échange où l’on pourrait partir à la rencontre de certains artisans afin d’en apprendre plus sur leurs métiers. La seconde étape serait d’explorer les connaissances, les techniques et l’histoire de ces artisans, en créant des ateliers permettant d’expérimenter ces techniques, menant à la création de nouveaux objets et idées pour un monde futur.
N.B: Même si mes premières recherches se concentrent sur la région PACA, je pense qu’il peut être très intéressant de les développer dans d’autres régions, notamment en Ile de France.
Par le(s) artiste(s)