« Là où tu te poses » est un projet sur thème du voyageur clandestin qui se décline en 4 volets : - Le duo de danse en espace public inspiré librement du livre « Kotchok, Sur la route avec les migrants » de Claire Billet et Olivier Jobard. Il s'agit d'un récit qui expose le voyage de cinq jeunes Afghans qui vont parcourir 6 frontières clandestinement. Claire Billet et Olivier Jobard ont intégré ce groupe de migrants clandestins d'Afghanistan, ils les ont suivis de Kaboul jusqu'en France. - Des ateliers. Ils suggèrent une réflexion sur l'espace du rêve : dans quels espaces nous posons-nous instinctivement et pourquoi (matière, lumière, volume, …) ? L’artiste propose aussi un travail d'art plastique à partir de ces questions. - L'exposition photo. Elle questionne la condition du migrant en lui ôtant ce qui le définit, à savoir le mouvement - La vidéo. Elle vient capter la danse au plus près pour avoir accès aux souffles, aux regards et à ce que voient les danseuses devenues migrantes.
LA DANSE - La genèse du projet : Célia a pris le train de Montpellier à Strasbourg. Un Somalien était caché sous son siège. Il ne parlait, ni ne comprenait le français. La seule chose qu'il a dite, c'est « Germany ». Il avait un billet pour Marseille dans ses mains. Il a sorti les coutures des poches de son jogging pour signifier qu'il n'avait pas de sous, pas de papier. Les images et les reportages qui inondent les médias ont pris un autre degré de réalité tout à coup. Elle pense encore à ce passager, elle se demande où il est et ce qu'il fait. Ensuite, Célia a découvert le livre « Kotchok, Sur la route avec les migrants ». Ces deux événements constituent la genèse du projet. Des raisons de leur départ de chez eux vers leurs démarches pour régulariser leur situation dans un autre pays : les médias inondent d'images, de témoignages, de reportages sur les migrants. Envahies par ces images (les barques échouées, Aylan Kurdi sur la plage, les cabanes de la « Jungle de Calais », l'incendie des Grande-Synthe, …), Célia et Josépha décident d'en construire une pièce de danse pour l'espace public. Elles s’intéressent au rapport qu’entretiennent ces voyageurs au temps et aux espaces. Elles vont s'inspirer librement du livre « Kotchok, Sur la route avec les migrants », de Claire Billet et Olivier Jobard. Il s'agit d'un récit qui expose le voyage de cinq jeunes Afghans qui vont parcourir 12000 kilomètres et passer 6 frontières clandestinement. Claire Billet et Olivier Jobard ont intégré ce groupe de migrants clandestins d'Afghanistan, ils les ont suivis de Kaboul jusqu'en France. Le livre croise les points de vue des deux journalistes et ceux de Luqman, Fawad, Khyber, Jawid et Rohani, les voyageurs afghans tout au long du périple et jusqu'à leur arrivée face à face avec les espaces qu'ils ont tant imaginés. - Le processus de création Première étape : Les danseuses tentent de mettre en corps les thématiques qu'elles découvrent en lisant le livre : la peur et la curiosité, le rapport au temps, le courage et l'épuisement, l'arrêt et la course, l'urgence et l'ennui. Elles tentent d'extraire de ces thématiques des contraintes spatiales, temporelles ou physiques, des problématiques chorégraphiques. Les premières ébauches de la création sont nées de cette recherche. Deuxième étape : Pour aller plus loin dans le processus de création, les danseuses sélectionnent ensuite des adjectifs, des états de corps, des verbes d'action pour en faire une partition écrite. Il s'agissait, après avoir mis sur papier ses termes dans un ordre bien défini de les traduire en danse et d'y intégrer également les mouvements de la première partie du travail. La partition garantit des intentions et mouvements clairs. Les danseuses ne représentent pas une action ou un état, elles la font, elles la vivent. La danse s'articule ainsi entre gestes, actions et mouvements plus métaphoriques. Troisième étape : Raconter une nouvelle histoire à partir du livre de Claire Billet et Olivier Jobard et des informations qui arrivent des médias. Les artistes souhaitent présenter une pièce après digestion de ces images, textes, reportages pour affirmer un point de vue clair sur cette situation (sans diffuser une opinion politique). Elles souhaitent à travers ce thème ouvrir sur la question du rêve et de l'espace fantasmé. - Le rapport au public : Les spectateurs, placés selon un dispositif tri frontal représentent à la fois la frontière, un obstacle pour aller plus loin, pour voir l'horizon, mais aussi un refuge : la foule peut avoir une vertu protectrice, elle permet aux personnages de se cacher. Le spectateur est tantôt « l'étranger », « l'inconnu » dont il faut saisir les codes et à qui il faut ressembler pour rester anonyme, tantôt le passeur avec qui on deale, on négocie pour aller de l'autre côté, vers l'espace fantasmé. Ce spectacle interroge nos manières d'interagir et de composer avec l'inconnu au sens large. La compagnie a voulu réduire l'échelle à laquelle nous pouvons appréhender ces voyageurs clandestins : au lieu de considérer « le phénomène migratoire » ou bien « la crise des migrants », nous avons souhaité parler de l'individu qui se cache derrière. Ainsi, les personnages vont rencontrer un spectateur, puis un autre et tenter d'entrer en contact avec lui, de lui sourire… Les danseuses soignent ainsi particulièrement la rencontre d'individu à individu et créer de l'intime dans la foule. Les trois autres volets du projet « Là où tu te poses », à savoir l'exposition photo, la vidéo et les ateliers, sont des médias ou des outils que Célia a trouvés pertinent d'associer à la danse pour poser d'autres questions et ouvrir d'autres points de vue sur le sujet de la migration. Les ateliers entrent davantage dans la partie « transmission » du dispositif Création en cours. L'EXPOSITION PHOTO : le découpage de l'espace et des corps Dans sa recherche sur les différents points de vue et ce que cela ouvre pour le spectateur, la compagnie souhaite exploiter la photographie. Les Chasseurs de Vide ont fait appel à Marielle Rossignol en tant que photographe pour réfléchir ensemble sur la manière dont la photographie pouvait exploiter la question des points de vue. Contrairement à la vidéo, dont le cadre est mobile et peut suivre la danse, la photographie fige le mouvement, elle le capture. Nous avons trouvé cela intéressant pour parler de la frontière, de l'enfermement, de l'attente et de l'isolement (des termes qui impliquent davantage l'immobilité) d'une part, mais aussi pour évoquer l'urgence (qui implique davantage la rapidité et l'amplitude en termes de mouvement). Cela nous amène ainsi à développer une réflexion autour de ce qui va être dans le cadre ou hors du cadre. Le travail du net et du flou dans la photo permet également de rendre compte d'un mouvement d'urgence. Le travail photographique permet également de rendre compte de l'épuisement, de la chute et du déséquilibre des corps qui peuvent être captés en train de tomber ou de tituber. L'image permet dans ce cas de capturer le corps dans une situation où il est vulnérable. La collaboration avec une photographe permet également de compléter la représentation que l'on développe de ces voyageurs clandestins, comme une facette complémentaire à celle proposée par la danse ou la vidéo. La photographie devient aussi un moyen d'interroger la condition du migrant en lui ôtant ce qui le définit, à savoir le mouvement. Marielle Rossignol a pris plusieurs photos de mains et de pieds. Les gants et les baskets qui habillent les extrémités du corps font partie des éléments qui permettent de les identifier comme des clandestins : dans Kotchok, Sur la route avec les migrants, le passeur conseille aux voyageurs de prendre avec eux, des gants et des baskets entre autres. Marielle Rossignol met sa technique et sa créativité au service du propos et propose ainsi une série de photos qui rendent compte des intentions de la danse. LA VIDÉO : entrer dans l'intimité de la danse Là où tu te poses (la pièce) a été créée sur le toit du Corum (Montpellier), sur l'héliport plus précisément. Célia et Josépha ont trouvé cet endroit extra-ordinaire pour danser : l'espace est plat, un peu surélevé ce qui donne la sensation de danser dans le ciel ou du moins au-dessus de la ville, de ses mouvements frénétiques, de ses sons. Cet espace leur inspire une autre temporalité que celle de la ville comme on l'éprouve chaque jour et une sensation de liberté jouissive. Il leur a ainsi semblé très intéressant de parler de clandestinité dans cet espace précisément. Célia et Josépha se sont rendu compte que le spectateur n'allait pas forcément faire l'expérience des sensations qu'elles éprouvent, de manière aussi intense. Elles s'interrogent sur ce qui pourrait leur donner accès à ces sensations. Le fait de proposer un point de vue différent sur la danse et les espaces au spectateur pourrait ouvrir à de nouvelles sensations. Les danseuses décident donc, pour cette raison, de créer une vidéo dans laquelle tous les points de vue seraient envisageables et placerait l'oeil du spectateur au plus proche de la danse et de ses sensations. Le film met en lumière quelque chose de plus intime, la caméra vient capter la tension qui existe entre les deux corps, la qualité des touchers, l'expression des visages,... L'image s'attache aussi à montrer ce que voient les personnages: l'horizon, le ciel, le bord de la plate-forme, les marques au sol, l'autre danseuse isolée,… Autant d'images qui ont nourri la création et qui sont moins palpables quand le public entoure l'espace de jeu. Célia a trouvé pertinent, dans une période où le débat sur l'accueil des migrants et la qualité de leur accueil aussi est récurrent, de proposer une fiction (sous forme de danse, de photos et de vidéo) qui présente deux personnages sensibles qui sont parfois en difficulté, parfois en train de jouer entre eux. Il lui paraît nécessaire que le migrant ne soit pas considéré comme un concept ou bien réduit au statut de victime, mais bien considéré comme un individu à part entière, ce qui implique de concevoir qu'il a sa sensibilité, ses codes et une capacité à faire des choix et à les assumer. Célia trouve que l'espace public est l'endroit adéquat pour présenter ce type de travail dans le sens où les danseuses sont réellement confrontées au béton, à la chaleur ou au froid, au vent, à des éléments qui perturbent le déroulé de la pièce... Autant de choses qui les font sortir de leur zone de confort. Rien de plus légitime au vu du thème traité.
Doubs
Par le(s) artiste(s)