Les Archives ANI est un projet de corpus d’archives fictives qui témoignerait de l’histoire d’une civilisation imaginaire. Dans la lignée des archives radiophoniques de l’ORTF conservée par l’INA, j’aimerais constituer une banque de données, un ensemble d’objets sonores qui s’apparenteraient à des documents historiques faisant preuve de l’existence d’un autre monde. Ce corpus d’archives fictives se verrait être accessible sous la forme d'une interface web et prendrait place au sein d’une performance que je projette d’écrire en parallèle. La participation d’un groupe d’élèves à l’élaboration des documents sonores fait partie des points forts que j'envisage dans le cadre de cette résidence. Ainsi, jouer la comédie, user de trucages, de bruitages, inventer des fictions orales, s’approprier les formats propres à la radiophonie (interview, documentaire, sondage, reportage, émission) sont certaines pratiques que je souhaite leur faire découvrir et expérimenter.
Les archives sonores (et télévisuelles) assurent une mémoire des voix, des paroles, des langues et ont pour rôle de témoigner une histoire de la collectivité. Elles font preuve d'un contexte et d'une réalité à un instant T. L'interview, l'émission, le sondage de rue, le documentaire sont autant de formats et de matières de jeu où peut s'ajouter, se réinventer, une histoire oubliée, modifiée ou bien fantasmée.
Ce projet des archives fictives entrent en résonance avec deux notions qui me préoccupent dans mon travail : la notion de voix et la notion de réalité et de fiction.
La voix a ce pouvoir indicateur sur la nature des individus et leur contexte. A l'écoute d'une voix, nous sommes capable de percevoir un sexe, un âge, une position sociale, une situation géographique, une personnalité, un physique, une taille, un poids, parfois une profession. On peut également connaître des indications sur l'état de santé, l'état émotionnel et affectif d'une personne. La voix peut révéler, malgré nous, nos sentiments les plus intimes. Elle peut tout autant nous soutenir que nous trahir. Elle participe très fortement à l'identité et l'individualité d'un être, bien qu'elle se construit principalement par mimétisme.
Ma pratique consiste à jouer avec tous ces facteurs influents. J'utilise cette qualité d'imitation et d'illusion pour orienter/désorienter l'auditeur, l'amadouer, le tromper, l'amuser, le perdre, le balader dans sa mémoire des voix, dans la mémoire commune de certaines voix, marquées par le souvenir ou par des conventions. C'est aussi pour moi, une recherche du multiple, du devenir autre, associé au rôle du comédien. Dans la peau d'un autre "JE", en changeant simplement les caractéristiques vocales, la valeur sonore de l'être, la force de variation et de dissociation est d'autant plus troublante et intrigante, ne nécessitant aucun artifice visible. Anne Karpf souligne à même le titre la force invisible de la voix et nous rappelle l'appartenance simultanée de celle-ci au corps et à l'esprit. (Anne Karpf. "La Voix, Un univers invisible", Edition Autrement, Paris, 2008)
La voix est donc au centre du processus de communication entre les individus. Elle accompagne une parole, une langue, d'une dimension acoustique appelée "prosodie". Dans mon utilisation de langues inventées et imaginaires, j'essaie de maintenir une importance à cette dimension de prosodie. Il y a à la fois l'espace poétique dans la composition phonétique et dans la pluralité des significations imaginées mais également la limite trouble entre le vrai et le faux.
Je cherche constamment dans ma pratique à explorer cet espace ambigu entre la réalité et la fiction. Pour cela, j'utilise des formats de représentations convenues telles que la conférence, la lecture, l'interview par exemple dans lesquelles j'introduis par l'oralité la part poétique et fictionnelle qui m'anime. C'est une manière d'inscrire mon travail oral dans un contexte réel et de pouvoir jouer avec l'incertitude du spectateur / auditeur quant à ma position d'intervenante.
Le titre du projet « Les Archives ANI » fait référence aux archives de l’INA. Par un jeu de miroir, le projet consisterait en la réalisation d’un ensemble de documents fictifs s’appropriant les caractéristiques des archives sonores et radiophoniques de l’ORTF en vue de témoigner de l’existence d’un monde imaginaire. L’idée serait d’éditer, avec la collaboration des enfants de l’école dans laquelle j’interviendrais, un corpus d’objets sonores de courtes durées (variant entre 1 et 4 minutes), comme des sélections de bouts d’archives laissant supposer le prélèvement de ces dernières depuis une source plus imposante. Ce corpus dialoguerait alors ensuite avec un format performatif que je souhaite écrire en parallèle à ce temps de création collectif.
J'aimerais les introduire par ce projet aux outils radiophoniques, à la création sonore ainsi qu'à l'univers de la voix. Les sensibiliser à leur outil vocal, à l’écoute, leur faire découvrir le trucage, le bruitage, la comédie, l'écriture de fictions orales et les multiples astuces en matière d'illusions sonores. Ainsi, élaborer ensemble de courtes narrations qui tiendraient sous la forme de petits objets radiophoniques. Je m'appuierais sur des romans qui traitent d'utopie et de cités imaginaires tels que "Les Coloriés" d'Alexandre Jardin, où l'île de la Délivrance n'est habitée que par des enfants par exemple, ou encore "Les Guérillères" de Monique Wittig, communauté uniquement de femmes.
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