Ce projet Les Oubliées des Cellules est à la fois artistique et humanitaire et veut porter la voix, raconter, dénoncer, alerter et mobiliser l’opinion locale, nationale et internationale sur les conditions carcérales tragiques et précaires des milliers de femmes et leurs enfants.
Nous nous servirons de l’art pour renforcer la capacité de résilience des femmes prisonnière et les nourrirons d’espoir à travers notre expérience personnelle.
Je suis née et j’ai grandi dans une famille ordinaire avec un père, une mère, mon frère et mes sœurs. Je ne m’imaginais pas qu’un jour je porterai la voix de ma communauté́ et celle des femmes et enfants en particulier jusqu’à ce que le destin en décide autrement.
Je ne m’imaginais pas cela parce que j’étais aussi victime de nombreux actes de mégestion, de la négligence et de l’égoïsme avéré de la classe politique qui avait du mal à répondre à ses responsabilités sans pour autant s’inquiéter et qui n’avait aucune vision pour la génération présente et future.
De l’Est à l’Ouest ce n’était que les armes qui entonnaient l’hymne de la mort, du Nord au Sud les va-et-vient des réfugiés bondaient les rues et les camps des réfugiés, souvent affamés, malades, sans eau potable et souvent victimes des multiples abus et violations des droits humains. Les jeunes fillettes obligées de se prostituer pour trouver de quoi manger, d’autres violées parce qu’elles sont parties chercher du bois de chauffage à de grandes distances pour préparer la nourriture et d’autres soumises au travail dur dans des ménages et restaurants pour trouver où dormir et quoi se mettre sous la dent.
A chaque endroit et moment correspondait une scène amère particulière qui nourrissait mon indignation et me révoltait un peu plus, vu que cela semblait n’intéresser personne, ni l’État en général. Nos concitoyens dans chaque ville et village enduraient, pleuraient, saignaient et regardaient impuissants cette tragédie sans rien dire, ne savaient quoi faire pour y apporter solution vu que le problème semblait immense face à une population désespérée, mais les plus fort décidaient de prendre les armes et créaient des mouvements d’auto-défense pour sauver leurs vies et pour défendre leurs villages et leurs petites économies bâties soit sur l’élevage, soit sur l’agriculture, soit sur la pêche à faible rendement vu son caractère rudimentaire.
Goma chez nous, notre el ma mater. Une ville battue sur une terre volcanique vit entre deux merveilles : le parc de VIRUNGA et sa majestueuse chaîne de montagnes des VIRUNGAS qui compte en son sein une dizaine de volcans dont deux actifs. Nyiragongo, le plus célèbre et le plus connu de tous - sa dernière éruption désastreuse date de 2002, sa lave avait baignait le tiers de la ville de Goma - aujourd’hui est le symbole de la ville de Goma, il symbolise la résilience de cette ville qui a tout perdu mais qui s’est remise debout en très peu de temps. Son ombre couvre la ville de Goma et ses environs qui bénéficient de la fertilité de cette terre volcanique, il attire chaque année des milliers de touristes et de scientifiques qui viennent l’explorer et mener des recherches scientifiques.
Au Sud de Goma repose un bassin d’eau douce qui renferme en son sein une quantité importante de gaz méthane dans son célèbre Golf de Kabuno. Un lieu de détente par excellence après un dur labeur pendant la semaine, avec une vue panoramique extraordinaire, mais malheureusement inaccessible aux populations pauvres, parce que l’État a vendu aux hommes forts et riches cette merveille convertie en monstre, parce qu’il faisait noyer chaque année une vingtaine d’enfants en quête d’eau, la ville n’étant pas desservie en eau potable, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui m’avait indignée le plus.
Mais malgré ces potentialités géographiques et touristiques, cette ville comme l’ensemble du pays a une histoire négative à raconter, depuis les années 1994, année qui marque l’arrivée des réfugiés Rwandais en RD Congo fuyant le génocide. Cette situation sera suivie par une série amère de guerres de l’Alliance des Forces Démocratique pour la libération (AFDL) en 1997 qui est née pour mettre un terme à la dictature de MOBUTU mais qui, malheureusement, après la prise du pouvoir, sera scindée en plusieurs autres groupes armés, dont le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) qui aura le contrôle de la ville de Goma pendant plusieurs années. Cette rébellion exécutera les civils en masse dans différents villages et villes tels que repris dans le rapport MAPING ; rapport qui documente l’ensemble des crimes commis en RD Congo entre 1993 et 2003.
Après la signature des différents accords de paix dont ceux de Maputo, San City et Pretoria, un cessez- le-feu fut décrété et à son tour engendra une transition politique qui au final conduira aux premières élections dites démocratiques de 2006. Cette rébellion du RCD converti en parti politique verra son leader politique perdre les élections présidentielles et se transformera en un autre groupe armé avec un autre nom mais avec les mêmes personnes, le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) qui, des années plus tard se transformera en mouvement du 23 Mars jusqu’au contrôle total de la ville de Goma.
Dans ce contexte, le peuple reste impuissant, abandonné à son triste sort, l’insécurité notoire, de très faibles accès à l’eau et à l’électricité, la non scolarisation des enfants, des routes en état de délabrement total, l’inflation, le chômage, le système de santé très dégradant ; bref rien n’évoluait et rien ne semblait aller.
Le plus grand danger était lié au fait que la population semblait normaliser et banaliser ce système chaotique qui ne faisait qu’enrichir les politiciens et enfoncer la population dans un gouffre de pauvreté extrême d’où il fallait des lanceurs d’alerte pour dénoncer la mégestion et éveiller les consciences et prêcher le pouvoir citoyen à cette population qui est souveraine et qui devrait être au centre des préoccupations de la politique nationale. Il fallait donc leurs apprendre leurs droits et les mécanismes de revendications et leurs devoirs en tant que citoyen.
Pour ça je vais rejoindre le combat de Lucha dont la mission était de rendre la population exigeante pour que les dirigeants deviennent redevables et responsables. Cette mission cadrait totalement avec mes convictions, ma vision pour un Congo de dignité, de paix et de justice sociale. J'y mis cœur et âme, malheureusement au prix des sacrifices. Les menaces, les tortures, les arrestations arbitraires, les condamnations gratuites et les bombes lacrymogènes. Cela conduira à la mort de trois de mes camarades de rang, LUC NKULULA calciné vif dans sa maison, MUHINDO OBADI et KAMBALE FREDDY abattus par la police dans une manifestation de revendication de la paix à BENI, région dans laquelle les massacres fait la une des journaux depuis 2014 sous l’impuissance des forces loyalistes et la force onusienne estimé a vingt-deux mille hommes présents dans la région depuis plus de 10 ans.
Arrêtée à plusieurs reprises, les séjours et la familiarisation avec la prison ensuite me feront découvrir de nombreuses autres réalités qui échappent à beaucoup de personnes, organisations et associations humanitaires. Le prisonnier ou la prisonnière doit payer aux alentours de 300 Euros sous prétexte de droit d’intégration de la prison et cette mafia est entretenue sous la complicité directe de l’Etat congolais et ceux qui ne sont pas capables de payer cette somme d’argent sont soumis à des travaux durs, sont victimes de coups et blessures, dorment par terre et mangent irrégulièrement.
Au-delà de ça, les prisons regorgent d'un nombre important de filles et femmes complètement oubliées et en rupture avec le reste du monde et la chaleur humaine comme si elles étaient condamnées à passer le reste de leur vie dans des conditions infernales, ce qui va à l’encontre du rôle éducationnel de la prison.
La femme que je suis, chez moi symbolise l’économie informelle dans un contexte de chômage, elle est un moteur et contribue puissamment pour la survie de la famille et cela au-delà des tâches ménagères et maternelle auxquelles la coutume l’attache.
Une fois en prison, les répercussions sont très lourdes sur la famille car elle est une fois encore celle qui prend soin des enfants et dans ces conditions inhumaines et déplorables la femme congolaise est souvent dans l’obligation de passer son calvaire avec des enfants en bas âges. Ce qui fait qu’elle soit tellement traumatisée vu l’inquiétude et l’incertitude liés à son attachement à ses enfants souvent victimes des maladies d’origine hydrique dont la fièvre typhoïde, le paludisme et souvent le choléra.
Dans les prisons chez nous les visiteurs n’accèdent pas aux cellules des femmes, ce qui crée en elles une carence extrême de chaleur humaine. Pourtant c’est l’essence même de ceux qui sont écartés de la société. Pourtant les hommes en prison reçoivent des visiteurs et peuvent faire l’amour avec leurs femmes. Cette discrimination liée au genre est à combattre a tous prix pour que les femmes en prisons se sentent en vie parce que sans chaleur humaine la prison devient comme une tombe vu la déconnexion semi-totale du reste du monde.
En ce qui concerne la question des terres et de l’héritage familial, chez nous la culture du testament n’est pas trop pratiquée, dans plusieurs contextes et situations quand l’homme meurt, sa famille ne se soucie pas de la veuve, au contraire elle veut s’accaparer l’héritage du défunt. Cela conduit à des procès bidons qui, suite à la corruption caractérisant notre justice, accusent la femme d’être complice ou coupable du meurtre de son mari et se voit écoper des mois ou des années en prisons, de nombreux cas d’arrestations de femmes ont été enregistrés dans ce sens. De nombreuses femmes sont en prison sans procès et très peu parmi elles se voient accompagnées par un avocat à défaut de moyens, d’où la nécessité de leur apporter une assistance juridique. Cela peut être fait grâce à des plaidoyers que l’on peut mener après avoir mobilisé l’opinion sur la situation carcérale des femmes.
Le système de santé dans les prisons en général est très précaire, l’eau n’est pas régulière, les sanitaires sont en très mauvais état et presque inexistants, ce qui expose les prisonnières et les rend plus vulnérables lors de leurs menstruations et pendant la quasi-totalité de leurs séjours en prison car un dicton congolais dit que la femme c’est l’hygiène.
Pendant et après la prison, les femmes très stressées et très traumatisées, ont des soucis très intenses du fait qu’elles ne savent pas par exemple comment vont leurs enfants ou parce qu’après leurs séjours en prison elles n’ont plus les maigres capitaux leur permettant de faire leurs petits commerces. Donc elles ont besoin d’un accompagnement social, moral, psychologique, financier et matériel pour survivre au stress et permettre leur réintégration.
Cela est possible grâce l’approche de slamotheurapie que nous avons développée dans le cadre des détraumatisations des femmes victimes de violences sexuelles et conjugales originaires des territoires de MASISI, RUTSHURU, NYIRAGONGO et GOMA avec notre organisation TENDO ASBL et avec un collectif de slameurs de Goma pour intensifier leurs capacités de résilience et le nourrir d’espoir.
Il y a aussi un moyen de mettre à profit leurs séjours en prison en leur apprenant les métiers manuels mais aussi créer pour elles un centre interne d’alphabétisation pour les préparer à une bonne réintégration sociale et morale après la prison.
Ces quelques exemples illustrant les situations des femmes et les réponses à y apporter ne sont que des échantillons mais il y en a plusieurs. Pourtant très peu des gens sont au courant de ces situations désastreuses. C'est pourquoi nous avons songé à ce projet tout en espérant apporter une pierre dans la construction de cet édifice de changement des conditions carcérale des femmes en RD Congo.
Ce projet Les Oubliées des Cellules est à la fois artistique et humanitaire.
Ce projet veut porter la voix, raconter, dénoncer, alerter et mobiliser l’opinion locale, nationale et internationale sur les conditions carcérales tragiques et précaires des milliers des femmes et leurs enfants.
Nous nous servirons de l’art pour renforcer la capacité de résilience des femmes prisonnière et les nourrirons d’espoir à travers notre expérience personnelle : il y a une vie après la prison et il est toujours possible de se reconstruire, de se mettre debout, de redéfinir les objectifs de la vie et de réaliser ses rêves les plus ardents tout en mettant à profit son séjour en prison et en dehors d'une cellule.
Article de la Revue