Le territoire que nous parcourons a été immergé par les eaux puis s’est asséché. Dans l’argile, des chercheurs du futur découvrent d’étranges vestiges qu’ils interprètent comme étant les traces d’une créature. Qu’est-ce que ces traces nous disent de cet être ? Comment reconstruire son histoire ? Peut-on la faire apparaître ?
Inventaire avant apparition est un court-métrage de science fiction expérimentale dans lequel les enfants sont invités à fabuler l’histoire d’un territoire et de son évolution à travers une recherche paléontologique factice. En convoquant l’imaginaire et la poésie, nous nous interrogerons sur le futur possible des lagunes méditerranéennes en prise avec l’Anthropocène. La fabrication du film accompagnera la découverte et l’interprétation de ces indices : de la manipulation à l’inventaire puis à la reconstitution, de l’étude de la trace à l’apparition de l’être fantastique.
Le désir de ce film est né d’une double découverte. Celle du fossile d’abord que j’ai rencontré lors de ma formation en cinéma documentaire de création en Ardèche. Le fragment d’ammonite que je ramassais dans un champ témoignait de la présence de la mer ici, il y a deux cent millions d’années. L’ammonite a disparu en même temps que nombre d’espèce à la fin du crétacé. La mer elle, s’est retirée. En lui, il porte un triple témoignage : celui d’un temps lointain, d’une transformation de l’espace et du vivant. Cette terre que je parcourais a été un fond marin, cette région a été un littorale. En regardant ce morceau de mollusque fossilisé je pouvais fabuler ce monde disparu.
A cette découverte, une autre est venue faire échos. M’intéressant aux espaces subaquatiques méditerranéens, je me rends à Fos-sur-mer, rivage densément industrialisé du port autonome de Marseille. Sur une plage, un habitant, géologue et fin connaisseur des fossiles me conseille de visiter l’étang de Lavalduc, à quelques kilomètres au nord. Cristaux de sel, étendu d’eau aux reflets rosés, tâches de mazout sur les rochers, cheminée rouge et blanche des raffineries au loin ; j’apprends que cet étang naturellement salé est aujourd’hui utilisé par une compagnie de stockage souterrain d’hydrocarbures. Sur la grève, deux grands tuyaux pénètrent dans l’eau, reliés à une construction en béton d’où s’échappe le son sourd des machines. Ces tuyaux sont des pipelines qui, sur près de 100km relient l’étang à Manosque, où sont stockés des millions de tonnes de pétrole dans des cavités salines souterraines. Pour permettre de stocker les hydrocarbures, le sel contenu naturellement dans ces cavités est dissous et envoyé sous forme liquide (saumure) dans l’étang. Par la suite, dans une logique de va et vient, si du pétrole est prélevé dans la cavité, de la saumure est renvoyée de l'étang vers Manosque pour la remplir. Ces infrastructures ont été construites dans les années soixante-dix, suite aux chocs pétroliers.
Aujourd’hui l’étang est plus salé que la mer morte. La vie y subsiste sous la forme de bactéries et d’Artemias salina, de minuscules crevettes roses. Ce sont ces crevettes qui donnent à l’étang ses reflets roses et leur couleur aux flamands roses qui s’en nourrissent.
Quelle future pour cette zone humide transformée par l’industrie ? Quelle créature pourrait naitre dans ce territoire?
A partir de ce terrain, fabriquer un film avec les enfants.
« Confrontés aux seuls traces, ces résidus infimes que le passé offre au présent, privés de l’action visible des êtres, privés de leur présence, c’est la puissance des récits multiples, des hypothèses enchâssées, qui fait revivre les fantômes, rematérialise sous nos yeux ceux qui ont laissés ces empreintes. », Baptiste Morizot, Sur la piste animale.
C’est la lecture de la philosophe des sciences et autrice Donna Haraway qui m’a donné envie de réaliser un film de SF. Pour elle SF signifie raconter des histoires et rapporter des faits, configurer des mondes et des temps possibles – des mondes matériels-sémiotiques disparus, actuels et encore à venir. Dans ce même acronyme elle lie fabulation spéculative, science fiction et faits scientifiques. Fabuler c’est présenter des faits imaginés comme réels, une fabulation spéculative c’est imaginer ce qui n’est pas mais pourrait être. Je crois qu’à travers le fossile, l’imagination peut s’emparer de ce qui pourrait être ou a pu être. Il est une archive fragmentaire, un terreau pour le mythe. Dans l’antiquité, la légende associé aux fossiles, alors appelé glossopètres (langues-de-pierre) était qu’ils tombaient du ciel les soirs d’éclipses de lune. Que l’on pense aux dragons ou aux yeti, toutes ces créatures imaginaires nous proviennent de l’interprétation que les hommes ont faite des traces d’ours : cranes retrouvées dans les grottes, empreintes de pas.
Durant les repérages de mon film de fin d’étude, j’ai pu observer l’enthousiasme d’enfants lors d’ateliers d’extraction de fossiles. La joie de la trouvaille et l’imaginaire que suscitent en eux ces mondes disparus, formidable terreau pour inventer des histoires. En proposant aux enfants de créer un récit à travers ces fossiles, je souhaite les interroger sur ce que pourrait être les fossiles du futur mais également les inviter à explorer ces possibles à travers leurs imaginaires. Quelle créature fantastique peut émerger de leurs interprétations des traces que je leur rapporterai?
L’école est à Bollène, à une centaine de kilomètre de l’étang de Lavalduc. Les enfants ne connaissent pas ce lieu, et c’est à partir des indices que je leur apporterai qu’ils et elles le découvriront. Nous transformerons la classe en laboratoire de recherche du futur puis en plateau de cinéma pour interpréter ces indices et fabuler à partir d’eux l’histoire de cette créature. Le film durera une vingtaine de minute et accompagnera la découverte et l’interprétation de ces indices : fossiles et légendes.Pour imaginer l’histoire ces questions seront le squelette de notre réflexion collective: pourquoi retrouve-t-on ces fragments fossilisés ici ? Peut-on entièrement reconstituer la créature ? Dans quel milieu vivait-elle ? Comment se déplaçait-elle ? De quoi se nourrissait-elle ? A quelle espèce appartient-elle ? Quel nom lui donner ? Existe-t-elle toujours ?
Les images du film seront celles du récit et des gestes de l’enquête paléontologique à laquelle les enfants se livreront. Ce sont ces gestes qui font du fossile une archive biologique capable d’informer sur le passé. En séjournant ponctuellement à Fos-sur-mer, je récolterai des images d’archives et filmerai l’étang, à la recherche de signes, de traces de cette transformation qui pourrait exister dans le futur. Ensemble nous réfléchirons à la manière d’incorporer ces images au film. L’univers sonore sera composé à partir d’enregistrements diégétiques, des voix du récit et de matières sonores collectées sur le territoire. En jouant au montage sur les sensations d’harmonie et de dissonance, je souhaite amener une sensation d’étrangeté.
La créature apparaitra t-elle alors ou ne sera t-elle qu’un signe, une présence ?
Par le(s) artiste(s)