Ce projet audio-visuel s’articule autour d’une oeuvre, Muriel ou Le temps d’un retour d’Alain Resnais et ce qu’il reste de visible ou d’invisible de ce film aujourd’hui. J'enquêterai sur le territoire du film, à Boulogne-sur-Mer: A quoi ressemblent les décors à présent ? Les habitants se souviennent ils du tournage ? Peut on convoquer les fantômes des personnages ? En filigrane, ce sont ces questions qui m’habitent: Comment parler de la guerre d’Algérie aujourd'hui? Et comment ne pas oublier ? Je voudrais interroger l'héritage de ma génération.
A mi-chemin entre le documentaire et la fiction, mêlant archives et scènes jouées, le projet a pour ambition de questionner le passage du temps et la puissance des images.
Une écriture pluridisciplinaire
J’aimerais profiter de Créations en cours pour concevoir un film comme il est rarement permis de le faire, créant un réel dialogue entre le temps de recherche et celui de fabrication. Après des études de montage à l’INSAS à Bruxelles, j’ai intégré La Fémis en réalisation. L’apprentissage de ces deux disciplines du cinéma forme aujourd’hui mon approche artistique. Je voudrais écrire en appréhendant une matière réelle, celle des images et des sons, et l’énergie des acteurs.
Le film avancera selon les rencontres : j’interrogerai ceux qui se souviennent du tournage, comme les habitants qui ne l’auront pas connu mais qui vivent sur les mêmes lieux. Je les interrogerai aussi sur leur rapport aux souvenirs, à l’Algérie, et aux plages qui, elles, n’ont pas changées. D’après leurs réactions et leurs récits, j’écrirais les scènes de fiction. Les personnages seront des descendants de ceux du film de Resnais, comme de lointains échos, mais tourné vers l’avenir, plein de jeunesse et d’espoir. Le film sera une lutte entre les fantômes et les nouveaux personnages.
Le projet pose ainsi la question suivante : Comment passer du souvenir personnel à la mémoire collective ? N’y a t il pas de meilleur moyen pour la constituer, cette mémoire collective, que de s’appuyer sur des témoignages intimes, contradictoires et subjectifs ?
Pour ce travail, je pense aux œuvres de Resnais, de Boltanski ou d’Agnès Varda, qui de manières diverses, parviennent à interroger l’intime en même temps que l’histoire et l'époque. Ce sont des œuvres qui m’ont profondément touchées. Elles ne se limitent jamais à leur médium et croisent les disciplines. (Entre la documentation historique, la sculpture, le film, la vidéo ou l’installation). Je souhaite développer un travail filmique plus hybride, à la croisée des disciplines en m’inspirant d’avantage de l’art vidéo, du journal intime et du documentaire.
Filmer un lieu, un visage, un acte, c’est, en même temps que de le faire exister pour toujours, le délimiter. Saisi dans une représentation précise, empêchant le fantasme ou la subjectivité, le sujet filmé est défini. C’est cette double fonction, à la fois atemporelle et figée, qui me fascine.
Une fois la résidence terminée, j’aurais une matière importante (vidéo et pellicule), et je serais déjà à une étape de montage. Je voudrais ensuite aller au bout de cette création, demander l’aide de monteur son et mixeur afin de finaliser la partie sonore et envoyer le film en festival.
La cartographie des souvenirs
C’est à travers les mêmes thématiques que celle de mon projet audio-visuel que s’articulera le projet de création avec les enfants. Etre confrontée aux mêmes questions m’importe beaucoup et fait partie du projet général que j’ai imaginé pour « Créations en cours ».
Avec les enfants, nous travaillerons sur la mémoire. Les élèves récolteront des souvenirs: ceux de leurs proches, voisins, professeurs, amis. Ces souvenirs n’auront pour seule consigne de s’être déroulés sur le territoire qu’ils habitent. Ensemble, nous accumulerons une « matière mémorielle » qui nous deviendra personnelle.
Nous retournerons sur les lieux de ces événements passés, en chercherons une trace, un sentiment. Nous nous approprierons les espaces, grâce à une expérience affective et collective. Nous dresserons alors une cartographie des souvenirs comme un parcours joyeux entre le présent et la mémoire, une carte alternative, une carte de l’invisible.
Le territoire prendra un visage nouveau et sera perçu comme un terrain de recherche et de partage. Le même endroit convoque chez chacun des souvenirs différents et c’est la relation entre l’intime et le collectif que nous interrogerons. A travers le processus de création, chacun façonnera sa manière d’appréhender cette frontière.
Après ce temps de recherches, de promenades et d’interrogations, nous passerons à l’action. Chaque enfant ou groupe d’enfants choisira un souvenir et en filmera son interprétation. Il pourra créer une petite scène de fiction ou de documentaire, l’expression sera libre avec sa durée pour seule consigne: 3 minutes 30 secondes. Cette durée est l’équivalent d’une bobine super 8mm. La contrainte du temps de bobine permet de ressentir l’importance de l’acte de filmer. J’aimerais utiliser ce médium pour mon projet et avec les enfants, afin qu’ils expérimentent la matérialité de la pellicule et de l’enregistrement de la lumière. Le super 8mm est une technique rare que je voudrais leur faire connaitre. L’usage de la pellicule est vibrant et excitant!
Au travers de ce processus, nous nous poserons les questions suivantes : Comment rendre concret un souvenir ? Comment le mettre en forme ? Comment, en définitif, passer de l’impalpable au palpable ? Les enfants expérimenteront le passage de l’immatériel à la création.
Le rapport aux enfants
L’envie de travailler avec les enfants est née lors d’une recherche effectuée pour une série photographique et une production de texte il y a quelques années. C’était à « La cité joyeuse » de Molenbeek en Belgique, un lieu d’accueil et d’internat pour ceux dont les parents ne peuvent s’occuper. Je me suis plongée dans le quotidien d’un groupe d’enfants, entre six et dix ans, durant plusieurs mois. Je n’étais qu’observatrice mais la rencontre avec les enfants m’a profondément marquée. La manière dont il est possible de les accompagner, de structurer leur apprentissage, de répondre à leurs questionnements est passionnante.
En parallèle j’ai mené à plusieurs reprises, seules et accompagnées, des ateliers « cinéma » en maison d’arrêt ou durant plusieurs mois avec des étrangers ou primo-arrivants. J’ai découvert combien j’aimais transmettre. Une création collective est fédératrice et ludique. C’est ce qui me passionne à l’idée de monter un projet avec un groupe d’élèves.
L'approche sonore et les comédiens
J’organiserais avec une ingénieure du son et les comédiens de mon film, une session d’enregistrement de voix off pour les souvenirs. Les élèves expérimenteront le jeu et la création d'une bande sonore, que nous diffuserons lors de la projection. Avec les comédiens, ce travail initial avec les enfants nous servira d’approche commune, une première sensibilisation du rapport au souvenir et à sa représentation.
Dans ma démarche artistique, le désir d'un projet nait d'une interrogation. Avec Créations en cours je souhaiterais concevoir un film comme il est rarement permis de le faire, dans un réel dialogue entre le temps de recherche et celui de fabrication. En parallèle, j'espère transmettre aux enfants cette manière d'aborder le processus créatif: à la portée de tous, comme un acte joyeux et fédérateur.
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.