« Le bel âge », projet que je voudrais porter dans le cadre de la résidence Création en cours, consiste en la réalisation d'un documentaire de création permettant de travailler avec des enfants sur les contours de leur imaginaire. L'intérêt de ce travail serait d'interroger les limites que chacun pose entre réalité et fiction selon son héritage culturel, ses origines, et de mettre en scène le rapport particulier qu'entretiennent les enfants avec l'imaginaire au sein d'un objet cinématographique cohérent. Au travers ce travail, c'est une intuition simple comme bonjour que je souhaite poursuivre : celle qui consiste à dire que l'enfance porte en elle une forme de plasticité de la notion de croyance dont notre société ferait bien de s'inspirer.
Depuis quelques années, on entend ça et là le mot de catastrophe, l'idée d'un changement progressif de civilisation, d'une nécessité en tout cas de prendre les enjeux contemporains au pied de la lettre au risque de voir notre modèle de société disparaître peu à peu. La prise de conscience de la catastrophe écologique nous force à repenser notre manière d'agir dans de nombreux domaines, nos manières d'être, de percevoir, et je voudrais que le cinéma prenne part à ce vaste chantier. En tant que cinéaste, je porte depuis quelques temps une recherche autour de l'animisme dans le cinéma contemporain. Cette recherche, tirant ses fondements théoriques des avancées de l'anthropologie contemporaine (des auteurs tels que Bruno Latour, Philippe Descola), souhaite interroger les limites de l'ontologie naturaliste dans laquelle nous vivons depuis trois siècles, séparant nettement nature et culture et ne reconnaissant le statut de sujet qu'à l'être humain. Cette ontologie (manière de répartir ce qui est et ce qui n'est pas) agit sur nous comme une grammaire imperceptible, orientant nos regards, laissant de côté les plantes, les animaux, les êtres qui peuplent nos rêves et créant par la même occasion une situation écologique plus qu'inquiétante. Si l'on s'en tient à la définition de Philippe Descola, « l’animisme peut être défini comme un « mode d’identification », c’est-à-dire une façon de concevoir la relation entre soi et l’autre. (...) Il attribue à tous les êtres humains et non humains le même genre d’intériorité, de subjectivité, d’intentionnalité. ». Il s'agit donc de la découverte d'une communauté d'âme, reliant l'ensemble des êtres dans un même continuum. Et il semble bien que l'animisme puisse nous être d'une grande utilité dans cette vaste perspective de recomposition des mondes qui nous attend : celui d'une répartition nouvelle entre ce qui est et ce qui n'est pas à même de nous permettre de sortir d'un modèle naturaliste en bout de course. Mais alors quel rapport avec l'enfance ? Aux origines de la notion d'animisme, il y a cette répartition que chacun fait entre le rêve et la réalité, ligne de partage fondamentale structurant notre rapport au monde. Et justement, cette ligne de partage, les enfants sont encore capable de jouer avec. Comme si, dans l'enfance, la croyance était encore dotée d'une plasticité qui s'estompait avec le temps, une plasticité précieuse, capable de nous renseigner sur cette conversion du regard que j'appelle de mes voeux. Il s'agirait donc d'en comprendre les limites, les ressorts, d'y glaner des outils qui, au delà de l'enfance, parleront au plus grand nombre. Alors me direz-vous, qu'est-ce que le cinéma a t-il à faire là dedans ? Des écrits d'Erwin Panofski parlant du film comme de « l'équivalent moderne de la cathédrale au Moyen-âge » qui contribuait alors à dessiner les contours de l'imaginaire médiéval, aux travaux de Jacques Rancière sur le partage du sensible, il serait mensonger de ne pas voir que le cinéma a à voir avec l'idée de croyance et qu'il fonde une grammaire construisant, image après image, le regard que l'on porte sur les êtres qui peuplent notre monde. Il y a donc à la base du cinéma une « esthétique » qu'on peut entendre comme le système des formes a priori déterminant ce qui se donne à ressentir. Comme le dit Jacques Rancière, c'est un découpage des temps et des espaces, du visible et de l'invisible, de la parole et du bruit qui définit à la fois le lieu et l'enjeu du cinéma comme forme d'expérience. Pour mener à bien ce documentaire de création, j'aimerais mêler entretiens avec les élèves et moments de voix off, permettant ainsi de poser le cadre de cette enquête et d'avancer pas à pas dans ce que les enfants auront à nous apprendre.
Somme
Par le(s) artiste(s)