Immortelle ? c'est une tentative d'hommage généreux et intelligent rendu l'objet voiture, sujet de fantasmes et de débats.
Immortelle ? c'est l'occasion d'un retour au pays méprisé et une virée à toute allure au coeur de la pratique socio-culturelle de la conduite qui s'y cultive.
Immortelle ? c'est faire état d'un grand rêve d'indépendance, de route à perte de vue et de vent dans les cheveux qui se prend, pied au plancher, le mur de la crise climatique, des impératifs économiques et des inégalités territoriales.
Immortelle ? c'est une enquête de terrain - visuelle et sociologique - au sein d'un territoire enclavé pour interroger les identités qui se construisent aux travers de l'objet automobile et les affects et aspirations qu'elle continue de véhiculer.
Immortelle ? c'est la construction d'une forme hybride et discursive : une édition, un évènement, une installation, conçus à partir de fiction renouvellées et de rencontres bien réelles.
tImmortelle ? Fantasmes et décadence du projet automobile est un projet multi-médias, construit à partir de l’interpénétration d’une enquête menée avec les outils de la sociologie et d’un récit de fiction. Cette résidence de création, et la forme qu'elle produirait, s’articulerait autour de deux axes de recherche. Le premier consisterait en la conception d’une fiction visuelle, à partir d’une petite voiture de collection, d’éléments de maquettes, de photographies, de dessins et de modélisation 3D qui composeraient le langage visuel débridé d’une fiction que j’ambitionne d’être généreuse par sa forme et son contenu, élaboré en co-construction avec les enfants de l'école.
Le second reposerait sur l’expérience faite du terrain et des rencontres qui s’y produiraient. En effet, entre prospections photographiques et immersions au contact d’un échantillon de population pouvant témoigner de son appropriation de l’objet voiture, j’aimerais construire un ensemble documentaire probant permettant de témoigner d’un panel non-exhaustif d’expériences signifiantes de cet objet en ce territoire tant en ce qu’il permet de construire et d’incarner comme identité du·de la conduct·eur·rice que de solutions qu’il apporte en des espaces que l’on envisage peu d’apprécier sans véhicule personnel. Munie de mon appareil photographique et de mon enregistreur audio, j’aspire à donner la parole et une représentation à qui voudrait bien prendre part à ce projet. J’ai à cœur d’appliquer une éthique de production permettant à chacun·e des participant·e·s de rester maître·sse de sa contribution, pour la modifier voire la supprimer à tout instant.
Ce projet constitue une porte d’entrée, et de retour, vers des territoires connus et éprouvés, théâtres de mon enfance et de ma jeunesse, communément désignés comme diagonale du vide. L’éveil du moment politique des Gilets jaunes a permis de confisquer l’intérêt médiatique au profit de revendications simples, relatives, pour certaines, aux inégalités territoriales face à l’usage quotidien de l’automobile. Cette année de tumulte a mis en valeur deux dynamiques contradictoires actuellement à l’oeuvre en France : des métropoles agrandies dynamiques connectées verdifiées qui prétendent s'émanciper de l'automobile font face à des régions isolées, où le maillage du réseau des transports est tellement lâche voire inexistant qu’y vivre sans voiture y est un facteur d’exclusion du monde économique, social et politique. Quelques centimes de plus au plein de gasoil et 10km/h en moins sur la route nationale y comptent comme autant d’argent et de temps perdu dans une vie rythmée par la conduite. Le clivage que ce moment politique a mis en évidence m’a confrontée à mon caractère transfuge, étant de celles·eux qui sont parti·e·s : ce projet de recherche au long court représente une occasion idéale pour tenter de réconcilier ces deux pans identitaires. Et parce que ces territoires subissent autant qu’ils jouissent de l’objet voiture, il me semble aussi intéressant qu’actuel d’aller en interroger l’ambiguïté auprès de celles·eux qui la vivent au quotidien, dans toute sa richesse, sa poésie, et ce qu’elle contient de contraintes et d’injonctions.
Dans le cadre d’un tel projet, l’école constitue un quartier général idéal pour habiter et éprouver le territoire. D'une part, elle constitue un espace social où se croisent de nombreuses catégories socio-professionnelles pouvant constituer un premier cercle d’enquête parmi les parents et enseignants. Ce premier réseau et ceux qu’il permet de construire alentour constituerait, avec les clubs automobiles contactés, mon espace de recherche et de documentation sociologique, me permettant de construire une problématique plus juste et précise au regard des enjeux propres aux territoires interrogés.
D'autre part, elle offre un espace pour travailler et visualiser la recherche en cours de construction. Elle permet, dans ce cadre, de faire intervenir les élèves lors de moments de transmission, d'analyse, et de co-construction. À partir de leur projections relatives à leurs affects quant à la voiture et la posture du·de la conduct·eur·rice, rendues visibles à l’aide de moyens créatifs visuels - dessin, modelage, collage, etc - et littéraires, j’aimerais initier une conversation collective relative aux modes de faire récit propres à l’automobile afin de déconstruire, ensemble, ce que cet objet porte en lui comme principes et valeurs, postulant qu'il constitue autant une opportunité de liberté qu'une injonction sociale. Nous tenterions, à partir de cette déconstruction collective faite au regard d'oeuvres littéraires, cinématographiques ou visuelles, de poser les bases d'un renouveau narratif convivial de l'automobile, qui pourraient alimenter la construction du récit de fiction visuelle énoncé en introduction. Ces temps prendraient la forme de conversation, de visionnage, d'analyse, de temps créatifs, d'ateliers d'écriture où seraient pratiqués le cadavre exquis, l'écriture automatique ou le cut-up, et seraient systématiquement enregistrés au titre de document de travail, à mettre en forme ou non.
Dans l'antre de cette double recherche, où se confronteraient des restitutions d’entretiens et un travail de composition graphique, est susceptible de se produire un premier glissement du documentaire vers la fiction, et vice-versa, à l’image de la forme finale que j’aspire à concevoir. En effet, de par l’expérience de création hybridée et ce processus de va-et-vient de l’atelier vers son dehors immédiat, j’aimerais élaborer une forme docu-fictionnelle permettant d’appréhender la complexité du sujet et la richesse de l’expérience de création menée. La forme éditoriale constituerait, dès lors, un médium privilégié pour agencer et proposer une lecture de ce que cette expérience aurait permis de produire comme proposition diégétique. Je me donne pour objectif d'avoir produit, à l'issue de cette résidence, une forme pouvant s’approcher d’un bon à tirer, suffisamment éloquente pour pouvoir être au cœur d’un temps de restitution publique. Une installation-évènement pourrait alors s’organiser autour de ce prototype afin de délivrer les éléments de travail avec lesquels j’aurais interagi pendant ma recherche et susciter un moment de discussion.
De par son processus et la forme qu’il tente d’atteindre, Immortelle ? réinvestit de nombreuses problématiques de ma pratique. En effet, il poursuit une recherche sur la matière et la manière de faire image, et donc, récit, ainsi qu’aux modes de transmission et d’acquisition de celui-ci. Par la déconstruction des outils d’un storytelling de masse, la récréation d’un rapport texte-image, l’application de protocoles créatifs éditoriale et visuelle ayant à cœur d’interroger mes outils plutôt que l’efficacité de mon discours, je m’attache à pratiquer des modes de faire en adéquation avec une éthique de production organisée autour des notions de convivialité, de complexité et d’expérience.
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